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Le manga de plus en plus populaire en Algérie

L’Algérie a récemment commencé à publier sa propre version du manga, face à une demande croissante de bandes dessinées de style japonais
Nora Belhadef au 8e Festival international de la bande dessinée d’Alger (MEE/Djamila Ould Khettab)

Postée dans le coin d’un pavillon animé, où de grandes affiches de héros de manga sont placardées sur le panneau à l’arrière du stand, Nora Belhadef est rayonnante. L’artiste de 24 ans, vêtue d’un jean slim bleu et de chaussures de sport noires, est sur le point de faire sa première apparition publique à l’occasion de la 8e édition du Festival international de la bande dessinée d’Alger (FIBDA).

Quelques minutes avant d’interagir pour la première fois avec son public, elle commence à avoir l’estomac noué.

« Je dessine depuis dix ans, et aujourd’hui, mes rêves sont en train de se réaliser... mais je suis complètement en panique ! Je n’ai aucune idée de ce que je vais dire aux lecteurs et de la façon dont je vais dédicacer les livres. »

Au départ, Belhadef a été attirée par le manga, une forme artistique de bande dessinée originaire du Japon, après s’être plongée dans la série de mangas japonaise Naruto, se souvient-elle. Elle tient dans ses mains un exemplaire de Lemri (qui signifie « miroir » en langue berbère amazigh). Cette histoire particulière, basée sur la mythologie d’un groupe ethnique du nord de l’Algérie, les Kabyles, parle d’un esprit maléfique qui hante Zakia, une étudiante de 23 ans. Les scènes ont lieu à Constantine, une ville située à environ 430 km à l’est d’Alger.

À côté d’elle, Kamel Bahloul, co-fondateur de Z-Link, la seule maison d’édition algérienne consacrée à la production locale de mangas et de bandes dessinées, qui a publié Lemri il y a quatre mois, essaie d’encourager la jeune mangaka (dessinatrice de mangas). « Nous sommes ravis de promouvoir une nouvelle génération de talents », a déclaré Bahloul.

Du 6 au 10 octobre, l’esplanade de Riadh el-Feth, sur les hauteurs de la capitale, a été un lieu de convergence pour les inconditionnels du roman graphique. Le manga s’est récemment développé en Algérie, un pays où la culture de la bande dessinée est forte.

Les bandes dessinées ont commencé à apparaître dans les journaux locaux à la fin des années 60. Après une baisse importante au cours de la décennie noire (la période de conflit armé entre le gouvernement et les islamistes rebelles pendant les années 90), la production locale a repris au milieu des années 2000 et le manga est devenu à la mode, a expliqué Salim Brahimi, partenaire de Kamel Bahloul.

« Non seulement les Algériens sont attirés par les bandes dessinées japonaises, mais des jeunes talents locaux ont également vu le jour et impriment leurs propres versions de l’art du manga », a indiqué Brahimi à MEE, tout en arborant fièrement un t-shirt noir personnalisé comportant l’inscription « Tu es invincible ».

Fella Matougui, une étudiante de 20 ans qui vit dans la région montagneuse de la Kabylie, est une étoile montante du « DZ-Manga »(ou « manga algérien », d’après l’indicatif régional « El Djazair »). Elle est devenue célèbre dans les cercles de la bande dessinée après avoir publié La Révolution en 2012, à l’occasion du 50e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France. Parmi les grands succès figure également Samy Kun, créé par Yacine Haddad. « C’est l’histoire d’un adolescent qui est mêlé aux questions du Sahara. L’histoire se déroule à Tamanrasset [à 1 900 km au sud d’Alger] », a raconté Brahimi à MEE.

(Illustration reproduite avec l’aimable autorisation de Z-Link)

Avec Victory Road, Sid Ali Oudjiane a également conquis le cœur des fans de manga algériens. « Sa série raconte la quête de gloire footballistique d’un écolier. J’admire vraiment sa capacité à dessiner comme un mangaka japonais. »

« Je suis venue acheter la dernière édition, mais malheureusement elle n’est pas encore disponible », a expliqué Khadidja Ramdani, repartant les mains vides. « J’adorerais devenir une mangaka. Je passe tout mon temps libre à dessiner des personnages », a ajouté la jeune fille de 19 ans, étudiante à l’université de Bab Ezzouar.

Âgée de dix-neuf ans, Khadidja Ramdani aspire à devenir un jour mangaka (MEE/Djamila Ould Khettab)

Les mangas de Z-Link sont tous produits localement, des dessins au script, a souligné Brahimi. Bien que les mangakas algériens restent fidèles au style japonais typique en utilisant les ingrédients de base, tels que l’humour cinglant, le suspense et des personnages hyperactifs, ils apportent à leur travail une touche locale distinctive, saupoudrée de l’argot algérien. « Nos publications racontent uniquement des scènes typiquement algériennes. Elles se concentrent sur des gens ordinaires. Il est donc facile de se lier à eux », a expliqué Brahimi à MEE.

Dans la tente de Z-Link, la foule reste impressionnante tout au long des journées du festival. Les adolescents, filles et garçons, affluent vers la table où figurent des copies de Laabstore Magazine, la revue mensuelle de Z-Link spécialisée dans le manga, la bande dessinée et les jeux vidéo. Un groupe de garçons commentent la une de Laabstore, qui montre une femme portant une tenue traditionnelle algérienne. « Certains ignorent encore totalement que l’Algérie produit ses propres mangas », a indiqué à MEE une hôtesse vêtue d’un polo noir personnalisé arborant le logo de la maison d’édition.

Les magazines tout comme les livres s’arrachent. « Nous vendons des centaines d’exemplaires par jour pendant le festival. Certaines éditions sont même en rupture de stock. Les filles lisent autant que les garçons », a expliqué l’hôtesse. « Nous vendons nos produits à des prix compétitifs. Ils sont trois fois moins chers que nos articles importés », a indiqué Kamel Bahloul à MEE.

Samy Kun (illustration reproduite avec l’aimable autorisation de Z-Link)

Devant le stand de Z-Link, les adultes semblent aussi intéressés que les jeunes festivaliers. « Le manga n’est pas l’apanage des jeunes. L’âge des lecteurs va de 7 à 77 ans », a précisé Kamel Bahloul. « J’ai acheté des livres pour mes trois petites-filles et j’ai fini par commencer à les lire. Ma mangaka préférée est Fella Matougui. Nous avons eu la chance de la rencontrer l’an dernier lors d’une exposition. Elle est si adorable et ses histoires sont poétiques et incroyables », a confié Meriem, 79 ans, à MEE, en montrant une photo postée sur Facebook de ses trois petites-filles lisant des bandes dessinées, affalées sur un canapé. Elle quitte le pavillon avec le dernier ouvrage de Matougui, Ghost.

Depuis son lancement en 2007, Z-Link est devenue une entreprise à succès et a développé son catalogue tout en augmentant son personnel. « Au départ, il n’y avait que nous deux, Salim et moi. Aujourd’hui, nous avons au total 30 employés », a confié Bahloul avec satisfaction. « Entre 2007 et octobre 2015, nous avons publié 53 éditions de Laabstore et 46 bandes dessinées, avec une majorité de DZ-Mangas. Les tirages de Laabstore sont passés de 2 000 à 10 000 exemplaires », a-t-il précisé. « Au début, certaines librairies hésitaient à réserver un espace pour les bandes dessinées. Désormais, compte tenu de la demande croissante, ils veulent que nous occupions une grande partie de leurs étagères », a poursuivi Brahimi.

Les œuvres sont publiées en darija (arabe dialectal), en arabe classique et en français. « Nous travaillons actuellement sur la traduction de nos publications en berbère avec l’aide du Haut commissariat à l’amazighité (HCA) », a indiqué Bahloul.

(Illustration reproduite avec l’aimable autorisation de Z-Link)

Sans aucun doute, la plus grande reconnaissance à ce jour provient de la « Mecque » du manga. En 2012, le Musée international du manga de Kyoto a sélectionné plusieurs ouvrages algériens. « Non seulement nos productions ont été exposées au Japon, [mais] des recherches ont aussi été menées sur le phénomène algérien, a raconté Brahimi. Les auteurs algériens ont également été invités à des festivals de la bande dessinée français réputés, à Angoulême et à Montpellier », a ajouté le cofondateur de Z-Link.

Cependant, aucun artiste algérien ne parvient à faire de sa passion son unique occupation. « Jusqu’à présent, personne ne gagne suffisamment pour arrêter de travailler », a expliqué Brahimi. Malgré son statut précaire, Nora Belhadef espère poursuivre sa carrière. « Je travaille actuellement sur un nouveau projet. À cause de mes études, je peux dessiner uniquement la nuit et le week-end. J’aimerais pouvoir étudier à l’université de Kyoto Seika pour améliorer mes compétences. Je sais que ce ne sera pas facile, mais si on aime quelque chose, il faut se battre pour cela. »

(Illustration reproduite avec l’aimable autorisation de Z-Link)

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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