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Le ministre irakien des droits de l’homme raconte la guerre contre l’État islamique et le massacre de Speicher

Les Forces de mobilisation populaires irakiennes ont engendré beaucoup de controverses, mais selon Bayati, elles ont permis de rétablir l'ordre dans une grande partie de l'Irak
Mohammed Mahdi al-Bayati Ameen, le ministre irakien des droits de l'homme, prend la parole lors d'une conférence de presse dans la capitale, à Bagdad, le 10 Juin (AFP)

Dr Mohammed Mahdi al-Bayati a probablement l'un des jobs les plus difficiles du monde en ce moment.

En tant que ministre des droits de l’homme en Irak, il a été confronté à la montée du groupe État islamique, réputé pour avoir commis parmi les pires abus contre les droits de l'homme du 21ème siècle. De plus, il est chargé de défendre des droits humains déjà fragiles en Irak, hérités d’un contexte de guerre et touchés par le sectarisme et la fragmentation.

L'année dernière, des millions de personnes ont fui leurs maisons en quelques mois. Quatre millions d'Irakiens sont maintenant et de plus en plus vulnérables aux abus. Les droits des femmes, des enfants et des minorités ont tous été mis à rude épreuve. Les milices chiites amenées à aider dans le combat contre l’État islamique font leurs propres lois, et les groupes des droits de l’homme les accusent de piller et incendier les maisons des musulmans sunnites. Les financements alloués aux droits de l'homme par le gouvernement central se sont également taris lorsque les ressources ont été canalisées dans l'effort de guerre.

Pourtant Bayati - qui a remplacé Mohammed Shia al -Soudani l'an dernier après un remaniement qui a vu le départ du Premier ministre Nouri al-Maliki - insiste pour que son ministère et le gouvernement restent engagés à promouvoir les droits humains dans le pays. Tout ce précieux travail doit continuer en dépit du contexte.

« L’État islamique est un énorme défi pour nous en Irak, le pays est à risque : ils contrôlent désormais trois zones »,  a déclaré Bayati à Middle East Eye lors d'une récente visite à Londres organisée par la Fondation Amar, une organisation caritative d'aide internationale qui se concentre à aider les réfugiés en Irak et en Iran.

« C’est un grand défi de maintenir les droits de l’homme depuis l’avancée de l’État islamique. Nous n’avons pas été en mesure de faire notre devoir en raison des risques de sécurité. »

« L’État islamique et l'ancien régime [du président Saddam Hussein] ont attaqué les minorités, et un grand nombre d’entre elles ont quitté leurs zones et ont cherché refuge à Bagdad et dans d'autres villes. Nous travaillons avec les organisations internationales pour les protéger, et nous partageons nos rapports avec ces organisations. »

L’État islamique a balayé de vastes étendues de l'Irak en juin dernier lorsqu’ils ont pris sous contrôle la deuxième ville du pays en quelques jours et ont saisi le centre-ville de Tikrit et ses champs de pétrole voisins. Depuis lors, obtenir des informations sur le territoire détenu par l’État islamique est une entreprise difficile car ses dirigeants n’hésitent pas à punir brutalement quiconque n’étant pas conforme à leur mode de vie rigide.

Bayati, cependant, déclare que son gouvernement basé à Bagdad garde le soutien populaire à Mossoul, et il reste déterminé à faire comparaitre les auteurs de violations des droits de l'homme.

« Des tentatives sont en cours pour informer sur les violations des droits de l'homme commises par l’État islamique contre le peuple irakien [même dans les zones détenues par l’État islamique]. Il est de notre devoir de les documenter à travers des rapports et des photographies, de rencontrer des témoins », a-t-il dit.

« Nous avons des sources. L’État islamique est à Mossoul, mais tout le monde à Mossoul n’est pas avec eux. »

Malgré l'occupation continue de vastes zones de l'Irak, les autorités ont déjà commencé à tenter de traduire les auteurs en justice. Mercredi dernier, l'Irak a condamné vingt-quatre hommes à mort pour leur implication dans le massacre du Camp Speicher, dans lequel des militants de l’État islamique ont tué  environ 1 700 soldats essentiellement chiites. Des centaines d'autres sont recherchés pour meurtres, la plupart d'entre eux sont toujours en fuite.

Alors que les groupes des droits humains condamnent la peine de mort, elle est légale en Irak. Bayati défend ce châtiment, soutenant que ce jugement n’est seulement appliqué qu’après une enquête approfondie.

« Plus de quinze d'entre eux [les accusés] ont avoué et ont expliqué qu’ils avaient été des instruments de meurtre. Pour d’autres, l’enquête est en cours », a-t-il dit.

« Les familles ont de grosses difficultés parce qu'ils ont perdu leurs proches dans ce massacre - le crime doit être traité comme un assassinat de masse. »

Une milice controversée

L'avance rapide de l’État islamique a pris tout le monde par surprise. Cependant, la capacité du groupe à gagner et puis tenir de grandes parties du pays a depuis, en partie, été attribuée à des politiques sectaires mises en place par les dirigeants principalement chiites depuis Bagdad. Beaucoup les accusent de travailler à aliéner la minorité sunnite irakienne.

Alors que le retrait de M. Maliki et la nomination du nouveau Premier ministre Haider al-Abadi en septembre dernier ont été orchestré pour inverser cette tendance, de nombreux sunnites du pays sont restés méfiants vis-à-vis des intentions de Bagdad.

La montée des milices chiites anti Daech soutenues par le gouvernement, formées après une fameuse fatwa du 13 juin 2014 proclamée par l’autorité chiite Ali Husseini Sistani en Irak, n'a pas arrangé les choses. Les milices sont accusées d’exalter les tensions et de commettre des séries de violations des droits de l’homme.

Bayati, cependant, est prompt à défendre les milices de volontaires appelées Forces de mobilisation populaires ou al-Hashd al-Shaabi en arabe.

« Ces forces protègent l'Irak et travaillent en coordination avec l'armée. Elles ont réussi à libérer les zones à Tikrit et Salah al-Din [au nord de Bagdad]. Elles encerclent maintenant Baiji [environ à 130 kilomètres au nord de Bagdad et abritant une importante raffinerie de pétrole] et ils se battent à l’intérieur des villes », a déclaré Bayati.

« Oui, il peut y avoir des erreurs dans la guerre urbaine, et le ministère a enquêté sur ces erreurs. Mais ces erreurs n’atteignent pas le niveau de violations de l’État islamique, parce qu'elles ne visent pas le peuple irakien », a-t-il ajouté.

Selon Bayati plus de 2000 volontaires ont été tués « dans la lutte pour protéger l'Irak » depuis l'année dernière. Il affirme également que, avec leur aide, les forces anti-Daech qui ont été soutenues par les États-Unis qui ont conduit des frappes aériennes depuis août 2014 sur l’État islamique -  ont réussi à regagner 50 % du territoire saisi par ce dernier.

Ce chiffre peut avoir été exagéré, les États-Unis ont déclaré avoir récupéré 25 à 30 % du pays, en grande partie grâce aux progrès kurdes dans le nord, mais Bayati reste inflexible sur le fait que les milices contribuent à faire de l'Irak un endroit plus sûr.

« Il n'y a pas de grand risque à Bagdad - le risque est à Mossoul et d'autres lieux similaires », a déclaré Bayati. «Depuis que les Hashd [les milices] ont été formées et ont commencé à travailler en coopération avec l'armée, le risque est plus faible. Les milices et les forces armées ont réussi à reprendre plus de 50 % des zones que l’État islamique avait conquises.

Mais récupérer les territoires est seulement une partie de la lutte. Les gens doivent encore être encouragés à retourner chez eux et à commencer à reconstruire leur vie. Ce processus peut être long et ardu. C’est souvent le cas pour les plus vulnérables comme les femmes, les enfants et les personnes âgées qui sont susceptibles d'être les plus durement touchés et risquent de subir des abus.

Bayati affirme que dès que le conflit avec l’État islamique aura cessé, son ministère mettra en place un plan pour aider « toutes les victimes de crimes commis pendant cette période ». Il veut travailler avec les partenaires de la région qui ont également été durement touchés par la croissance de l’État islamique, mais la communauté internationale devra également jouer un rôle de premier plan si l'Irak et ses voisins aspirent à une chance dans la construction d'un avenir meilleur, plus sûr et plus stable.

« Lorsque la paix sera rétablie en Irak et après que Daech soit expulsé [avec l'aide des puissances internationales], nous prévoyons de renforcer le statut des droits de l'homme dans toutes les provinces d’Irak », a déclaré Bayati.

« Pour ce faire, si nous avons besoin d’aide en raison des politiques d'austérité actuelles en Irak. Nous aurons besoin de travailler avec les organisations et les tribunaux internationaux ».

Traduit de l’anglais (original) par Margaux Pastor

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