Des écoliers palestiniens pleurent leur camarade de classe « mort de peur » à cause des soldats israéliens
Des objets à la mémoire de Rayyan Sulaiman sont posés sur sa table, dans sa salle de classe : un portrait, des fleurs, le drapeau palestinien.
La semaine dernière, le jeune écolier est décédé, vraisemblablement d’une crise cardiaque, après avoir été pourchassé par des soldats israéliens à Bethléem, en Cisjordanie occupée. Il avait 7 ans.
Alors qu’une nouvelle semaine commence, ses camarades de cours élémentaire, à l’école pour garçons d’al-Khansa, débordent de chagrin et de douleur.
La journée d’école débute par la lecture d’élégies rédigées par ses amis en son honneur.
L’un d’eux prend le point de vue de Rayyan : « Maman, j’ai beaucoup couru et je les ai semés, mais je me suis fatigué et mon cœur m’a lâché. Maintenant, il se repose pour toujours. »
Un autre s’adresse à lui : « Mon ami Rayyan, tu es tombé en martyr et la joie dans notre école est morte, les sourires ont quitté nos visages. »
Jeudi, après l’école, Rayyan et ses frères rentraient chez eux dans le village de Takoua, à l’est de Bethléem, lorsque des soldats israéliens se sont mis à les pourchasser.
Ils voulaient interroger les garçons pour des jets de pierres. La poursuite d’environ 3 kilomètres s’est cependant terminée par une crise cardiaque pour l’enfant, pris de peur après l’arrivée des soldats à son domicile.
« Lorsque les soldats sont arrivés à la maison, ils ont commencé à frapper violemment à la porte et à hurler pour qu’on leur remette Rayyan », raconte à Middle East Eye Yasser Suleiman, le père du petit garçon.
« J’ai ouvert la porte et j’ai commencé à leur expliquer que Rayyan n’était qu’un enfant d’à peine 7 ans, mais ils ont insisté pour que j’aille le chercher », explique-t-il.
Pendant ce temps, Rayyan, qui avait réussi à rentrer chez lui, tremblait de peur en écoutant les soldats. Il s’est précipité vers la porte arrière de la maison. Lorsque son père est allé le chercher, il l’a trouvé par terre, inconscient.
Une autopsie a confirmé que Rayyan a subi un choc qui a causé une crise cardiaque soudaine. Selon sa famille, l’enfant, par ailleurs en bonne santé, est mort de peur à cause des soldats israéliens.
Alors que l’armée israélienne a nié tout lien entre ses agissements et la mort du garçon, les États-Unis ont réclamé une enquête « approfondie et immédiate » sur sa mort.
Le cartable de Rayyan repose désormais sur sa tombe. À côté de lui, il y a son livre d’éducation nationale, ouvert à la dernière leçon, intitulée « Je dessine mon pays ». Rayyan y avait colorié le drapeau palestinien et laissé une inscription : « Je t’aime, ma patrie. »
« La tristesse nous accablera à jamais »
Malgré le nombre d’invités et de personnes venues en son honneur, la maison familiale semble triste et sans vie.
Les frères de Rayyan, Khaled (12 ans) et Ali (10 ans), quittent le salon et se dirigent vers leur chambre pour s’asseoir sur leur lit. À côté d’eux, le lit de Rayyan est vide.
La chambre des garçons comporte trois lits. Il n’y a pas d’affiches sur les murs, ni de jouets éparpillés. Rayyan a griffonné des chiffres sur le mur à côté de son lit pour s’entraîner à compter. Au-dessus du lit, une fenêtre donne sur la colonie israélienne de Tekoa, à 3 kilomètres du village.
Le harcèlement et les poursuites des soldats n’étaient pas quelque chose de nouveau pour Rayyan, ses frères et les autres enfants du village. Ces pratiques sont notamment courantes lorsqu’ils rentrent de leur école, située sur une route réservée aux colons.
« Il se réveillait terrorisé, il hurlait et disait que des soldats le poursuivaient »
– Yasser Suleiman, père de Rayyan
« Les soldats israéliens effraient tout le temps nos enfants, ils les traquent, leur hurlent dessus et les menacent de manière répétée en faisant des gestes », affirme Yasser Suleiman.
Le père de famille âgé de 39 ans explique à MEE qu’en raison de ce harcèlement continu, son fils a développé une anxiété qui perturbait son sommeil.
« Rayyan ne dormait pas normalement depuis le début du trimestre le mois dernier. Il se réveillait terrorisé, il hurlait et disait que des soldats le poursuivaient », raconte-t-il.
« Son cauchemar est devenu réalité. Mon enfant est mort de peur. »
La mère de Rayyan, assise, garde le silence. Rongée par la tristesse, elle est incapable de parler à la presse. Il n’y a pas de mots pour exprimer son chagrin, malgré tout le soutien de son mari.
« Notre vie ne sera plus jamais la même. La tristesse nous accablera à jamais. »
À quelques mètres de la maison, des affrontements ont à nouveau éclaté entre des villageois palestiniens et des soldats israéliens après que des colons ont retiré les drapeaux palestiniens de l’entrée du village.
Les tensions sont vives à Takoua depuis la mort de Rayyan survenue jeudi, à la suite de laquelle les habitants sont descendus dans la rue pour exprimer leur colère.
L’école élémentaire pour garçons d’al-Khansa, créée en 1960 et d’une capacité de 270 élèves, est située dans un secteur désigné comme dangereux en raison des attaques quasi quotidiennes de l’armée israélienne et des colons.
Mona Abdullah, la directrice de l’école, explique que les agressions commencent souvent dès les premières heures de la journée.
Les élèves sont tout d’abord contraints de traverser seuls la route de la colonie parce que l’armée interdit aux parents de se garer à la porte de l’école. Cela « les expose au risque d’être renversés par les voitures des colons », indique la directrice.
L’école a présenté une demande à l’armée israélienne pour faire installer des feux de signalisation et aménager un passage piéton dans la zone, ce que les autorités israéliennes ont refusé, poursuit-elle.
La directrice ajoute que les écoliers doivent également éviter les coups de feu tirés par les soldats dans le secteur, en plus d’être pourchassés par ces derniers. « Les enfants à l’école sont toujours dans un état de tension et de peur à cause des pratiques de l’armée », affirme-t-elle à MEE.
« Cela affecte leur état psychologique et se répercute négativement sur leurs résultats scolaires. »
Des chips et une barre chocolatée
À l’école, les camarades de Rayyan ont accroché des dessins de lui au tableau avant les cours du matin.
« Je t’aime Rayyan », peut-on lire sur l’un d’eux à côté d’un drapeau palestinien.
Regardant par la fenêtre de la salle de classe, les élèves sont distraits, incapables d’assimiler pleinement la signification de la perte de Rayyan.
« Les enfants à l’école sont toujours dans un état de tension et de peur à cause des pratiques de l’armée. Cela affecte leur état psychologique et se répercute négativement sur leurs résultats scolaires »
- Mona Abdullah, directrice de l’école
« Jeudi, on a acheté des chips et une barre chocolatée, on a mangé ensemble, puis on est allés dans la cour de l’école et on a joué à la balançoire », raconte à MEE Ahmed Jamal, un ami proche de Rayyan.
À la fin de l’école, les deux enfants sont rentrés chez eux, mais ils s’étaient promis de poursuivre le jeu auquel ils jouaient dimanche.
« On adorait jouer à cache-cache », confie Jamal. « Rayyan était très doué pour rester caché longtemps avant que je ne le retrouve », ajoute l’enfant de 7 ans avant de s’arrêter soudainement, l’esprit ailleurs.
Malgré la tristesse qui plane sur l’école, l’enseignant, Alaa al-Rishq, commence le cours de mathématiques et écrit quelques équations au tableau à côté de dessins de Rayyan.
« Rayyan était un enfant calme et timide, il hésitait toujours à participer en cours, alors qu’il était très intelligent », raconte-t-il à MEE.
« Jeudi, Rayyan m’a surpris à la fin des cours quand il est venu me voir pour me dire qu’il m’aimait », ajoute l’enseignant.
« Je ne l’oublierai jamais. La tristesse de sa perte restera à jamais dans nos cœurs. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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