Le Soudan annonce avoir déjoué une tentative de coup d’État lié au régime de Béchir
Les habitants d’Omdurman, ville jumelle de la capitale soudanaise Khartoum, se sont réveillés mardi au son d’une fusillade près de la base militaire du nord de la ville.
Certains témoins disent avoir entendu des échanges de tirs sporadiques vers 3 h du matin (heure locale), lesquels ont duré trois heures.
D’autres, comme Ahmed Hassan, 32 ans, du quartier d’al-Garafa, rapportent avoir vu des chars sortir de la base voisine accueillant une unité de blindés.
« Nous avons vu des dizaines de chars de l’unité de blindés près de notre quartier. Nous avons d’abord entendu quelques échanges de tirs, puis lorsque nous sommes sortis de nos maisons tôt le matin, nous avons vu les chars se diriger vers le pont qui relie Omdurman à la ville de Khartoum », raconte Hassan à Middle East Eye.
Un moment plus tard, un flash d’information a été diffusé sur les chaînes de la télévision soudanaise pour annoncer que l’armée avait contrecarré une tentative de putsch et que de plus amples informations allaient suivre.
Après des heures de spéculation, le gouvernement a déclaré que ce coup d’État avait été endigué et que ses auteurs avaient été arrêtés.
Quoi qu’il en soit, ce coup d’État manqué n’est pas une surprise pour le peuple soudanais car des informations et rumeurs circulaient déjà sur les réseaux sociaux évoquant des mouvements d’islamistes et d’associés du dirigeant déchu Omar el-Béchir et de l’État profond au sein de l’armée pour évincer les dirigeants civils.
Le Premier ministre Abdallah Hamdok a accusé mardi des individus liés à l’ancien régime d’en être à l’origine.
Dans son discours à la nation, Hamdok a souligné que des associés de l’État profond au sein de l’armée et en dehors étaient impliqués.
« On constate l’échec partout »
« Ce qui s’est passé est un coup d’État orchestré par des factions au sein et à l’extérieur des forces armées et c’est une extension des tentatives menées par les vestiges de l’ancien régime depuis sa chute pour mettre fin à la transition démocratique civile », a expliqué Hamdok dans une allocution télévisée.
« Cette tentative a été précédée par de longs préparatifs constitués par le désordre dans les villes et l’exploitation de la situation dans l’est du pays, les tentatives de fermer des routes nationales et des ports et de bloquer la production pétrolière. »
Pendant ce temps, le porte-parole des forces armées soudanaises a confirmé dans un communiqué que l’armée avait arrêté 21 officiers suspectés d’être impliqués dans le putsch et avait repris les sites militaires contrôlés par leurs complices.
« Une enquête des services de renseignement militaires sur les personnes arrêtées et la traque d’autres suspects potentiels sont en cours », assure-t-il.
« Il y a une insécurité généralisée dans la majorité des États et des affrontements tribaux partout à cause de l’accord de paix corrompu qui a été signé à Djouba »
- Une source militaire
Une source militaire prétend que des individus en lien avec les Frères musulmans sont derrière cette tentative de coup d’État, ajoutant que la majorité des officiers arrêtés sont des islamistes et appartiennent à l’unité de blindés et aux unités parachutistes de l’armée.
« Les forces du putsch sont parties de l’unité de blindés jusqu’à atteindre le pont sur le Nil blanc à Omdurman, qui relie la ville à Khartoum », relate cette source, qui a requis l’anonymat car elle n’est pas autorisée à parler à la presse.
« Les forces ont atteint le pont, qui ne se trouve pas à plus de 5 km du palais présidentiel à Khartoum. »
« Je peux confirmer désormais que la majorité des individus impliqués dans ce putsch ont été arrêtés, tandis qu’une grande campagne d’arrestations est en cours au sein de l’armée pour la recherche des autres. »
Cependant, un membre dirigeant de l’ancien parti au pouvoir dément ces accusations, affirmant que le gouvernement de transition veut couvrir ses propres échecs en inventant des incidents.
« Nous n’avons rien à voir avec cette tentative de coup d’État et le gouvernement de transition, avec ses composantes militaires et civiles, veut couvrir son échec dans la gestion de la période de transition avec ses fausses histoires », indique-t-il, sous couvert d’anonymat.
« On constate l’échec partout. Il y a une insécurité généralisée dans la majorité des États et des affrontements tribaux partout à cause de l’accord de paix corrompu qui a été signé à Djouba. »
« On constate également une profonde détérioration de l’économie et l’envolée des prix rend la vie au Soudan impossible et tout cela à cause des faibles performances du gouvernement sur tous les fronts. »
L’année dernière, le gouvernement soudanais a signé un accord avec une alliance de groupes rebelles des régions du Darfour, du Nil bleu et du Kordofan du Sud pour mettre fin à dix-sept années de conflit.
Agitation à l’est
Autre source de tension dans le pays ces derniers jours, la grève générale dans l’est du Soudan mise en œuvre par un certain nombre de tribus à la tête desquelles le dirigeant local Mohamed al-Amin Tirik, qui a appelé à la grève pour chasser les dirigeants civils.
Les protestataires ont fermé les ports de l’est du Soudan, notamment Port-Soudan et Suakin sur la mer Rouge et ont bloqué la route principale qui relie ces ports au reste du Soudan.
S’entretenant avec MEE, Tirik demande à l’armée de prendre le parti du peuple et de cesser de soutenir ceux qu’il appelle « les civils corrompus ».
« Nous sommes contre la voie de l’est du Soudan dans l’accord de paix de Djouba, parce qu’il est injuste et a amené des personnes inconnues dans l’est du Soudan afin de diriger le pays sans consulter la région », explique-t-il.
« Nous considérons ça comme une marginalisation et une humiliation pour les Soudanais de l’est, nous exhortons donc la composante militaire [du gouvernement] à intervenir et à mettre fin au chaos et à la mauvaise gestion de ces civils. »
Les protestataires ont fermé les ports et les routes principales dans les villes de Port-Soudan, Suakin, Sinkat et d’autres régions de l’État de Mer Rouge, scandant des slogans contre le gouvernement de transition et brandissant des bannières sur lesquelles on peut lire « au revoir Khartoum », appel à la séparation de l’est du Soudan du reste du pays.
Cependant, la commission de résistance de l’État de Mer Rouge dans un communiqué accuse Tirik et ses partisans de servir les intérêts de l’ancien régime et d’utiliser la violence pour imposer leurs revendications.
« La révolution a accordé le droit à la liberté d’expression mais ce qui émerge de Tirik et ses partisans est clairement de la violence, utilisation de la force et du tribalisme afin d’imposer leur politique », indique le communiqué.
« Ce faisant, ils prouvent qu’ils sont loyaux envers l’ancien régime et vise à ouvrir la voie au coup d’État. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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