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Le nouveau chef de la police israélienne vient d’un univers obscur

La minorité palestinienne en Israël s’inquiète du passé d’interrogateur de la police secrète et de colon extrémiste du numéro un de la police
La police israélienne monte la garde après avoir utilisé des grenades assourdissantes pour disperser des manifestants palestiniens dans une rue du quartier musulman de la vieille ville de Jérusalem au cours d’échauffourées avec la police anti-émeute israélienne, le 15 septembre 2015 (AFP)

NAZARETH, Israël –Fin septembre, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a parachuté un nouveau chef de la police après que les précédents candidats du gouvernement ont été écartés par la controverse.

Roni Alsheikh a officiellement été présenté comme un nouveau moyen de mettre fin aux nombreux scandales de corruption et scandales sexuels qui gangrènent la police israélienne depuis des années.

Le choix s’est d’abord porté sur Gal Hirsch, un ancien général de l’armée, mais a dû être revu le mois dernier après qu’il est apparu que le FBI avait fait part de soupçons pesant sur son entreprise d’armement.

Un autre candidat, Benzi Sau (qui a assuré l’intérim à la tête de la police pendant l’été), a suscité une avalanche de protestations de la part de la grande minorité d’Israël : les 1,5 million de citoyens palestiniens.

Il avait été vertement critiqué par une enquête judiciaire concernant le déploiement de tireurs d’élite contre des manifestants solidaires de la seconde Intifada il y a quinze ans. Treize manifestants non armés de la minorité palestinienne d’Israël avaient été tués en quelques jours d’affrontements.

Cependant, Alsheikh se révèle déjà être un choix encore plus inquiétant que peuvent l’être Hirsch ou Sau pour superviser l’application de la loi en Israël, en particulier pour les citoyens palestiniens qui constituent un cinquième de la population.

Aîda Touma-Suleiman, députée palestinienne de la Knesset appartenant à la Liste unifiée, a déclaré : « Nous nous sommes vivement opposés à Sau mais, au moins, il a commis ses crimes au grand jour. Les crimes d’Alsheikh contre les Palestiniens sont probablement encore plus graves que ceux de Sau, mais ils sont tellement secrets que nous ne pouvons pas savoir de quoi il s’agit. »

Connu sous la seule initiale « R »

Âgé de 52 ans, Alsheikh intègre la police après avoir opéré pendant plusieurs dizaines d’années dans deux univers obscurs : c’est un ancien officier supérieur de la police secrète d’Israël, connue sous le nom de Shin Bet, et un colon religieux qui a vécu dans certaines des plus extrêmes et violentes colonies de Cisjordanie.

Preuve du manque de transparence et responsabilité du Shin Bet, les médias israéliens devaient utiliser l’initiale « R » pour se référer au nouveau chef de la police jusqu’à ce que l’obligation de silence soit levée lors de sa nomination. Des photos d’Alsheikh ont alors été publiées pour la première fois.

Désormais libres de commenter cette nomination, les médias israéliens ont révélé plusieurs aspects inquiétants de la vie professionnelle et personnelle d’Alsheikh – des qualités qui, comme l’a fait remarquer un commentateur israélien, auraient dû lui interdire de servir dans la police dans « un État de droit ».

Au Shin Bet, où il s’est hissé jusqu’au poste de directeur adjoint, Alsheikh était spécialisé dans l’interrogatoire des suspects palestiniens.

Comme l’ont rapporté les organisations de défense des droits de l’homme israéliennes, le chantage et la torture constituent les fondations des salles d’interrogatoire du Shin Bet, malgré une décision de la Cour suprême israélienne en 1999 qui interdit les violences physiques à l’encontre des détenus, excepté si la vie du personnel de sécurité est en danger.

Bien que le Shin Bet soit souvent désigné comme le service de renseignement intérieur d’Israël, une grande partie de son travail est en fait réalisé en dehors des frontières reconnues d’Israël, à savoir dans les territoires palestiniens occupés.

Ses principales tâches consistent à espionner les Palestiniens, à la fois en Israël et dans les territoires occupés, à choisir les gens à arrêter, à interroger les détenus dans des procédures qui ne sont pas enregistrées et à utiliser les informations recueillies pour faire pression sur les Palestiniens afin qu’ils collaborent.

La capacité d’Alsheikh à obtenir des informations de suspects réticents lui ont valu le surnom de « renard ».

Mohammed Zeidan, directeur de l’Association des droits de l’homme de Nazareth, a qualifié cette nomination de « dangereuse ».

« On craint qu’Alsheikh importe les méthodes opérationnelles du Shin Bet dans la police israélienne », a déclaré Zeidan à Middle East Eye.

Un passif de brutalité policière

Les citoyens palestiniens d’Israël se plaignent depuis longtemps d’être les premiers touchés par la brutalité policière.

Paradoxalement, la nomination d’Alsheikh a été validée le jour même où la minorité palestinienne commémorait les treize victimes de la police en octobre 2000.

La commission Or, qui a enquêté sur les meurtres, a conclu que la police traitait les citoyens palestiniens comme « un ennemi » et a exigé des réformes institutionnelles urgentes. Aucune n’a été entreprise.

Les événements de 2000, et le meurtre ultérieur par la police de dizaines de citoyens palestiniens dans des circonstances inexpliquées, ont engendré une profonde méfiance de la minorité palestinienne à l’égard de la police.

La nomination d’Alsheikh lui donne des raisons de se méfier et de craindre davantage la police, a averti Touma-Suleiman.

« Il s’agit d’une déclaration d’intentions de la part du gouvernement. Il prévoit d’ancrer davantage l’idée que nous sommes une menace pour la sécurité. »

Le nouveau chef de la police appartient à un groupe idéologique extrémiste connu en Israël comme le nationalisme religieux. En pratique, c’est l’idéologie de nombreux colons israéliens.

Le Conseil de Yesha, l’organisation gérant les colonies en Cisjordanie, a été parmi ceux qui se sont empressés de saluer la nomination d’Alsheikh.

Ce dernier a vécu à Kiryat Arba, l’une des colonies les plus connues et les plus violentes de Cisjordanie, située à proximité de la grande ville palestinienne d’Hébron.

Récemment encore, il vivait dans une autre colonie extrême : Kokav Hashahar, une communauté de 350 familles située au nord-est de Ramallah, sur une crête surplombant la vallée du Jourdain.

« Complice du vol de la terre »

Bien que toutes les colonies soient illégales par rapport au droit international, le chroniqueur israélien Gideon Levy a souligné que les colons de Kokav Hashahar ont en outre brisé les lois d’Israël au fil du temps en fondant ce qu’on appelle des « avant-postes » (outposts en anglais). Ces satellites de la colonie d’origine ne sont pas officiellement autorisés par le gouvernement israélien.

Levy demandait : « Est-ce qu’un complice d’un vol d’une telle ampleur [de la terre palestinienne] peut vraiment être policier ? »

Alsheikh a déménagé de Cisjordanie en Israël il y a trois ans, parce qu’il aurait été trop difficile pour ses gardes du corps d’assurer sa sécurité dans une colonie à distance.

Touma-Suleiman a noté que les colons et leurs alliés idéologiques avaient progressivement pris le contrôle des services de sécurité d’Israël ces vingt dernières années.

C’est plus particulièrement évident dans l’armée israélienne, où les colons sont fortement surreprésentés parmi les officiers et dans les unités de combat.

Toutefois, les membres de la communauté nationale-religieuse occupent également les plus hauts postes du Shin Bet et du Conseil national de sécurité, l’organe consultatif du premier ministre sur les questions de sécurité.

On peut noter une évolution similaire dans le corps diplomatique, le gouvernement, les tribunaux et les universités. Un analyste israélien a appelé cela la « révolution de la kippa crochetée », en référence au type de kippa portée par les colons et leurs alliés.

Désormais, Alsheikh sera en mesure de diriger la police israélienne selon la même idéologie. Ce qui accélérera probablement un processus commencé en 2010, lorsque la police avait annoncé qu’elle lançait sa première campagne de recrutement d’agents venant des colonies.

Majd Kayyal, un analyste politique, faisait remarquer : « Dans un pays normal, ce serait de la folie de nommer un colon qui a enfreint la loi comme Alsheikh au poste de chef de la police. Mais nous ne vivons pas dans un environnement normal. »

Une plus grande influence des colons

Outre la probable prédilection d’Alsheikh pour le plus grand secret et son recours à des techniques de collecte d’informations illégales, plusieurs questions relatives à l’activité des colons en Israël et à Jérusalem-Est font que sa nouvelle influence sur la police est un motif de préoccupation particulier.

Le fait que, comme chef de la police, Alsheikh gérera désormais directement et quotidiennement la situation déjà très instable autour de la mosquée al-Aqsa dans la vieille ville de Jérusalem constitue la préoccupation immédiate.

Ces dernières semaines, de nombreux affrontements se sont produits entre Palestiniens et la police israélienne alors que les colons ont multiplié leurs visites provocatrices aux environs de la mosquée pendant la saison des fêtes juives.

Les colons exerceraient des pressions sur le gouvernement de Netanyahou pour diviser le site d’al-Aqsa, dans l’espoir de répéter leur succès d’il y a vingt ans avec la mosquée Ibrahimi à Hébron. Ils pourraient alors revendiquer le droit d’y prier, comme l’ont exigé plusieurs ministres du gouvernement.

Touma-Suleiman a déclaré qu’on pouvait déjà voir la marque d’Alsheikh dans la décision prise par la police de mettre en place des barrages routiers à l’entrée des communautés palestiniennes en Israël pour vérifier si les véhicules se dirigeaient vers Jérusalem.

Alsheikh pourrait également rapidement intervenir au profit du nationalisme religieux dans les soi-disant « villes mixtes », une demi-douzaine de communautés en Israël où citoyens juifs et palestiniens vivent relativement près les uns des autres.

Ces dernières années, des groupes de colons reviennent en Israël dans ce qui semble être une guerre de faible intensité visant à expulser des familles palestiniennes et achever « la judaïsation » des villes mixtes.

Et puis, il y a la question urgente des efforts déployés ces dernières années par des colons extrémistes qui prennent pour cible de leurs attaques les citoyens palestiniens et les lieux saints musulmans et chrétiens en Israël.

En juillet, un incendie criminel a gravement endommagé une célèbre église au bord de la mer de Galilée qui marquerait l’endroit où, selon les chrétiens, Jésus a accompli un miracle en alimentant ses disciples avec des pains et des poissons.

La police et le Shin Bet ont été critiqués pour leur échec cuisant dans l’identification des responsables de ces crimes haineux. Un ancien chef du Shin Bet, Carmi Gillon, affirmait l’an dernier qu’il y avait un manque de détermination dans l’agence à sévir contre les colons violents : « Au Shin Bet, l’impossible n’existe pas, l’absence de volonté si. »

Il y a tout lieu de penser que cette attitude va maintenant ancrer ses racines dans la police israélienne.

Traduction de l’anglais (original) par VECTranslation.

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