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L’armée : la vraie base de soutien politique de Sissi

Si l’Égypte est depuis longtemps un pays militarisé, sous Sissi, le Conseil suprême des forces armées et les renseignements militaires sont encore plus puissants
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi lors d’une visite dans la péninsule du Sinaï le 4 juillet (AFP)

Étant donné le taux de participation incroyablement bas enregistré lors du premier tour des élections parlementaires égyptiennes, les observateurs pensent que la priorité du président Abdel Fatah al-Sissi est désormais de rendre légitime son gouvernement.

Par le biais d’une série de visites dans des pays influents d’Europe occidentale, tout particulièrement l’Allemagne et le Royaume-Uni, Sissi cherche à se rapprocher activement de la communauté mondiale dans un effort pour établir son pouvoir et normaliser ses relations avec les puissances internationales. 

Les analystes s’attendent à ce que la seconde phase du scrutin, prévue pour novembre, apporte des résultats similaires à la première : la victoire d’une faction politique fortement soutenue par Sissi.

Cependant, les experts pensent que même avec un parlement favorable, Sissi prévoit de consolider sa base politique par le biais de l’armée.

Un parlement impuissant

Al-Monitor a rapporté que les observateurs électoraux avaient constaté des cas d’achat de votes durant ces élections. En outre, les trois coalitions électorales qui ont eu l’autorisation de concourir lors de la première phase du scrutin – The Call of Egypt, For the Love of Egypt et l’Independent National Re-Awakening Bloc – soutiennent généralement Sissi. Ces coalitions sont dirigées par plusieurs anciens hauts gradés des services de renseignement et de l’armée, selon un article d’Al-Ahram Online publié le 7 octobre.

« La coalition parlementaire est menée par un ancien officier des services de renseignement et le reste de la liste inclut de nombreux anciens militaires et membres des renseignements », a indiqué Omar Ashour, maître de conférences en politique et sécurité au Moyen-Orient à l’université d’Exeter.

La coalition For the Love of Egypt est dirigée par un ancien officier des services de renseignement, Sameh Seif al-Yazal, qui dirigeait également le Centre d’études politiques et stratégiques du journal d’État Al-Gomhouria.

En parallèle, Sissi a adopté en août une nouvelle loi électorale qui limite radicalement l’influence des partis politiques égyptiens en allouant 80 % des sièges parlementaires à des individus.

Selon Mohamed Elmasry, professeur adjoint au département de la communication de l’université de North Alabama, la nouvelle loi électorale est un retour à la législation utilisée par l’ancien président Hosni Moubarak pour l’aider à consolider son pouvoir dans les années 80 et 90 en privilégiant les élites fortunées ayant des connections avec l’establishment égyptien.

Contrairement à Moubarak, cependant, il est peu probable que Sissi s’en remette exclusivement au soutien d’un parlement complaisant. En raison de possibles fractures au sein des cercles du pouvoir susceptibles de nuire à son règne, Sissi a indiqué dans des déclarations publiques qu’il voulait amender la constitution afin de réduire le pouvoir du parlement, selon un article d’Elmasry datant du 20 octobre.

Selon l’expert égyptien des questions de sécurité et ancien général de l’armée Abdel Hamid Omran, « contrairement aux pays démocratiques, où la base de soutien du gouvernement provient de l’électorat, les régimes non-démocratiques ont besoin – outre la puissance militaire – d’une base de soutien alternative ».

« Cette base de soutien comprend habituellement des individus dont les intérêts financiers sont liés au gouvernement, comme les acteurs des médias et de l’industrie cinématographique, ainsi que de nombreux individus corrompus et influents », a déclaré Omran à MEE.

L’armée comme base de soutien

Alors que Sissi continuera d’établir un parlement apportant à son gouvernement un certain niveau de crédibilité, les analystes pensent que l’armée et ses différentes agences sont les institutions véritablement puissantes qui fournissent à Sissi le pouvoir et le soutien dont il a besoin.

« Le pays entier a toujours été militarisé, mais ce qui a changé de façon significative est que l’acteur économique et politique le plus puissant est devenu le Conseil suprême des forces armées [CSFA] – destituant deux présidents [Moubarak et Morsi] et en nommant un autre [Sissi] – et son cerveau, ou think tank, sont les renseignements militaires », a ajouté Ashour.

Jusqu’à la révolution de 2011, l’Égypte avait été dirigée pendant plus de 60 ans par une présidence militaire. Les présidents Gamal Abdel Nasser, Anouar el-Sadate et Hosni Moubarak étaient tous des responsables militaires avant d’arriver aux commandes du pays.

C’est seulement en 2012, avec l’élection de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, que l’Égypte a été présidée par un gouvernement civil.

De nombreux observateurs ont vu des liens étroits entre le retour au pouvoir d’un gouvernement militaire sous Sissi – lui-même un ancien général de l’armée – et le gouvernement de Moubarak, qui était soutenu par une classe politique composée du Parti national démocratique (PND) et des élites du monde des affaires qui lui étaient affiliées.

« Tandis que l’armée, et les forces de sécurité plus généralement, forment le socle du régime égyptien, les élites du PND font aussi partie de la coalition du régime et, en dépit de leurs différences avec Sissi, elles demeurent largement favorables au gouvernement », a indiqué Shadi Hamid, chercheur principal à la Brookings Institution et auteur de Temptations of Power.

Néanmoins, selon Ashour, il y a une nette différence entre le gouvernement de Moubarak et celui de Sissi.

« Sissi n’a pas le soutien d’une classe comme celle du PND qui, sous Moubarak, faisait gagner à ce dernier un pourcentage significatif de voix, même si les scrutins étaient truqués », a-t-il expliqué.

« En revanche, le soutien principal de Sissi existe à travers les armes et les institutions de l’armée. Sa base de soutien vient de ses alliés au sein du CSFA et des renseignements militaires, qui dominent les autres institutions – auparavant plus puissantes – comme les renseignements généraux. »

Bien que l’armée ait toujours été puissante en Égypte, même pendant la période intérimaire entre les soulèvements de 2011 et le coup d’État du 3 juillet 2013, son unité de renseignement était relativement marginale dans les affaires politiques.

Ceci a changé depuis que Sissi est au pouvoir, les renseignements militaires étant devenus une puissance dominante dans le pays et une base de soutien essentielle pour le président.

« Sous Moubarak, le rôle des renseignements militaires était marginal. Il consistait surtout à espionner les officiers de l’armée afin de s’assurer qu’ils restaient dans le bon chemin. Si les renseignements militaires essayaient de temps à autre de pousser un peu leurs frontières, ils étaient repoussés par les renseignements généraux ou l’unité d’investigations de la sécurité d’État », a affirmé Ashour.

« Un indicateur de ce changement est ce qui se passe dans les prisons politiques. Avant, la personnalité jouissant de la plus grande autorité était en général l’officier de la sécurité d’État […] alors que maintenant, ce dernier reçoit ses ordres d’un officier de la sécurité militaire. »

Traduction de l’anglais (original).

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