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Tunisie : la pénurie de lait, symptôme d’une filière qui s’effondre

Flambée des cours des céréales, sécheresse, manque de liquidités dans les caisses de l’État expliquent en partie cette crise
Cette photo, prise le 12 janvier 2023, montre des chariots remplis de briques de lait dans un supermarché de Tunis, où le rationnement est imposé à deux briques de lait par personne au milieu d'une pénurie de café, lait, pâtes et sucre (AFP/Fethi Belaïd)
Cette photo, prise le 12 janvier 2023, montre des chariots remplis de briques de lait dans un supermarché de Tunis, où le rationnement est imposé à deux briques de lait par personne au milieu d'une pénurie de café, lait, pâtes et sucre (AFP/Fethi Belaïd)
Par AFP à EL BATTAN, Tunisie

Noura arpente le centre de Tunis à la recherche de lait. « Quand j’en trouve, je ne peux pas acheter plus de deux briques », dit-elle à propos d’une pénurie qui illustre les affres d’une filière « en lent effondrement ».

Le marché tunisien absorbe 1,8 million de litres quotidiennement alors que la production atteint au maximum 1,2 million, selon des données officielles.

« Le lait est indispensable, surtout pour nos enfants », confie à l’AFP Noura Bchini, ménagère quinquagénaire. Près d’elle, une autre cliente, Leila Chaouali, dit s’en procurer « mais à des moments précis, surtout le matin. L’après-midi il n’y en a plus ».

Cette pénurie est apparue au grand jour fin octobre quand des supermarchés ont placardé l’injonction : « Deux briques de lait par citoyen ».

À 40 km à l’ouest de Tunis, Mohamed Gharsallaoui, éleveur dans le village d’El Battan, penché sur sa trayeuse, explique avoir dû vendre quatre vaches ces derniers mois pour acheter du fourrage et nourrir sa vingtaine de bêtes.

« Ce sont les vaches qui faisaient vivre ma famille »

Sur son exploitation, cet éleveur de 65 ans montre ses factures de foin, d’orge ou de complément maïs-soja, qu’il peine à régler.

Le prix du sac de 50 kg de complément a été multiplié par huit en dix ans pour atteindre 81 dinars (24 euros).

« Pourquoi on manque de lait ? Parce qu’on ne donne pas aux vaches les quantités de nourriture dont elles ont besoin », explique-t-il à l’AFP.

De 30 litres de lait par jour, chaque vache n’en produit plus que 12. « Nous leur fournissons la moitié de la quantité précédente de fourrage et d’herbe », souligne-t-il.

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Éleveur passionné qui a débuté il y a 50 ans avec une seule vache, Mohamed Gharsallaoui est triste de voir son troupeau s’étioler.

« Ce sont les vaches qui faisaient vivre ma famille », se désole ce père de quatre enfants adultes. « Aujourd’hui je dois envoyer [mes enfants] travailler ailleurs pour faire vivre mes vaches. »

L’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP) a tiré la sonnette d’alarme il y a un an « quand les éleveurs ont commencé à vendre leur lait à perte ».

« Les prix de l’alimentation animale sont devenus fous avec 30 à 40 % de hausse sur un an. C’est lié à la situation internationale, à la guerre en Ukraine en particulier » qui a fait flamber les cours des céréales dont la Tunisie est fortement importatrice, souligne son porte-parole Anis Kharbeche.

Il s’inquiète pour le mois du Ramadan qui débutera vers le 22 mars, « au cours duquel la consommation de lait augmente et où la pénurie atteindra un million de litre par jour ».

Pour le moment, l’État s’est contenté, dans la loi de finances 2023, de lever les taxes sur l’importation de lait en poudre, au risque de concurrencer la production locale

Ces difficultés sont accentuées par la sécheresse qui sévit en Tunisie, avec des barrages remplis au maximum à 30 %, selon l’UTAP.

Pour limiter leurs pertes, beaucoup d’agriculteurs sont contraints de vendre une partie de leur cheptel, soit à des bouchers locaux, soit à des éleveurs dans l’Algérie voisine.

Selon l’UTAP, les troupeaux tunisiens se sont réduits de 30% en 2022.

Face à ce « lent effondrement », l’État, qui avait soutenu après l’indépendance (en 1956) l’établissement d’une filière lait, doit reprendre l’initiative, estime Anis Kharbeche, rappelant que la Tunisie parvenait à exporter du lait certaines années jusqu’en 2017.

Pour le moment, l’État s’est contenté, dans la loi de finances 2023, de lever les taxes sur l’importation de lait en poudre, au risque de concurrencer la production locale.

Café, sucre, huile

Et des déclarations récentes du président Kais Saied imputant à des « spéculateurs » non identifiés les problèmes de la filière n’ont pas rassuré les éleveurs.

Pour l’UTAP, la solution serait « un prix variable » appliqué par l’État aux achats de lait, qui fluctuerait en fonction des cours de l’alimentation animale. Et il faudrait « aider les agriculteurs pour la production d’herbe fraîche », avec une stratégie de retraitement des eaux usées et les soutenir dans l’achat de compléments alimentaires. 

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Le lait n’est qu’un des produits touchés par des pénuries sporadiques ces derniers mois, à côté du café, du sucre ou de l’huile.

Des experts les expliquent par un manque de liquidités de l’État tunisien, qui a le monopole de l’approvisionnement en produits de base subventionnés. Très endetté, le pays négocie depuis des mois un prêt de presque 2 milliards de dollars avec le Fonds monétaire international (FMI).

Par Aymen Jamli.

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