À Téhéran, un café donne leur chance aux jeunes atteints d’autisme et de trisomie
Tandis que les mains de Mehdi Khakyan (31 ans) se déplacent habilement sur les touches du piano, le léger bavardage dans la pièce s’atténue alors que les clients se concentrent sur la mélodie du très apprécié classique iranien Sultan-e-Ghalbha. La musique jouée sur place crée une ambiance chaleureuse et les gens sont ravis d’être au café Downtism.
Salar Mohammady, directeur du lieu, formateur et chef barista, gère les commandes derrière le comptoir, tandis qu’Ariya Azad (19 ans), un sourire radieux aux lèvres, sert soigneusement des tasses fumantes et odorantes de thé à la rose à une table de clients.
De l’extérieur, cette scène pourrait être confondue avec celle des cafés des riches quartiers du nord de Téhéran, mais le café Downtism en est loin.
Situé dans un centre commercial calme du quartier animé de Vanak, au nord de la capitale, le café Downtism a ouvert ses portes en mai 2018 et a rapidement conquis le cœur et l’esprit de nombreux Iraniens.
Comme son nom l’indique, ce petit café est géré au quotidien presque exclusivement par des jeunes porteurs de handicaps tels que l’autisme et le syndrome de Down (trisomie 21). Ils réalisent un éventail de tâches allant de la prise et du service des commandes à l’exécution de mélodies douces au piano pour les clients.
La rémunération du personnel varie d’un mois à l’autre car l’argent recueilli chaque mois est d’abord utilisé pour payer les factures, le loyer et les emprunts. Tout bénéfice restant est divisé à parts égales entre les employés. La plupart d’entre eux sont soutenus par leurs familles.
Des talents cachés
Le café Downtism est une idée d’Aylin Agahi, musicienne et enseignante âgée de 37 ans, qui compte dix-sept années d’expérience dans le travail auprès de personnes atteintes d’autisme et du syndrome de Down.
En tant que professeure particulière de musique pour enfants et adolescents, Aylin Agahi a toujours encouragé ses étudiants à participer à des concerts et à des concours professionnels. Cependant, elle a remarqué qu’ils se montraient de plus en plus inquiets et perturbés avant un spectacle.
« J’ai découvert qu’ils étaient anxieux parce qu’ils avaient très peur de ne pas participer à la prochaine étape des spectacles. Ce n’était pas tant la musique ou le concert, c’était l’interaction avec d’autres personnes qui les rendait si heureux.
« Ils aimaient être encouragés et applaudis par le public. Ils aimaient montrer leurs talents au monde entier, mais ils aimaient surtout être vus. C’est après cela que j’ai décidé de faire quelque chose pour eux. »
Selon les chiffres, en 2017, un bébé sur 150 est né en souffrant d’autisme en Iran – un chiffre dans la moyenne des données mondiales sur cette maladie. Et en janvier dernier, le ministre iranien de la Santé, Hassan Qazizadeh-Hashemi, a annoncé qu’environ 30 000 enfants étaient nés avec le syndrome de Down pour 1,5 million de naissances dans le pays, soit un sur 50.
Ce nombre important de personnes vulnérables justifie la nécessité d’institutions et d’établissements tels que le café Downtism pour répondre à leurs besoins.
« Les clients sont merveilleux. Ils sont patients avec nous si le service est retardé ou si la qualité est moindre. Ils comprennent toujours les circonstances et ils nous soutiennent »
- Salar Mohammady, directeur du café Downtism
En juin, Human Rights Watch (HRW) a publié un rapport sur la situation des personnes handicapées en Iran qui a conclu que celles-ci étaient régulièrement victimes de stigmatisation et de discrimination de la part des travailleurs sociaux gouvernementaux, des personnels de santé et autres. Le taux de chômage des personnes handicapées est de 60 %, ce qui est nettement supérieur à la moyenne nationale de 12,4 % en 2017.
Dans cet esprit, l’importance du café s’étend bien au-delà du soutien financier et de l’emploi. Le café combat les préjugés et la discrimination et donne à des membres précieux de la société une chance de mettre leurs talents à contribution.
« Ces gars-là apprennent si vite »
Mohammady est un barista qualifié qui, en plus de la gestion du café, forme les membres du personnel à le gérer eux-mêmes, de la préparation du thé et du café à l’accueil des clients, en passant par le service des boissons, le nettoyage des tables, la préparation des additions, etc.
La journée de travail est divisée en équipes du matin et de l’après-midi. Environ dix à douze personnes travaillent chaque jour, sur un total de 38 employés.
Mehdi Khakyan et Ariya Azad ont été diagnostiqués autistes à l’âge de 3 et 4 ans respectivement. Intelligents, jeunes et polis, les deux hommes ont hâte de travailler dur et de montrer de la passion dans ce qu’ils font.
« Ces gars-là apprennent si vite », a déclaré Mohammady. « Ils m’aident beaucoup. M. Mehdi est un professionnel du fromage et des crackers. Il est génial. Ils sont si talentueux et, plus important encore, ils veulent vraiment apprendre. »
Ariya Azad répond joyeusement à cette remarque et parle de ses propres progrès. « J’apprends de nouvelles choses », explique-t-il, « comme laver la vaisselle et nettoyer les portes. »
Revers et défis
Aylin Agahi, l’initiatrice du projet, a confié à MEE que les difficultés financières constituaient le plus gros revers du café depuis que l’idée de son ouverture était née.
Les coûts de démarrage se sont élevés à environ 70 millions de rials (environ 1 400 euros) et incluent le loyer des locaux, du mobilier et du matériel pour la préparation du café et des boissons. Le café attend toujours une éventuelle subvention de la part de l’Organisation iranienne de protection sociale, qui n’a pas été reçue malgré un intérêt initial pour le projet.
Cette organisation est le principal organisme gouvernemental chargé de fournir des services aux personnes handicapées. Dans le rapport de HRW, certaines des personnes handicapées interrogées par l’ONG ont déclaré que les employés de l’organisation ne fournissaient parfois pas d’informations essentielles sur les services et l’équipement mis à leur disposition et que ses procédures étaient longues et complexes.
« Quand j’ai d’abord présenté mon plan d’entreprise à l’Organisation iranienne de protection sociale, je leur ai dit que je voulais ouvrir ce café mais que j’avais besoin d’un soutien financier. Ils ont accepté de le faire à condition que je mentionne publiquement qu’ils m’avaient aidée », a-t-elle indiqué. Cependant, aucun financement n’a été engagé jusqu’à présent.
Aylin Agahi a donc dû financer elle-même une grande partie des coûts et emprunter de l’argent à quinze des familles d’enfants à qui elle a enseigné la musique. Celles-ci ont exprimé leur soutien et partagé son espoir que le café serait bénéfique non seulement pour leurs propres enfants, mais également pour tous les jeunes et adultes atteints d’autisme et du syndrome de Down.
Néanmoins, en raison de la chute soudaine de la valeur du rial iranien, exacerbée par le récent rétablissement des sanctions américaines, moins d’Iraniens ordinaires peuvent désormais s’offrir le luxe de dépenser leur argent au café. Les coûts de l’établissement ont également augmenté, du loyer mensuel aux matières premières achetées pour la préparation du café et du thé.
Un autre gros obstacle pour le café est son emplacement, au dernier étage d’un petit centre commercial désert appelé Ayneh Vanak. Contrairement aux cafés situés ailleurs dans la ville, qui restent ouverts jusqu’à 23 heures ou jusqu’à minuit, le café Downtism est obligé de fermer avant la fermeture du centre commercial, à 21 heures, ce qui limite le nombre de clients accueillis quotidiennement.
Il a également été interdit à Downtism de faire de la publicité à l’entrée du centre commercial, ce qui rend presque impossible d’attirer de nouveaux clients à moins que ce ne soit par la publicité sur les réseaux sociaux ou par le bouche-à-oreille.
Réactions des clients
Comme dans beaucoup de grandes villes, il devient difficile de trouver un véritable sens de la communauté à Téhéran. Dans le monde moderne de la communication rapide, il y a souvent très peu de dialogue ou de lien entre les serveurs et les clients dans les cafés et restaurants.
Cependant, au café Downtism, le personnel est désireux de communiquer avec ses clients en engageant la conversation avec eux et en se pliant en quatre pour que tout le monde quitte le café avec le sourire aux lèvres.
« Nous voulons que tous les gens autour de Téhéran, en Iran et dans le monde entier viennent nous voir, pour voir comment nous travaillons »
- Salar Mohammady, directeur du café Downtism
Selon Salar Mohammady, la clientèle est très solidaire et apprécie véritablement l’établissement. « Les clients sont merveilleux. Ils sont patients avec nous si le service est retardé ou si la qualité est moindre. Ils comprennent toujours les circonstances et ils nous soutiennent. »
Outre une grande variété de boissons chaudes et de collations inscrites au menu, cet espace sert également à mettre en valeur les talents et les compétences du personnel.
Mehdi et d’autres employés jouent du piano dès qu’ils ont un moment de libre tout au long de la journée ; de nombreuses œuvres d’art peintes par les membres du personnel ornent également les murs du café.
Des objets d’artisanat tels que des bijoux en perles et des tentures murales sont également disponibles à la vente, dont les bénéfices servent tous à payer les coûts d’exploitation du café.
La musique constitue depuis le début une caractéristique importante du lieu, sous l’influence d’Aylin Agahi et des talents musicaux de nombreux employés. En plus du piano, certains jouent de l’orgue et du tonbak, un tambour iranien traditionnel.
Salar Mohammady explique qu’en raison des restrictions budgétaires, tous les instruments dont le personnel sait jouer ne sont malheureusement pas encore disponibles au café, mais il est à espérer qu’un jour, tous auront la possibilité de montrer leurs talents au monde entier.
Espoirs pour le futur
À l’avenir, l’équipe espère trouver un espace plus grand et plus ouvert, agrandir ses locaux et accroître ses capacités pour servir davantage de clients. Sur le plan financier, ce rêve est lointain, et aucun projet n’est actuellement prévu.
« Nous aimerions bien pouvoir créer différentes succursales ailleurs à Téhéran, dans des villes comme Karaj et Qazvin – pour ces gars, pour leur avenir et leur permettre d’être indépendants », a déclaré le gérant.
Selon Mohammady et Agahi, les personnes ayant des besoins spéciaux sont souvent isolées de la société iranienne, car les familles craignent les préjugés à leur encontre. Cependant, plus ils sont isolés, plus il y a d’incompréhension et de préjugés. C’est cet isolement du reste de la société que le café veut combattre.
Mehdi est enthousiaste à l’idée de travailler ici et se réjouit de l’avenir et de la possibilité d’acquérir plus d’expérience.
« Nous voulons que les gens nous soutiennent », confie-t-il. « Nous voulons que tous les gens autour de Téhéran, en Iran et dans le monde entier viennent nous voir, pour voir comment nous travaillons. »
Malgré les obstacles, chaque membre de l’équipe continue de travailler dur pour servir les clients avec beaucoup de soin et d’attention. Tous veulent montrer au monde qu’ils sont plus que capables d’apporter quelque chose d’unique à leur communauté.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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