Les migrants et les Italiens dans le besoin s’unissent pour le respect de leurs droits
Une peinture positionnée derrière l’autel représente un saint accueillant un groupe de pétitionnaires aux portes de l’église. Seront-ils autorisés à pénétrer dans la maison de Dieu ? La peinture complète le sentiment d’incertitude optimiste qui émane du sanctuaire.
Moeeb (17 ans) et sa famille attendent dans une église de Bologne, Italie, pour savoir s’ils auront ce soir un endroit où passer la nuit. Mohamed, son frère de 22 ans fan de Caravaggio (et qui parle cinq langues couramment), semble étonnement calme face aux circonstances. Lorsqu’on lui demande s’il a peur de se retrouver à la rue, il répond, stoïque : « L’Italie est comme un musée géant à ciel ouvert ».
Moeeb et sa famille se sont fait expulser de leur maison la nuit précédente. « J’ai été réveillé par le bruit des policiers défonçant les portes et criant à tout le monde d’aller au troisième étage, qui est vide et sans chambre. Nous étions tous perdus, effrayés », raconte Moeeb, arrivé en Italie avec sa famille en 2004, à l’âge de 5 ans.
Aux premières heures du jour, la police italienne a confronté les manifestants lors de l’éviction très contestée de l’occupation d’un logement social. Nommé en hommage à Nelson Mandela, le squat avait été établi en 2013 par un syndicat et ses organisations affiliées, et accueillait près de 50 Italiens et migrants, dont des personnes âgées et des familles incluant des mineurs. Squatter est illégal en Italie et la pratique est devenue la cible d’expulsions de plus en plus fréquentes.
Donné à un hôpital par l’ancien propriétaire, l’immeuble est resté vide pendant des années avant que l’occupation ouvre ses portes aux chômeurs et travailleurs précaires. Selon un communiqué de presse du syndicat, USB, l’hôpital avait accepté un arrangement avec les occupants. On ignore si c’est l’hôpital qui a demandé l’expulsion dans la mesure où le squattage, du fait de son illégalité, peut faire l’objet d’une procédure de police sans l’autorisation des propriétaires. Il ne semble pas exister dans l’immédiat de plan pour l’utilisation du bâtiment.
Davide, un membre d’un groupe d’activistes anti-austérité et anti-globalisation appelé Noi Restiamo (« Nous restons », également affilié au squat), explique que l’occupation cherchait à mettre en lumière la dimension globale de problèmes locaux. « À l’ère post-industrielle, l’usine n’est plus le principal moyen d’organisation. L’économie globale atomise les espaces sociaux, et il est de plus en plus douloureux de voir que des migrants paupérisés et des Italiens défavorisés ont beaucoup en commun. Notre objectif est de les rassembler dans une lutte commune. »
Et c’est précisément ce que le squat semble avoir accompli lorsque ses membres – migrants comme Italiens – ont mené une lutte spectaculaire contre la police la semaine dernière. Pendant que les activistes se hâtaient d’organiser une manifestation spontanée contre l’expulsion, les occupants tambourinaient contre des pots et des casseroles depuis leurs fenêtres et allumaient des feux pour attirer l’attention des passants dans la rue en contre-bas. Certains occupants se sont échappés par le toit pour soutenir les manifestants aux prises avec la police dans la rue – des échauffourées qui ont fait treize blessés. D’autres ont rejoint les activistes en scandant « Plus de sans-abris » et « Est-ce cela qu’ils appellent une démocratie ? ».
Environ 40 occupants sont restés enfermés à l’intérieur. Mohamed raconte : « Quelqu'un nous a dit que nous serions installés dans une sorte de structure pendant deux semaines, mais on ne nous a donné aucune garantie sur ce qui va se passer par la suite. On nous a dit que les représentants des services sociaux ne nous parleraient que si nous quittions le bâtiment ». On ignore si une aide d’urgence sera allouée à chacun ou seulement aux familles.
Après des heures de délibération, les occupants ont été évacués, refusant presque tous d’accepter les solutions temporaires proposées par la mairie. « Nous ne voulons pas de solutions temporaires », a déclaré un homme expulsé, Mehmood, à MEE.
Mehmood était parti travailler à 5 heures du matin mais avait dû se précipiter chez lui après avoir reçu un appel d’un voisin. « Nous avons déjà eu des solutions temporaires et elles n’ont pas amélioré notre situation. La crise du logement est plus grande que ces solutions. Nous voulons nos droits maintenant. »
La criminalisation de la pauvreté
Selon une étude, 45 000 familles font face à une situation d’« urgence en matière de logement » à Bologne. Le taux de réussite des demandes de logements sociaux est lamentablement bas, avec seulement 400 demandes acceptées par la municipalité sur un total d’environ 10 000 demandes reçues chaque année.
Des mesures strictes d’austérité ont démantelé le système d’assistance sociale italien, et les plans économiques monochromatiques du Premier ministre Matteo Renzi nécessitent de robustes amortisseurs, si ce n’est une révision complète. Alors que de nombreux services sont dispensés par les organismes de charité de l’Église romaine catholique ou par des entrepreneurs privés prédateurs (par exemple, les centres d’accueil des migrants qui sont souvent contrôlés par la mafia), de nombreux migrants font l’expérience d’une rapide érosion de leurs droits, et donc de leur autonomie.
Migrants et refugiés sont de plus en plus dépendants du secteur privé, où la prestation de services dépend des caprices et intérêts particuliers des prestataires (ou de l’organisme de financement). En raison du statut juridique inférieur des migrants et du stigmate social qui leur est associé, les abus à leur encontre sont largement ignorés et tolérés par le public, causant un « déficit de dignité ». Ainsi que l’a déclaré un membre du syndicat USB : « Si la réponse à la crise du logement est de ‘’descendre dans les rues’’, alors occuper [un lieu] est un acte de dignité ».
Ses propos se font l’écho d’un sentiment exprimé récemment dans une affaire de justice qui pourrait faire jurisprudence en ayant vu l’acquittement d’un homme condamné à six mois de prison et à une amende d’environ 120 dollars pour avoir volé 6 dollars de nourriture. Le tribunal a décidé que l’homme avait agi par nécessité et que l’on ne pouvait s’attendre à ce qu’il « fasse l’impossible » et meure de faim.
Pour « ceux qui y ont droit »
En refusant d’accepter une aide temporaire et en optant pour des occupations précaires (et souvent illégales) de logements, les migrants ont cherché à affirmer leur pouvoir, une dimension du mouvement de squattage qui demeure ignorée par les autorités municipales. Le maire de Bologne, Virginio Merola, a accusé les activistes d’exacerber inutilement le problème sur « le dos des pauvres » afin de poursuivre leurs propres desseins politiques. Il a ajouté que l’assistance sociale était disponible pour ceux « qui la veulent ».
La conseillère en assistanat social Amelia Frascaroli a appuyé la position de l’élu, ajoutant qu’« en faisant un choix moins politisé et moins irréfléchi, on aurait pu arriver à une conclusion progressive. Les services seront opérationnels dès à présent, garantissant la protection immédiate de ceux qui y ont droit ».
Selon l’historienne du travail Anna Calori, une telle rhétorique cimente davantage l’exclusion sociale des migrants. En choisissant de donner une image fausse de leurs raisons de refuser les solutions offertes par l’État, « la municipalité les dépeint comme des personnes ayant uniquement une action négative, des personnes manipulées par les syndicats et dont les seuls choix souverains consistent à rejeter les options ‘’légales’’ qui leur sont proposées ».
Elle ajoute que ces insinuations selon lesquelles les migrants et les Italiens paupérisés cherchent volontairement à rester en dehors des frontières légales confortent une image négative qui nuit à la cohésion sociale. C’est l’une des raisons « pour lesquelles le relogement des 280 personnes expulsées de l’ancien bâtiment des Telecom dans la résidence d’urgence Galaxy a provoqué des protestations de la part des habitants qui ont craint que les migrants apportent la criminalité dans leur voisinage. »
Selon Mehmood, le but de l’occupation est contre-intuitif et sa logique soulève une question inquiétante : « En fournissant un niveau de vie décent, vous éloignez les gens des activités criminelles. Le fait d’être sans abri, au chômage et de manquer de soutien émotionnel peut vous pousser [au crime]. L’occupation était peut-être illégale mais elle nous a protégés de ces choses. Je déteste perdre [cette protection] ... N’en feriez-vous pas autant ? »
Traduit de l’anglais (original).
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