Guerre en Ukraine : ces Occidentaux qui ont combattu l’État islamique et qui aident Kyiv maintenant
Lorsque l’intervention militaire internationale contre le groupe État islamique (EI) a pris de l’ampleur fin 2014, Aiden Aslin a décidé de se battre.
Ce jeune Britannique s’est rendu en Syrie en 2015 et a passé deux ans à combattre là-bas aux côtés des combattants kurdes au sein des Unités de protection du peuple (YPG).
Cinq ans plus tard, celui qui est aujourd’hui un marine ukrainien se retrouve prisonnier des Russes à Marioupol, après avoir quitté le champ de bataille contre l’EI pour rejoindre un autre combat.
Cet ancien soignant est l’un des combattants occidentaux qui ont soutenu par dizaines les forces kurdes en Irak et en Syrie et rejoignent aujourd’hui les rangs de ceux qui combattent les forces russes en Ukraine, de deux mois après que Moscou a envahi son voisin.
En 2018, Aslin s’est rendu en Ukraine, où il a rencontré sa fiancée, acheté une maison et rejoint le corps des marines.
Un de ses amis, Brennan Philips, confie à Middle East Eye que sa décision tient à son amour des gens et à son « indignation face au fascisme russe ».
« C’est pour ça qu’il est parti en Ukraine. Il a vu l’opportunité de se lancer dans une carrière de marine et l’a saisie », raconte cet ancien soldat américain qui a passé du temps avec Aslin dans la région kurde de Syrie.
Début avril, après des semaines de combats intenses, Aslin et son unité ukrainienne se sont rendus aux forces russes à Marioupol. Une vidéo publiée par un média d’État russe l’a montré avec des coupures et des hématomes au visage.
Traduction : « Une photo plus nette du passage à tabac qu’a subi Aiden. Jusqu’à présent, ils font ce à quoi on s’attendait de leur part avec des déclarations enregistrées. Les médias russes font la danse de la victoire. Grand bien leur fasse si ça garde mon ami en vie. »
Aslin n’est ni un volontaire ni un mercenaire appartenant à un quelconque groupe paramilitaire ukrainien, dont le notoire bataillon Azov, insiste Philips, et les forces russes sont désormais responsables de sa sécurité.
« S’il lui arrive quoi que ce soit désormais, il s’agira d’un crime de guerre parfaitement établi et d’une violation des conventions de Genève, qui le protègent de droit », indique-t-il.
Des guerres différentes
Après le début de l’invasion russe de l’Ukraine fin février, des milliers de combattants étrangers ont été appelés à rejoindre les rangs des deux camps.
Beaucoup parmi eux ont opéré en Syrie, en particulier dans la lutte contre l’EI.
Ancien volontaire britannique ayant participé à la campagne pour reprendre Manbij et Raqqa à l’EI, Macer Gifford met aujourd’hui en place une formation médicale pour la force de défense territoriale ukrainienne.
Il précise cependant que, contrairement à la Syrie, il n’est pas en Ukraine pour soutenir l’armée « parce que [celle-ci est] déjà bien approvisionnée par l’Occident et déjà bien formée ».
Il tente également d’apporter une aide médicale dans le pays, où il a passé quelques semaines avant d’être coincé au Royaume-Uni après avoir contracté le covid.
« [Les Ukrainiens] me rappellent énormément l’état d’esprit des milliers de jeunes hommes et femmes qui ont rejoint les forces kurdes pour défendre leur patrie. J’avais la même sensation dans les Unités de protection du peuple, en particulier ceux qui se sont portés volontaires pour protéger leur pays », rapporte Gifford à MEE.
Ryan O’Leary, vétéran de la garde nationale de l’Iowa qui a combattu et formé les forces kurdes contre l’État islamique pendant quatre ans en Irak, abonde dans son sens.
« Pour être honnête, ils sont très semblables. Les forces armées ukrainiennes et les Kurdes ont la même mentalité en ce qui concerne les combats et leur patrie », déclare-t-il à MEE.
Il observe toutefois que les forces ukrainiennes sont bien plus organisées, « surtout parce que toutes les forces ukrainiennes, même les milices, sont sous le contrôle du gouvernement au lieu des partis politiques ».
« Les combats en revanche sont très différents. Là, on se bat rue par rue, village par village à travers les bois… les lignes de front fluctuent tellement, les troupes se déplacent tellement pour les Russes, qu’il y a beaucoup plus de violence, c’est bien plus brutal », poursuit O’Leary.
Ces deux conflits divergent aussi dans la perception qu’en a l’opinion publique occidentale, estime Philips.
« Peu de gens en Occident ont un lien avec le Moyen-Orient hormis peut-être les vétérans de l’armée qui ont servi dans la région ou leurs familles qui viennent de là-bas », explique-t-il.
« C’est juste que nous avons tellement de liens ici. Je veux dire, c’est un pays européen tout comme l’Allemagne ou la France, ou même le Royaume-Uni. Il est si important de faire cette distinction. Et c’est une des choses qui sont différentes, mais ils ont aussi une grande richesse de capital humain. »
Une plus grande solidarité avec l’Ukraine
Gifford ressent la même chose que Philips et convient que les Britanniques lambda sont plus solidaires avec l’Ukraine qu’avec les Kurdes.
« Je sais qu’il y aura beaucoup de gens frustrés et agacés que la Syrie ou l’Irak soient moins dans les esprits des Européens que, disons, l’Ukraine. »
Bien que Gifford estime que c’est une honte que les volontaires en Syrie aient bénéficié d’un soutien officiel moins important que pour l’Ukraine, il choisit d’ignorer cela pour le moment et de concentrer ses efforts sur « une véritable aide au peuple ukrainien ».
Chris Scurfield, père de Konstandinos Erik Scurfield (25 ans), qui est mort en combattant aux côtés des forces kurdes contre l’EI en 2015, indique que le Royaume-Uni a par le passé tenté de poursuivre en justice les combattants britanniques qui avaient pris les armes contre le groupe en Syrie, et a été choqué lorsque la secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Liz Truss, a déclaré qu’elle soutiendrait les volontaires qui iraient en Ukraine.
« Cela met les volontaires sur l’échiquier politique car la guerre en Ukraine marque un revirement total, le Royaume-Uni mène la guerre contre les Russes physiquement et économiquement et a initialement encouragé les volontaires à aller combattre la Russie », indique Scurfield à MEE.
Truss a plus tard déclaré que la diplomatie britannique conseillait aux gens de ne pas se rendre en Ukraine.
« J’ai été choqué par cette réaction initiale parce que cela marquait une rupture nette de politique et montrait un antagonisme contenu envers la Russie », poursuit Scurfield.
« Reste à savoir de quelle façon le gouvernement britannique va traiter les volontaires ukrainiens à leur retour. »
Le scepticisme de Scurfield vis-à-vis de la politique du gouvernement britannique tient à ce qu’ont connu les combattants qui revenaient de Syrie.
« [Certains volontaires] seront à jamais soumis à la pression d’une arrestation par l’État britannique. Il est compréhensible que certains volontaires aient cherché à s’expatrier dans des pays où on accorde plus de valeur à leur vie et leur contribution », explique-t-il.
« L’Ukraine bénéficie d’un soutien total de l’Occident, mais au Rojava [zone kurde de Syrie], ils étaient et sont toujours privés de l’oxygène de la publicité, d’un refuge et au bout du compte, de soutien occidental, malgré le fait que les deux conflits défendent les “valeurs occidentales”. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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