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« Pas un droit mais un privilège » : une prison israélienne confisque les ventilateurs pendant une forte vague de chaleur

Cette mesure punitive fait suite à un mouvement de contestation contre les mauvais traitements et la négligence médicale qui ont provoqué la mort d’un détenu palestinien la semaine dernière
Pendant la répression de la contestation, les autorités israéliennes ont blessé 26 prisonniers et confisqué tous les appareils électriques (Reuters)
Par Shatha Hammad à RAMALLAH, Cisjordanie occupée

L’administration de la prison israélienne d’Ofer a confisqué les ventilateurs et appareils électriques des prisonniers palestiniens dans le cadre d’une vaste répression de la vague de contestation qui a éclaté après la mort d’un prisonnier palestinien sous la garde d’Israël.

Cette initiative survient pendant une vague de chaleur qui bat tous les records, avec des températures qui ont largement dépassé les 40 °C à l’extérieur.

Environ 850 prisonniers détenus dans deux quartiers de la prison d’Ofer, située à l’ouest de Ramallah, ont protesté contre les mauvais traitements et la négligence médicale qui ont provoqué la mort du détenu Daoud Talaat al-Khatib (45 ans), décédé la semaine dernière.

Pendant la répression de ce mouvement de contestation, les forces israéliennes ont blessé 26 prisonniers et confisqué tous les appareils électriques, y compris les ventilateurs, comme mesure punitive.

« La première punition à laquelle recourt généralement l’administration pénitentiaire est la confiscation des ventilateurs, dont les prisonniers ont pu disposer dans leur cellule à partir de 1992, après une grande grève de la faim initiée par environ 17 000 prisonniers pendant 15 jours », rapporte à Middle East Eye Qadura Fares, directeur du Club des prisonniers palestiniens.

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« L’administration pénitentiaire ne considère pas les appareils électriques comme un droit pour les prisonniers, mais plutôt comme un privilège.

« C’est pourquoi elle les confisque régulièrement, bien que les prisonniers les achètent avec leur propre argent auprès de la cantine de la prison pour le double de leur prix réel. »

Fares souligne que la ventilation est un besoin fondamental pour les Palestiniens emprisonnés dans le sud des territoires palestiniens occupés ou près de la côte, où les températures et l’humidité sont très élevées, en particulier l’été.

En raison du manque de ventilation, et des geôles souterraines conçues pour bloquer la luminosité naturelle, la prison se transforme en « enfer » pendant les mois d’été, provoquant de nombreux problèmes dermatologiques et respiratoires chez les prisonniers.

« Les ventilateurs électriques ne rafraîchissent pas l’air, surtout avec le manque de ventilation », déclare Fares. « Ils se contentent de faire circuler l’air chaud, ils n’aident pas à faire chuter les températures élevées comme le fait la climatisation, que réclament les prisonniers. »

Propagation du coronavirus

Selon l’association d’aide aux prisonniers palestiniens et de défense des droits de l’homme Addameer, on dénombrait environ 5 000 Palestiniens dans les prisons israéliennes en avril 2020.

Parmi eux figurent 432 prisonniers administratifs (détenus sans avoir été inculpés), 41 femmes et 183 enfants, dont 20 de moins de 16 ans. 

« Parfois, il y a douze prisonniers dans le Bosta [véhicule de transfert] avec un seul ventilateur qui ne fait aucune différence »

Haitham Sayaj, ancien prisonnier

Avec la pandémie de coronavirus, et en l’absence de ventilation et de mesures sanitaires, les prisonniers risquent fort de contracter le virus.

Plus tôt cette semaine, la Société des prisonniers palestiniens a signalé que l’administration de la prison israélienne d’Ofer avait annoncé qu’un prisonnier palestinien de 38 ans avait été infecté par le coronavirus.

La Société des prisonniers palestiniens a indiqué mardi qu’à la suite à ce dernier cas, douze prisonniers palestiniens de la prison d’Ofer avaient été testés positifs au coronavirus, faisant passer le nombre total de cas enregistrés parmi les Palestiniens dans les prisons israéliennes à 29.

Ce total comprend deux prisonniers libérés dont l’infection a été découverte au lendemain de leur libération des prisons israéliennes.

« Des mycoses partout sur mon corps »

Haitham Sayaj, 24 ans, qui a passé quatre ans en détention administrative dans la prison de Naqab entre 2015 et 2020, raconte que les prisonniers endurent des conditions difficiles, surtout pendant l’été et les vagues de chaleur.

« Les prisonniers n’aiment pas l’été, qui transforme les prisons en enfer, et ils n’ont pas d’autre choix que d’utiliser des ventilateurs qui ne font que remuer l’air chaud », confie le jeune homme aujourd’hui libre à MEE.

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Sayaj explique que l’administration pénitentiaire israélienne n’autorise que des « ventilateurs en plastique de mauvaise qualité » dans les prisons. Si ceux-ci cassent, les prisonniers ne sont pas autorisés à en acheter de nouveaux avant l’été suivant.

« Je ne pouvais pas dormir pendant l’été à cause de la chaleur excessive », se rappelle Sayaj.

« Parfois, je mouillais ma couverture avec de l’eau et couvrais mon corps avec. En me réveillant, je découvrais des mycoses partout sur mon corps. »

Avec 8 à 10 prisonniers dans chaque pièce de 40 mètres carrés, l’été se transforme en une « tragédie », déplore l’ancien détenu.

« Nous avions un grand baril d’eau dans nos sections. Nous avions l’habitude de nous y asseoir à tour de rôle ; chaque jour, un prisonnier pouvait s’asseoir dans le baril », rapporte Sayaj.

« Les pièces sont particulièrement bondées. Lorsqu’on préparait à manger, on dirigeait le ventilateur vers la fenêtre pour faire sortir l’odeur. »

Insectes et rats dans les cellules

Outre les conditions pénitentiaires habituelles, les détenus sont soumis à des traitements très difficiles en isolement et lors des transferts.

« La tragédie est d’autant plus grande dans les cellules d’isolement qui sont souterraines et ne disposent d’aucun ventilateur ou de ventilation », indique Sayaj.

Il ajoute que les conditions à l’intérieur du véhicule de transfert de prisonniers israéliens, connu sous le nom de « Bosta », constituent « la plus grande tragédie pour les prisonniers et nous espérons que cela disparaîtra à jamais ».

Si l’administration pénitentiaire israélienne interdit les systèmes de climatisation dans les prisons, elle continue à les utiliser dans les centres d’interrogation pendant l’hiver afin de mettre la pression sur les prisonniers et leur arracher des aveux

« Parfois, il y a douze prisonniers dans le Bosta avec un seul ventilateur qui ne fait aucune différence », déclare-t-il.

Dans un communiqué publié vendredi dernier, la Commission palestinienne aux affaires des détenus indiquait que « l’intense chaleur et l’humidité élevée faisaient de la vie des prisonniers au sein de différentes prisons israéliennes un enfer ces derniers jours ».

La commission ajoutait que non seulement l’administration pénitentiaire israélienne ne permettait pas aux prisonniers d’acheter des ventilateurs, mais qu’elle avait délibérément coupé l’approvisionnement en eau dans les cellules minuscules utilisées pour l’isolement, de sorte que les conditions de détention y étaient encore pires.

Elle indiquait également que les insectes et les rats pullulaient dans les prisons en raison de la saleté et du manque d’hygiène.

Si l’administration pénitentiaire israélienne interdit les systèmes de climatisation dans les prisons, un rapport de la commission datant de juillet 2019 conclut qu’elle continue à les utiliser dans les centres d’interrogation pendant l’hiver – afin de mettre la pression sur les prisonniers et leur arracher des aveux.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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