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Istanbul dans la hantise du « Big One »

Choqués par les destructions du séisme du 6 février, les habitants d’Istanbul vivent dans la crainte d’une nouvelle catastrophe
Vue générale du district de Bağcılar, à Istanbul (AFP/Ozan Kose)
Vue générale du district de Bağcılar, à Istanbul (AFP/Ozan Kose)
Par AFP à ISTANBUL, Turquie

L’ingénieur, casque blanc et gilet bleu, ausculte le béton. Dans deux jours, les résidents de ce modeste immeuble du district de Bağcılar, à Istanbul, sauront si leurs murs risquent de s’effondrer au premier séisme.

« J’ai plutôt confiance mais mes enfants ne sont pas convaincus, alors nous faisons faire ce test », confie Durmus Uygun, propriétaire d’un appartement situé au quatrième étage du bâtiment.

« S’il est positif, nous pourrons vivre en paix. Mais qui sait où nous nous trouverons au moment du séisme ? On sera peut-être au supermarché ou sur notre lieu de travail, c’est ce qui nous fait peur », lâche le quinquagénaire coiffé d’un béret noir.

Des sismologues ont calculé à 47 % la probabilité qu’un séisme d’une magnitude supérieure à 7,3 se produise près d’Istanbul dans les 30 ans

Depuis le tremblement de terre de magnitude 7,8 du 6 février, qui a fait plus de 48 000 morts en Turquie et dévasté des régions entières, plus de 140 000 habitants ont contacté la municipalité d’Istanbul afin que leur immeuble soit testé.

Cinquante équipes d’ingénieurs parcourent la mégapole, mesurant la qualité du béton et le diamètre des fers à béton. Si le risque est jugé « très élevé », les immeubles peuvent être condamnés à la démolition.

La secousse du 6 février s’est produite à 800 km de là, sur une faille éloignée, mais les images des villes éventrées ont créé une psychose à Istanbul, où près de 100 000 immeubles s’effondreront ou seront gravement endommagés en cas de séisme de magnitude 7,5, de l’aveu même de la municipalité.

Certains quartiers du sud de la ville ne sont situés qu’à 15 km de la faille nord-anatolienne, et des sismologues ont calculé à 47 % la probabilité qu’un séisme d’une magnitude supérieure à 7,3 se produise près d’Istanbul dans les 30  ans.

À deux pâtés de maisons de l’immeuble de Durmus Uygun, dans ce quartier déshérité et densément peuplé de la rive européenne d’Istanbul, Ali Nezir, quincailler, vend depuis un mois des sifflets aux habitants qui craignent de se retrouver un jour sous les décombres. 

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« Les gens ont peur », dit l’homme, dans sa petite boutique située sous douze étages de béton.

Des habitants ont commencé à stocker biscuits et bouteilles d’eau au pied de leur lit. D’autres, comme Durmus Uygun, se sont constitués des sacs d’urgence contenant de quoi survivre en attendant les secours.

Ugur Erisoglu, grossiste stambouliote, vend pour 200 livres turques (10 euros) de petits sacs rouges conçus spécialement pour les séismes contenant lampes, couvertures de survie, kits d’urgence et minerves, « tout ce qui peut sauver ».

Ses ventes ont explosé : « Nous en vendions 1 000 par mois. Depuis le séisme nous avons reçu 15 000 commandes, dont 8 000 pour Istanbul ».

Quitter Istanbul, une  « priorité »

La peur du « Big One », parfois ancrée de longue date chez les habitants ayant vécu le séisme d’août 1999, qui a fait plus de 17 000 morts dans le nord-ouest de la Turquie, dont un millier à Istanbul, conduit certains habitants à vouloir déménager.

« Il y a une forte demande pour les quartiers nord d’Istanbul, plus éloignés de la ligne de faille, et pour les maisons individuelles », explique Mehmet Erkek, directeur général de Zingat, une plateforme d’annonces immobilières.

Les recherches ont aussi explosé pour des villes comme Edirne et Kirklareli, situées à 200 km environ au nord-ouest d’Istanbul, à distance des potentielles secousses.

Nil Akat, psychologue clinicienne, reçoit elle aussi des patients « qui font des plans très concrets pour déménager d’Istanbul ».

« Beaucoup ne se sentent plus en sécurité chez eux. Ils sont en état d’alerte, toujours sur le qui-vive »

- Nil Akat, psychologue clinicienne

« Beaucoup ne se sentent plus en sécurité chez eux. Ils sont en état d’alerte, toujours sur le qui-vive. Dans la rue, ils choisissent le bon trottoir au cas où un immeuble s’écroulerait ».

La psychologue en a parlé avec des confrères : « Une partie [de nos patients] n’arrivent plus à penser de manière rationnelle. »

Pour elle, cette peur peut s’emparer de « tout le monde ». « Il n’y a pas d’âge, pas de classe sociale. »

Çisel Aktimur songeait depuis longtemps à quitter Istanbul, mais le séisme du 6 février a transformé cette envie en « priorité ».

La trentenaire, qui vit au douzième étage d’une tour, possède une vue imprenable sur une partie de la ville.

Elle préfère ne pas imaginer les scènes de dévastation dont elle serait la spectatrice en cas de séisme d’ampleur : « Même si rien n’arrive à mon immeuble, je ne pourrai sans doute pas supporter ce que je verrai. »

Par Rémi Banet.

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