Aller au contenu principal

La Turquie aurait prévenu Washington 10 minutes seulement avant les frappes sur le PKK

Des analystes ont suggéré que les commandants militaires américains et turcs étaient en désaccord sur les objectifs stratégiques
Des policiers turcs portent le cercueil de l’officier de police Huseyin Salih Parca, tué par le PKK, à Diyarbakır le 8 août 2015 (AFP)

Les responsables militaires américains auraient été « indignés » fin juillet par la décision de la Turquie de bombarder le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) dans le nord de l’Irak sans en avertir son allié de l’OTAN, selon les rapports des médias américains.

Une source militaire anonyme a déclaré à Fox News que les responsables militaires turcs avaient fait part de la décision de bombarder le PKK 10 minutes seulement avant les frappes.

« Un officier turc est venu au CAOC (centre d’opérations aériennes) et a annoncé que les frappes allaient commencer dans 10 minutes et que tous les avions alliés en vol au-dessus de l’Irak devaient se dérouter vers le sud de Mossoul sans tarder », a déclaré la source, décrivant les événements qui se sont produits dans un centre situé dans un lieu tenu secret au Moyen-Orient.

« Nous étions indignés », a déclaré la source.

La Turquie a lancé ses frappes aériennes contre les groupes militants kurdes le 24 juillet, au moment même où elle a débuté ses frappes contre le groupe État islamique (EI) en Syrie et en Irak.

Alors que ces dernières bénéficiaient du soutien total des États-Unis – et marquaient la première implication active de la Turquie contre le groupe EI – les attaques contre le PKK étaient plus controversées car les militants kurdes (et les YPG, Unités de protection du peuple, qui y sont idéologiquement liées en Syrie) constituaient l’un des groupes efficaces de lutte contre le groupe EI en Irak et en Syrie.

La source de l’armée américaine a également affirmé que le problème ne se résumait pas au délai extrêmement court : les bombardements turcs risquaient de nuire aux forces américaines dans le nord de l’Irak.

« Des forces spéciales américaines étaient présentes non loin de l’endroit bombardé par les Turcs, pour former des combattants peshmergas kurdes », a indiqué la source. « Nous ne savions pas qui étaient les combattants turcs, leurs indicatifs d’appel, les fréquences utilisées, ainsi que leur altitude ou leur code de transpondeur [pour identifier les avions sur le radar]. »

Relations tendues

Bien que les États-Unis et la Turquie soient de fidèles alliés depuis le milieu du XXe siècle et que cette dernière soit un membre de longue date de l’OTAN, les récents événements au Moyen-Orient ont tendu les relations entre les deux pays.

Si tant Washington qu’Ankara ont d’abord soutenu le renversement du président syrien Bachar al-Assad, la Turquie a récemment adopté une voie indépendante avec le Qatar et l’Arabie saoudite, tandis que les États-Unis sont de plus en plus gênés par les éléments liés à al-Qaïda dans l’opposition syrienne.

En outre, les Unités de protection du peuple (YPG), la milice du Parti de l’union démocratique (PYD) qui est affilié au PKK, sont considérées comme l’une des forces les plus efficaces et fiables combattant le groupe EI en Syrie.

« Les Turcs craignent depuis longtemps que le mouvement kurde cherche à promouvoir un État indépendant en créant un territoire dirigé par les Kurdes du nord-est de l’Iran au nord de l’Irak et de la Syrie, jusqu’à la Méditerranée », a écrit Nigar Göksel, analyste spécialiste de la Turquie à l’International Crisis Group.

« Ces préoccupations sont alimentées par l’émancipation de la milice liée au PKK – les Unités de protection du peuple (YPG) – qui domine les régions kurdes du nord de la Syrie. Collaborant étroitement avec les États-Unis, elle a gagné du terrain contre le groupe EI et recruté parmi les militants kurdes en Turquie, tout en construisant des liens avec les capitales occidentales et en y gagnant en légitimité. »

Contradictions fondamentales

Bien que les États-Unis aient soutenu publiquement la campagne de la Turquie contre le PKK, certains commentateurs ont mis en doute la sincérité des États-Unis.

« L’accord américano-turc sur la Syrie et sur la lutte contre le groupe EI est mis à mal par les incertitudes, les objectifs contradictoires et les désaccords », a déclaré Fadi Hakura, chercheur associé à Chatham House.

« Le principal objectif de la Turquie est d’empêcher l’émergence d’une entité autonome kurde dans le nord de la Syrie et, ensuite, un changement de régime à Damas. Pour les États-Unis, l’objectif prioritaire est de détruire le groupe EI en Syrie et en Irak. Cette relation conflictuelle a été camouflée, et n’a pas traitée de façon décisive. »

Fadi Hakura a indiqué à Middle East Eye qu’il existait des contradictions fondamentales et pratiques entre les États-Unis et la Turquie à propos du PKK.

« En ce qui concerne la lutte contre le groupe EI, les États-Unis n’ont pas beaucoup d’options sur le terrain. Que ce soit le PKK ou les combattants peshmergas kurdes irakiens, les Kurdes sont l’un de leurs rares alliés sur le terrain », a-t-il expliqué.

« Les États-Unis travaillent en étroite coordination avec les YPG dans le nord de la Syrie depuis un centre de commandement dans le nord de l’Irak. Donc, il existe une étroite coordination entre eux et la dernière chose que veulent les Américains, c’est une explosion ou un embrasement de la situation entre la Turquie et le PKK. »

Le rôle de l’armée turque

Galip Dalay, chercheur au Forum Al-Sharq, a déclaré que l’une des causes possibles de la rupture des communications viendrait de l’affaiblissement du pouvoir de l’armée turque au cours des dernières années.

L’une des principales réussites de l’ancien Premier ministre (aujourd’hui président), Recep Tayyip Erdoğan lorsqu’il était au gouvernement avait été de saper l’appareil militaire turc, arrêtant des dizaines de personnes accusées de complots de coup d’État.

« Dans les années 1990, même jusqu’au début des années 2000, l’armée était le principal partenaire des États-Unis en Turquie, ainsi, en ce qui concerne les grandes décisions stratégiques, les États-Unis collaboraient avec l’armée avant d’engager le dialogue avec les hommes politiques civils », a expliqué Dalay à MEE.

« Toutefois, l’armée turque a été assujettie au gouvernement ces dernières années, donc je pense que les États-Unis réalisent désormais qu’ils doivent travailler avec le gouvernement pour toutes les décisions importantes. »

Cependant, Dalay a indiqué ne pas croire que la campagne anti-PKK nuise sérieusement aux relations entre les États-Unis et la Turquie.

« Elle peut porter atteinte à ces relations, mais je ne pense pas que cela causera un problème majeur entre la Turquie et les États-Unis », a-t-il affirmé. « Toutefois, elle peut certainement causer des malaises, surtout si ces opérations ont d’une manière ou d’une autre des répercussions dans la région kurde en Syrie. »

« Je ne pense pas que la Turquie s’engagera dans une guerre à part entière avec le PKK et, même si elle le fait, elle tentera – en dépit de son discours mettant les YPG et le PKK dans le même panier – de faire la distinction entre les deux. »
 

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].