Maroc : nouvelle mobilisation dans la ville d'Al Hoceima
Aux cris de « Vive le Rif » et « non à la militarisation », ou dénonçant la « corruption » de l'État, des milliers de personnes se sont rassemblées en fin d'après-midi sur la place du centre-ville d’Al Hoceima, ville de la région du Rif, dans le nord du Maroc.
« Êtes-vous un gouvernement ou un gang ? », pouvait-on lire sur une banderole qui reprenait le principal mot d'ordre du jour.
Cinq check-points des forces de sécurité filtraient le trafic entrant dans la ville, alors que d'importants renforts des forces de l'ordre étaient arrivés ces derniers jours dans et autour d’Al Hoceima.
Les autorités marocaines ont coutume de prévoir une lourde présence policière lors de ce type de protestations, nerveuses depuis les manifestations de 2011 suite auxquelles le roi avait délégué une partie de son autorité à un gouvernement élu dans le cadre d’une réforme constitutionnelle.
Soulignant le caractère « pacifique » de leur lutte, les manifestants de jeudi, dont certains brandissaient des drapeaux amazighs ou de l'éphémère République du Rif proclamée dans les années 1920, ont ensuite marché dans la ville, avant de se rassembler de nouveau sur la place principale, où le leader du mouvement, Nasser Zefzafi, a longuement harangué la foule.
Celui-ci a dénoncé pêle-mêle la « corruption » de l'exécutif et des politiciens locaux, les « mafias » locales, « l'esprit de répression » de l'État et de ses services de renseignement qui « manipulent les institutions », la « présence massive » des militaires dans la ville, le « sous-développement » de la région, ou encore le nouveau gouvernement islamiste.
S'en prenant au gouverneur local, il a une nouvelle fois rejeté les accusations de séparatisme lancées par les autorités centrales, exigé la « libération » de militants de sa mouvance et la « démilitarisation » de la province, citant au passage des versets du Coran.
Le rassemblement s'est déroulé sans heurt et s'est dispersé vers 22 heures heure locale (21 heures GMT). Le 5 mai, une manifestation dans la commune de Bni Boufrah avait été violemment dispersée.
Les protestataires étaient près de 5 000, dont la moitié était des mineurs et une majorité venait de l'extérieur de la ville, selon les autorités locales. Interrogé par l'AFP, un proche de Zefzafi a affirmé qu'ils étaient « jusqu'à 200 000 ».
Le Rif a brièvement déclaré son indépendance dans les années 1920 lors de la résistance à la domination coloniale espagnole. Même après l'indépendance, les Rifains ont entretenu une relation troublée avec les autorités centrales, affirmant que celles-ci les avaient abandonnés.
Ces tensions latentes se sont intensifiées depuis la mort fin octobre 2016 d'un vendeur de poisson, broyé accidentellement dans une benne à ordures alors qu’il tentait de récupérer son matériel jeté dans une poubelle par la police.
L'incident avait suscité l'indignation dans le pays, se manifestant dans la province d'Al Hoceima sous la forme de manifestations récurrentes et d'un mouvement plus social et politique mené par un groupe d'activistes locaux, le Hirak (« mouvement »), qui dénonce la corruption et pose de nombreuses revendications pour le développement du Rif, qu'il estime marginalisé.
« La mort de Mouhcine Fikri a été la dernière goutte qui a fait déborder le verre », a déclaré à l’agence Reuters l'activiste Rabih Boushaaoul, membre du Hirak. « La mort de Fikri a réveillé le Rif d’un sommeil profond ».
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« Nos demandes sont claires, nous voulons la suppression de la présence des forces de sécurité ici, nous voulons des hôpitaux... nous voulons des emplois, nous voulons des universités », a résumé un autre membre du Hirak, Mohammed Boumasoud, 23 ans.
L'État, de son côté, met en avant les importants efforts financiers consentis ces dernières années, et a multiplié les annonces en faveur de l'économie locale.
Le ton s'est néanmoins durci ces dernières semaines. Via les réseaux sociaux, les activistes du Hirak ont multiplié les paroles de défiance et les harangues contre la « répression » du pouvoir, tandis que l'exécutif a dénoncé les « intox » des militants et annoncé une prochaine riposte judiciaire.
Comme l’a précédemment déclaré à Middle East Eye le politologue Mohammed Masbah, chercheur au think tank Chatham House, une réponse sécuritaire aux revendications économiques et sociales des Rifains pourrait « mettre de l’huile sur le feu ».
« Encore une fois l’État marocain n’a pas opté pour le dialogue. En favorisant la répression, il a radicalisé les revendications du mouvement de protestation, ce qui a aussi accentué la méfiance entre les différentes parties », a-t-il expliqué.
« Si l’État ne change pas de comportement, ces revendications économiques, sociales et culturelles risquent de se transformer en revendications politiques et s’amplifier au point que l’État pourrait ne plus être en mesure de les contrôler. »
L’agence officielle MAP a indiqué que la situation à Al Hoceima avait été débattue « de manière approfondie » jeudi au cours d'un Conseil de gouvernement.
Le gouvernement a à cette occasion réaffirmé sa volonté de répondre aux « revendications légitimes des citoyens », tout en « préservant la sécurité » et en faisant preuve de « vigilance à l'égard de certains comportements qui visent à créer un climat de blocage social et politique ».
Un mouvement de « grève générale » annoncé pour ce vendredi est diversement suivi, selon plusieurs médias marocains.
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