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Pour les Algériens, Emmanuel Macron « n’est pas différent de ses prédécesseurs »

Même si la politique française ne passionne pas les Algériens, ils sont nombreux à garder malgré tout un œil attentif sur la présidentielle et se montrent très partagés sur l’actuel chef de l’État
Emmanuel Macron lors de sa visite officielle à Alger en décembre 2017 (AFP/Ludovic Marin)
Emmanuel Macron lors de sa visite officielle à Alger en décembre 2017 (AFP/Ludovic Marin)
Par Ali Boukhlef à ALGER, Algérie

« Je suis jeune, je projette mon avenir dans un pays présidé par un jeune ! » Assis à même le trottoir, une barbe de quelques jours bien apparente, Mohamed discute avec son ami Karim de ce que pourrait être leur futur en France. Comme des dizaines d’Algériens qui attendent leur tour en ce dimanche de février, il est venu déposer sa demande de visa pour la France.

À Dar el-Beida, à l’est d’Alger, devant le bâtiment servant de bureau au Centre visas-France, séparé de l’aéroport international d’Alger par une autoroute, ce jeune de 25 ans venu de Tizi-Ouzou veut croire en sa bonne étoile.

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Après des études de langues, il souhaite « tenter sa chance » en France, où, comme de nombreux compatriotes, il compte des amis et des parents.

« J’ai cherché du travail [en Algérie] et je n’ai rien trouvé. Puis, franchement, même en travaillant, on ne peut rien faire ici. Je veux donc partir en France », affirme-t-il, insouciant mais déterminé, à Middle East Eye.

Interpellé sur la prochaine élection présidentielle et sur le président Emmanuel Macron, il marque un temps d’arrêt avant de commenter en esquissant un sourire : « Ça fait franchement plaisir de voir un jeune président diriger un grand pays comme la France, où on peut être jeune et monter plus haut [dans la société] ». Un vrai motif d’espoir, selon lui.

« Ce n’est pas à nous de payer »

Tout comme Mohamed, Karim, 23 ans, veut aussi rejoindre l’Hexagone et « faire comme ceux qui ont réussi ». Après un master en management, il compte poursuivre ses études en France.

Casquette vissée sur la tête, teint mat, le jeune homme regarde vers le sud, où est implanté l’aéroport Houari-Boumédiène.

« Macron ? Il est jeune, c’est vrai. Mais franchement, quand je vois le nombre de visas refusés pour des étudiants et d’autres jeunes algériens, cela me décourage », confie-t-il à MEE.

Motivé par l’espoir de décrocher le précieux sésame, Karim nourrit néanmoins un sentiment ambivalent à l’encontre du président français.

« Macron ? Il est jeune, c’est vrai. Mais franchement, quand je vois le nombre de visas refusés pour des étudiants et d’autres jeunes algériens, cela me décourage »

- Karim, 23 ans, étudiant

L’étudiant, qui a déjà essuyé deux refus, ne décolère pas contre Emmanuel Macron, qui a limité en 2021 le nombre de visas accordés aux Algériens – une mesure de rétorsion face au refus des autorités de délivrer les laisser-passer consulaires nécessaires pour le retour des immigrés refoulés de France.

« Si Macron a des problèmes avec nos dirigeants, ce n’est pas à nous de payer », fulmine-t-il.

Un avis que partage Elyès, 23 ans, qui vient de sortir des bureaux de VLS, la société qui établit les visas pour le compte du consulat général de France à Alger.

Ce jeune originaire de Blida, diplômé en électronique, veut croire que le dossier qu’il vient tout juste de déposer lui ouvrira les portes de l’autre côté de la Méditerranée.

Mais comme Karim, les nouvelles en provenance de France, à quelques semaines de la présidentielle, l’effraient.

« J’ai bon espoir. Je remplis tous les critères pour obtenir le visa. Mais on ne sait jamais », nuance-t-il dans un français parfait.

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Pour lui, si Macron « avait montré une certaine bienveillance au début de son mandat », depuis quelques mois, « il [se révèle être] comme les autres, il n’aime pas les immigrés », tranche-t-il, en référence aux débats qui saturent la campagne présidentielle.

Pourtant, les trois jeunes estiment que s’ils avaient la nationalité française, ils voteraient probablement pour Emmanuel Macron.

« Je suis certain qu’une fois réélu, il va encore rouvrir les vannes [autoriser les visas] », pronostique Mohamed qui, comme ses amis, craint que la montée de l’extrême droite, « notamment Éric Zemmour », mette fin à son rêve.

Si certains regardent le chef de l’État français au travers des seuls prismes de sa jeunesse et de sa politique migratoire, d’autres le jaugent à la lumière de ses positions sur l’histoire commune franco-algérienne.

C’est le cas de Redouane. Le journaliste de 33 ans fait partie de ceux qui pensent que, du moins sur cette question, l’actuel chef de l’État français ne diffère pas des précédents présidents.

« La société française n’est pas prête »

Au début de son mandat, il « donnait l’impression » de « représenter une nouvelle génération qui se serait affranchie du passé colonial en effectuant des pas sur la question de la mémoire », se souvient-il.

Mais cela a vite changé. « Visiblement, Macron n’est pas sorti de la règle française qui consiste à utiliser l’Algérie pour gérer les dysfonctionnements qui existent dans la société française. Quand il a voulu faire un discours pour gagner des électeurs, il s’est attaqué à l’Algérie comme le faisaient ses prédécesseurs », assène avec une pointe d’amertume ce jeune Oranais, dans un arabe châtié.

« Quand Emmanuel Macron a voulu faire un discours pour gagner des électeurs, il s’est attaqué à l’Algérie comme le faisaient ses prédécesseurs »

- Redouane, journaliste

Pour lui, le président français a ainsi tenté de « soudoyer un électorat » attentif à ce discours qui « ne reconnaît pas les crimes commis par la colonisation française en Algérie ».

Une pensée que partage en partie Malika. Cette quadragénaire, fonctionnaire dans la banlieue ouest d’Alger, estime que le président français « n’est pas différent de ses prédécesseurs ».

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« Il ne va jamais très loin dans sa condamnation du colonialisme. Et c’est un peu normal puisque la société française n’est pas prête pour cela », explique-t-elle à MEE.

« Malgré son air d’homme gentil et avenant, Macron est, selon moi, au service des multinationales et des puissances de l’argent », analyse pour sa part Nesrine, enseignante de français dans un quartier populaire d’Alger.

Cette trentenaire, éprise de la langue et de la culture françaises, s’arrime ainsi aux nombreuses allégations rapportant que le chef de l’État français serait toujours lié à la banque Rothschild, dont il était cadre avant d’embrasser une carrière politique.

« C’est aux Français de choisir leur président », conclut pour sa part Redouane. « La politique franco-française ne m’intéresse pas. »

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