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Molenbeek, le « ghetto » devenu hub d’entreprises innovantes

Molenbeek à Bruxelles, dont sont originaires les auteurs des attentats de Paris en 2015, est souvent stigmatisée comme une « no-go zone ». Pourtant, cette commune a réussi à attirer de jeunes entrepreneurs qui changent peu à peu son image
Amelia Yulheri, jeune Bruxelloise de 26 ans, a suivi une formation à MolenGeek, école de programmation informatique (AFP)
Par Safa Bannani à BRUXELLES, Belgique

« Hameau djihadiste belge » ou encore « foyer de l’islamisme radical » : les stigmates collent encore à Molenbeek, cette commune d’environ 100 000 habitants, à seulement un kilomètre du centre de Bruxelles, très médiatisée depuis les attentats qui ont frappé la France en novembre 2015.

C’est là qu’a notamment grandi Salah Abdeslam, seul membre encore vivant des commandos qui ont mené les attaques à Paris. Fin avril, la justice belge l’a condamné, avec son complice tunisien Sofiane Ayari, à vingt ans de prison pour leur participation à une fusillade avec des policiers à Bruxelles en mars 2016.

Bar « Les Béguines », qui appartenaIt à Brahim Abdeslam, l’un des kamikazes impliqués dans les attentats de Paris, le 17 novembre 2015, dans la commune bruxelloise de Molenbeek (AFP)

Pourtant aujourd’hui, Molenbeek est en passe de devenir un hub de l’entrepreneuriat de la capitale européenne. Les start-ups et les espaces de coworking qui ont fait le choix de s’installer à Molenbeek sont de plus en plus nombreux.

C’est le cas de LaVallée, le plus grand coworking space de Molenbeek. « C’est un gros avantage de se trouver à Molenbeek, l’ancienne commune industrielle de Bruxelles », affirme avec enthousiasme à Middle East Eye, Pierre Pevée, chef de projet à LaVallée.

« Molenbeek bouillonne de projets culturels »

- Pierre Pevée, chef de projet à LaVallée

« Molenbeek rassemble toutes sortes d’activités autour de la création, de l’art, de l’artisanat, etc. », souligne-t-il.

L’ambition de l’animateur de LaVallée est de réunir à Molenbeek « des entrepreneurs culturels ayant une vision business, une vision sociale et artistique dans le même bâtiment afin d’échanger leurs compétences. »

Le choix de LaVallée de s’installer à Molenbeek n’était pas anodin car la commune « se trouve à un kilomètre de la Grand-Place de Bruxelles, le long du canal », explique Pierre. « Le musée d’Art contemporain va y ouvrir prochainement, Molenbeek bouillonne de projets culturels. »

Espace de coworking, LaVallée accueille aussi des expositions (Facebook/LaVallée)

L’incubateur B-Sprouts, clin d’œil au chou de Bruxelles en anglais, est une autre de ces initiatives. Inauguré en 2017 par le vice-Premier ministre Alexander de Croo et Françoise Schepmans, maire de Molenbeek, B-Sprouts mise sur la diversité et l’international.

« La diversité est un précieux atout de Bruxelles et plus précisément de Molenbeek. Les différentes langues et les multiples cultures aident les startups à se différencier sur le marché, surtout en dehors de la Belgique », insiste Hugo Hanselmann, président de B-Sprouts à MEE.

Une des communes les plus pauvres de la Belgique

Si Molenbeek figure parmi les communes les plus pauvres de la Belgique avec un revenu moyen annuel de 10 210 euros par habitant, la situation défavorisée de la commune n’a pas empêché certains jeunes Molenbeekois de se lancer dans l’entrepreneuriat.

Ibrahim Ouassari, 39 ans, en est un exemple. Originaire de Molenbeek, il a arrêté l’école à 13 ans et a cofondé MolenGeek.

« MolenGeek est un endroit où on veut prouver aux jeunes que le monde des technologies est à leur portée »

- Ibrahim Ouassari, cofondateur de MolenGeek

Lancée en 2015, cette innovante école de formation à la programmation informatique a débuté́ par des « hackathons », des évènements de

quelques jours qui permettent à des porteurs de projets technologiques de tester leur concept et leur équipe.

Lancée en 2015, MolenGeek est une école innovante de formation à la programmation informatique (Facebook/MolenGeek)

Depuis, MolenGeek est devenu un incubateur, avec un espace de coworking, comptant une cinquantaine de membres actifs et une vingtaine d’employés. « MolenGeek est un endroit où on veut prouver aux jeunes que le monde des technologies est à leur portée malgré un certain élitisme dans ce domaine. Ça ne les empêchera pas de développer une carrière », lance avec fierté Ibrahim, convaincu qu’« il y a une demande et un grand potentiel à Molenbeek ».

MolenGeek compte à son actif de nombreux prix. Après avoir reçu le prix du Global Citizenship Awards, organisé par Samsung, pour son implication citoyenne à Séoul et avoir été mis à l’honneur à New York lors d’une conférence sur l’innovation numérique, en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, elle a reçu cette année, le prix du Bruxellois de l’année 2017 pour la catégorie Économie.

« Faire rayonner Molenbeek différemment »

« Que des gens aient peur de venir à Molenbeek, ça ne m’affecte pas, parce que je connais la valeur des habitants de cette commune », assure à MEE, Ibrahim le cofondateur de MolenGeek. « Je ne suis pas l’office du tourisme pour me préoccuper de l’image de Molenbeek. Notre priorité est d’y développer les opportunités dans le secteur des technologies et d’investir dans le grand potentiel des jeunes qui y vivent. », poursuit-il avant d'ajouter : « Si on arrive à faire rayonner Molenbeek différemment, on sera très contents, même si ce n’est pas notre priorité ».

« Le gouvernement belge, les autorités locales et les habitants se sont beaucoup impliqués pour rétablir la réputation de Molenbeek »

- Hugo, PDG de B-Sprouts

Ce renouveau, Molenbeek le doit en partie à la solidarité face aux retombées négatives en termes d’image qui ont suivi les attentats. Pierre Pevée, responsable de LaVallée se souvient avec amertume de ce « bashing » après les attaques « un frein pour l’organisation de certains de nos évènements ».

« Les gens avaient peur de venir à Molenbeek », reconnaît-il. « Mais nous avons été incorporés dans une dynamique citoyenne de partage et d’échange avec les autres acteurs et les habitants. Grâce aux activités sociales, culturelles et professionnelles offertes aux habitants de Molenbeek, cette commune a créé une réelle dynamique citoyenne et créative », se félicite-il.

L’équipe de B-Sprouts (Facebook/B-Sprouts)

Même fierté partagée par Hugo le PDG de B-Sprouts. « En dépit des fausses étiquettes collées à Molenbeek, nous croyons fermement que la commune est une grande région inspirante et créative de Bruxelles », assure-t-il. « Le gouvernement belge, les autorités locales et les habitants se sont beaucoup impliqués pour rétablir la réputation de Molenbeek et investir dans des projets comme notre incubateur B-Sprouts et dans d’autres initiatives. »

Malgré sa reconnaissance internationale, huit des jeunes entrepreneurs de l’incubateur MolenGeek, pourtant dotés d’un visa, ont été refoulés en arrivant aux États-Unis alors qu’ils devaient participer au salon dédié aux Start-ups à San Francisco, en septembre 2017. Après de multiples interventions officielles, les membres de l’incubateur ont finalement pu s’y rendre mais le dirigeant de MolenGeek revient sur cette mésaventure.

Vue sur le canal qui sépare Bruxelles de Molenbeek (AFP)

« J’avais beaucoup de mal à expliquer aux jeunes de Molenbeek que ce que nous avions vécu était le fruit du hasard. Jusqu’à présent, nous n’avons reçu aucune explication officielle. Mais je pense que c’est certainement lié à Molenbeek et à des raisons sécuritaires », confie-t-il.

Au début, Ibrahim Ouassari a souvent encouragé les jeunes à ignorer les préjugés sur Molenbeek mais depuis cet épisode, le jeune entrepreneur reconnaît que « la discrimination nous a rattrapés même si on a essayé de créer un cocon où tout le monde est le bienvenu pour entreprendre et aller de l’avant. »

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Cette discrimination n’a pas dissuadé de nombreux jeunes de s’inscrire pour suivre des formations programmées par MolenGeek. Amelia Yulheri, jeune Bruxelloise de 26 ans, infographiste avait suivi la « coding school », une formation intensive de six mois programmée par MolenGeek au codage innovant pour devenir web-développeur.

« Je voulais avoir un complément pour améliorer mon bagage professionnel. Cette formation a été plus que satisfaisante » confie-t-elle à MEE. « Grâce à cette formation, j’ai pu rencontrer mon actuel associé. On avait suivi la formation ensemble et après une bonne entente dans un bon cadre d’apprentissage, on a décidé de lancer notre entreprise, Amaya, une agence créative en web graphisme. »

Un début de réussite qui ouvrira la voie aux autres futurs entrepreneurs en quête de succès.

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