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Faute de pèlerins, l’industrie touristique de Bethléem tombe en lambeaux

Les grands espoirs liés à un retour du tourisme pour Noël ont été anéantis par l’apparition du variant Omicron et le renforcement des restrictions imposées par Israël à ses frontières
Des visiteurs à l’intérieur de l’église de la Nativité presque déserte (MEE/Shatha Hammad)
Des visiteurs à l’intérieur de l’église de la Nativité presque déserte (MEE/Shatha Hammad)
Par Shatha Hammad à BETHLÉEM, Palestine occupée

En cette période de Noël, l’atmosphère grave qui emplit Bethléem rend la ville méconnaissable. 

De nombreuses vitrines sont fermées, les touristes sont aux abonnés absents et la basilique de la Nativité, en temps normal remplie de pèlerins à cette époque de l’année, est déserte. 

L’économie de Bethléem, centrée sur le tourisme, a été particulièrement affectée par la pandémie de COVID-19 qui s’apprête à entrer dans sa troisième année. La pandémie ne semble guère s’essouffler et la fermeture des aéroports porte un nouveau coup dur à une ville qui espérait cette fois-ci une période des fêtes différente.  

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L’une des plus anciennes boutiques de bois d’olivier de Bethléem, ouverte en 1925, est dirigée par son propriétaire, Nabil Giacaman (35 ans), menuisier dans l’affaire familiale qui s’étend sur trois générations. 

D’ordinaire remplie de touristes à cette époque de l’année, la boutique est aujourd’hui vide, comme toujours depuis le début de la pandémie.

« Nous courons à la ruine », confie-t-il à Middle East Eye. « Certes, les intifadas que la Palestine a connues au fil des décennies ont également affecté notre activité, mais leurs effets se sont fait ressentir pendant des périodes limitées. 

« Le virus nous affecte bien plus, d’autant plus que nous ne savons pas si cela va s’arrêter un jour. »

Une économie en ruine

Comme tous les habitants de Bethléem, Nabil Giacaman espérait au départ que la propagation du virus serait désormais contenue et que les aéroports auraient rouvert leurs portes au tourisme, dont ils dépendent fortement pour stimuler l’économie locale. 

Mais leurs espoirs ont rapidement été anéantis. « Cela ne sert plus à rien d’ouvrir la boutique », déplore Nabil Giacaman. 

« Nous courons à la ruine. Certes, les intifadas que la Palestine a connues au fil des décennies ont également affecté notre activité, mais leurs effets se sont fait ressentir pendant des périodes limitées. Le virus nous affecte bien plus »

- Nabil Giacaman, menuisier

« Toute la journée, la boutique reste vide, aucun client ou touriste n’entre. De nombreux jours passent sans que nous ne vendions quoi que ce soit. »

La famille Giacaman s’est appuyée sur son atelier de menuiserie pendant dix-huit ans, jusque fin 2019. 

Aujourd’hui, on ne trouve que Nabil Giacaman et cinq employés dans la boutique, qui cumule près de 250 000 dollars de dettes, ce qui met en péril la poursuite de son activité. 

« Les gouvernements du monde entier indemnisent leurs citoyens », affirme Nabil Giacaman, qui fustige les politiques de l’Autorité palestinienne (AP). 

« Mais ici, nous et nous seuls sommes harcelés de taxes et de chèques, et on attend de nous tous les paiements réguliers comme si la situation était normale. »

Pas de clients

Assise dans une autre boutique de souvenirs près de la basilique de la Nativité, Yvene Qanawati (51 ans) parcourt l’actualité sur son iPad. 

Les lumières de sa boutique sont éteintes aujourd’hui ; aucun touriste ou visiteur n’y est entré de toute la journée. Ouverte par sa famille à l’époque de la domination ottomane, elle était largement considérée comme l’une des plus importantes boutiques de souvenirs de la ville. 

Yvene Qanawati affirme que la perspective de vendre ses souvenirs aux touristes est devenue un rêve lointain (MEE/Shatha Hammad)
Yvene Qanawati affirme que la perspective de vendre ses souvenirs aux touristes est devenue un rêve lointain (MEE/Shatha Hammad)

« La propagation du virus nous a fait reculer de plusieurs années », confie-t-elle à MEE. « La boutique n’a plus de visiteurs […] J’ai perdu des milliers de dollars de marchandises. » 

« Nos boutiques n’ont plus de fonds et cela empire encore plus notre situation, et tout cela sans aucune aide ni indemnisation, et même sans aucune attention de la part du gouvernement »

- Yvene Qanawati, commerçante

Yvene Qanawati précise qu’elle a ouvert la boutique aujourd’hui pour préserver ce qui reste des souvenirs, même si la perspective de les vendre à des touristes est devenue un rêve lointain.

Comme Nabil Giacaman, elle fustige le manque d’attention de l’Autorité palestinienne.

« Nous avons été très durement touchés par le virus », déplore-t-elle.

« Nos boutiques n’ont plus de fonds et cela empire encore plus notre situation, et tout cela sans aucune aide ni indemnisation, et même sans aucune attention de la part du gouvernement […] Nous allons tout perdre si les choses restent ainsi. »

Un restaurant vide

La situation n’est guère meilleure pour Afteem, l’un des plus anciens restaurants de houmous et de falafels de Bethléem, qui se trouve au centre de la place de la basilique et qui existe depuis 1948. 

Saliba Salameh, le propriétaire du restaurant, se tient devant une friteuse à falafels qu’il prépare en prévision des clients attendus, qui sont tous des habitants de Bethléem. 

Mais la salle est presque entièrement vide. 

Saliba Salameh (à droite) nourrissait de grands espoirs à l’idée d’un retour du tourisme à Bethléem cette année, mais ceux-ci ont été anéantis (MEE/Shatha Hammad)
Saliba Salameh (à droite) nourrissait de grands espoirs à l’idée d’un retour du tourisme à Bethléem cette année, mais ceux-ci ont été anéantis (MEE/Shatha Hammad)

Saliba Salameh, qui y travaille depuis 40 ans, explique à MEE que les touristes sont rares dans le restaurant depuis le début de la pandémie. 

« Nous avons été très durement touchés, notre activité a diminué d’environ 70 % », affirme-t-il.

Il nourrissait de grands espoirs à l’idée d’un retour du tourisme à Bethléem cette année, mais ceux-ci ont été anéantis par le renforcement des restrictions imposées par Israël à ses frontières après l’apparition du variant Omicron.

Les effets de la pandémie exacerbés par les politiques israéliennes

En octobre et novembre, Bethléem avait commencé à entrevoir des signes d’une reprise du tourisme pendant la saison des pèlerinages, à la suite de la réouverture des frontières aux touristes par Israël le 1er novembre. 

Les groupes de touristes ont commencé à affluer dans la ville, mais le 28 novembre, Israël a décidé de rétablir son interdiction de voyager après la résurgence du COVID-19 et la découverte du variant Omicron en Israël. 

Cette décision a immédiatement stoppé le tourisme à Bethléem et l’afflux attendu de pèlerins.

« Bethléem est encore sous le coup de la crise qui a débuté en mars 2020 en raison de la pandémie, d’autant plus que l’économie de la ville dépend du tourisme », indique à MEE Anton Salman, maire de Bethléem. 

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Face aux malheurs économiques de la ville, la municipalité a tenté de donner un coup de fouet à la saison des fêtes en ouvrant un marché de Noël, mais sa portée est restée limitée et celui-ci s’est appuyé uniquement sur le tourisme interne, n’entraînant que des améliorations modérées.

« Le ralentissement économique qui a accompagné l’arrêt du tourisme a atteint 50 % », précise Anton Salman. 

« Et ses effets sont plus douloureux pendant le pic d’activité économique supposé que représente la période de Noël. » 

Il fait référence au coup direct porté aux restaurants et aux boutiques de souvenirs, aux hôtels et aux ateliers de menuiserie, ainsi qu’aux travailleurs domestiques, un secteur qui représente au total environ 8 000 emplois et qui a subi plus de 200 millions de dollars de pertes.

Selon l’édile, les effets de la pandémie ont été exacerbés par l’occupation israélienne, notamment ses politiques à l’encontre des Palestiniens, son contrôle des frontières et ses mesures visant à empêcher l’entrée des touristes. 

« Si nous étions dans une situation normale, nous aurions multiplié le nombre annuel de visiteurs à Bethléem », soutient-il.

Des hôtels dévastés

Cela se vérifie en particulier depuis qu’Israël a imposé de nouvelles restrictions qui ont aggravé les effets de la pandémie dans la ville. 

Par exemple, bien que les touristes aient été autorisés à entrer en Israël en novembre, ils se sont tout d’abord vu empêcher de se rendre à Bethléem et étaient contraints de rester en Israël. 

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À la suite de pressions prolongées, ils ont finalement été autorisés à entrer dans la ville, mais sans pouvoir y passer la nuit, ce qui a porté un coup dur aux hôtels.

Elias al-Arja, directeur de l’Association des hôtels arabes, indique à MEE qu’en raison de la fermeture constante des frontières et de l’interdiction pour les pèlerins et les touristes de se rendre à Bethléem, les 72 hôtels palestiniens de la ville sont dévastés et leurs 4 500 chambres restent désespérément vides.

Il ajoute que Bethléem accueillait 8 000 clients par jour dans ses hôtels avant la propagation du virus, ce qui constituait une source de revenus pour environ 2 800 employés. 

La plupart d’entre eux ont perdu leur emploi et le nombre d’employés dans les hôtels de Bethléem a chuté à environ 500, indique-t-il.

Alors que de nombreux hôtels sont désormais menacés de fermeture, Elias al-Arja prévient que la reprise de leur activité ne sera pas facile en raison des pertes énormes qu’ils ont subies depuis mars 2020.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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