Le Yémen, un pays où il ne fait pas bon vieillir
YÉMEN - Ahmed est assis dans la rue sur son fauteuil roulant, en face de l’hospice Mère Teresa ; il quémande de l’argent auprès des passants par un matin glacial. Il est sans ressources depuis que ses deux fils Abdoullah et Aboubaker ont perdu leurs emplois respectifs à cause de la guerre et qu’ils sont partis s’engager par besoin d’argent.
Ce centre d’hébergement, où une organisation caritative catholique s’occupe de moins de cent personnes, est le seul de ce type à des centaines de kilomètres à la ronde, et l’un des quatre seuls centres de tout le Yémen. Son avenir est incertain depuis que des militants ont tué seize travailleurs sociaux et notamment des religieuses au cours d’une attaque qui a eu lieu vendredi 29 février à Aden. Les assassins auraient réussi à entrer en racontant au personnel qu’ils venaient rendre visite à leur mère.
Ahmed, homme fier âgé d’environ 60 ans, nous a parlé avant la survenue de l’assaut, nous expliquant que ce refuge était son seul espoir. Au Yémen, c’est la famille élargie qui doit s’occuper des personnes âgées ; le gouvernement n’accorde pas de pension de retraite et n’offre aucune assistance médicale.
Cependant, les liens familiaux se fragilisent rapidement tandis que la guerre provoque un désastre pour l’économie et pour la population. En conséquence, beaucoup se retrouvent dans la même situation qu’Ahmed.
« Je n’ai personne pour m’aider dans la vie, et je suis handicapé, c’est pourquoi j’ai essayé d’entrer à l’hospice Mère Teresa, mais ils m’ont refusé, a-t-il déclaré à Middle East Eye. Ils m’ont dit que le centre était plein. Ils refusent toute personne qui a encore de la famille, même s’il s’agit de personnes âgées et handicapées comme moi.
« Mon seul espoir actuellement, c’est d’entrer dans cette maison de retraite, car il y a là-bas des gens bien qui pourront prendre soin de moi, et je pourrai y avoir un peu de confort. »
À la place, Ahmed mendie tous les jours avant de retourner le soir dans la petite chambre que lui fournit une autre organisation caritative. L’argent qu’il peine à rassembler n’est pas suffisant. Sans l’aide de ses voisins, qui lui donnent de la nourriture, il serait probablement en train de mourir de faim.
On estime à 250 000 le nombre de personnes âgées qui subissent le même sort que lui au Yémen, selon des sources gouvernementales qui ont accepté de s’entretenir avec MEE.
Walid est confronté aux mêmes problèmes avec son père Abdoullah. Cet homme de 33 ans a perdu son travail de vendeur de voitures lorsque la guerre a éclaté, et il s’est avéré difficile pour lui de prendre en charge l’affection rénale de son père. Mais il n’y a pas de place pour lui au centre Mère Teresa.
« Ce centre d’hébergement est le meilleur endroit possible pour les personnes âgées, et les ressortissants étrangers qui travaillent là-bas s’occupent des vieilles personnes, mais ils refusent d’admettre les gens qui ont encore leurs enfants », a-t-il déclaré à MEE.
Le refuge Mère Teresa affirme être submergé de demandes d’assistance, et son directeur, qui a souhaité gardé l’anonymat, a déclaré que cette infrastructure avait été contrainte l’an dernier à recevoir de nouvelles personnes.
« La police nous envoie des gens qu’elle trouve dans la rue et qui n’ont pas de famille. Mais le refuge n’a tout simplement pas la place de les accueillir tous. »
Même avant l’attaque survenue à Aden, la sécurité des résidents était clairement une source d’inquiétude. Le directeur nous a refusé l’accès au refuge en vue de nous entretenir avec les résidents.
Le gouvernement n’est que trop au courant des terribles conditions auxquelles les personnes âgées doivent faire face en temps de guerre, mais il ne fait rien pour leur venir en aide. Il n’y a pas de refuges gérés par l’État, ni de budget à affecter aux personnes âgées, a affirmé à MEE une source appartenant au ministère des Affaires sociales.
« Dans tout le pays, il n’y a que quatre centres d’accueil pour personnes âgées appartenant à l’association Mère Teresa ; ils peuvent s’occuper de 200 personnes, alors qu’il y a plus de 250 000 personnes dans le besoin dans tout le pays », a déclaré cette source gouvernementale.
« Quand le ministère des Affaires sociales essaie de déposer une demande aux ministères des Finances et de la Planification, ces derniers refusent la demande et nous disent que le gouvernement doit se reposer sur l’aide que les organisations caritatives apportent aux personnes âgées. »
Cette personne a ajouté qu’il était nécessaire d’ouvrir au moins un hospice géré par l’État dans chaque province, et au moins quatre dans chacune des grandes villes.
S’ajoute au problème le fait que l’association Mère Teresa est une organisation caritative catholique œuvrant dans un pays musulman.
La conversion à une autre religion est un crime passible de la peine de mort au Yémen, et même les associations risquent d’être soupçonnées et de subir les attaques de groupes tels que l’État islamique (Daech) et al-Qaïda.
Comme les événements d’Aden l’ont montré, l’ONU ayant en effet imputé cette attaque à Daech, ce type de centres d’accueil ne peut toujours pas assurer une vie confortable aux personnes âgées yéménites ni garantir leur sécurité.
Al-Qaïda a rapidement décliné toute responsabilité dans cet attentat, déclarant que « cela n’entre pas dans le cadre de [ses] opérations et ce n’est pas [sa] manière d’agir ».
Nasser al-Salami, professeur d’études islamiques à l’université d’al-Eman, a soutenu qu’en raison des tensions religieuses, les centres Mère Teresa n’étaient pas une réponse adéquate pour le Yémen.
« Il faut que le gouvernement ferme les hospices Mère Teresa pour les remplacer par des infrastructures gérées par l’État », a-t-il déclaré à MEE.
Abdoul Malik, un homme d’environ 70 ans veuf et sans domicile, fait partie de ces personnes âgées qui préfèrent mendier alors qu’elles remplissent les critères pour recevoir l’aide de cette organisation caritative.
« Je dors sous les arbres, et la police m’a arrêté plus d’une fois ; ils ont essayé de me persuader d’aller au refuge Mère Teresa, mais je préfère rester sous les arbres », a-t-il confié à MEE.
* En raison des événements qui ont eu lieu à Aden, Middle East Eye a pris soin de garder secret l’emplacement des lieux évoqués et de changer le nom des personnes interrogées.
Traduction de l’anglais (original) par Mathieu Vigouroux.
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