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« Un feu vert » à l’annexion : les Palestiniens redoutent les conséquences du soutien américain aux colonies israéliennes

Pour les Palestiniens, le soutien apporté par Washington aux colonies illégales est un blanc-seing donné à Israël pour annexer les territoires occupés
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou (au centre) rencontre les responsables des autorités des colonies israéliennes dans la colonie d’Alon Shvut, en Cisjordanie occupée, le 19 novembre (AFP)
Par Shatha Hammad à RAMALLAH, Cisjordanie occupée

Depuis deux mois, Jalil Khalil vit dans l’anxiété. Il s’attend à la démolition de sa maison d’un jour à l’autre.

Désormais, suite à l’annonce que le gouvernement américain ne considère plus les colonies israéliennes comme étant contraires au droit international, Jalil Khalil et bien d’autres ont peur, pas seulement pour leurs maisons, mais aussi pour leurs terres et le futur État de Palestine qui sont également menacés.

Ce mercredi, un tribunal israélien doit décider du sort des maisons de Khalil et de cinq autres familles palestiniennes du même village, Kobar, situé au nord-ouest de Ramallah, dans le centre de la Cisjordanie occupée.

Khalil indique que la colonie la plus proche se trouve à six kilomètres, ce qui l’avait persuadé de pouvoir construire en toute sécurité une maison pour les onze membres de sa famille

« La déclaration américaine d’hier a accru nos craintes et nous sommes dorénavant quasi-certains que le tribunal ne se prononcera pas en notre faveur », déclare Jalil Khalil en référence à l’annonce faite par le secrétaire d’État américain Mike Pompeo.

Le tribunal israélien a indiqué en septembre que les logements avaient été construits en violation d’une interdiction de construction et devaient être démolis, une pratique qui a engendré la démolition de 155 habitations rien qu’à Jérusalem-Est cette année, selon le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem, laissant 269 familles sans abri.

« La décision américaine est synonyme de feu vert à Israël pour démolir nos maisons et confisquer nos terres en faveur de la construction de colonies », ajoute Khalil.

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Le quinquagénaire possède 8 000 mètres carrés de terres qui, selon Israël, relèvent de la zone C, qui représente 62 % de la Cisjordanie totalement sous le contrôle militaire israélien.

Khalil indique que la colonie la plus proche se trouve à six kilomètres, ce qui l’avait persuadé de pouvoir construire en toute sécurité une maison pour les onze membres de sa famille. Mais aujourd’hui, il pense que les autorités israéliennes pourraient avoir l’intention de construire de nouvelles colonies sur ses terres.

« Après la déclaration américaine, rien ne les en empêchera », prédit Khalil. « D’après nous, l’annonce donne une légitimité à l’existence des colons et retire en contrepartie la légitimité des Palestiniens, de leur terre et de leur foyer. »

L’homme rapporte que sa famille a emprunté et investi toutes ses économies dans la construction de sa maison, et il redoute aujourd’hui de se retrouver sans abri.

Au-dessus des lois

Ailleurs en Cisjordanie, Ghassan al-Najjar éprouve les mêmes craintes. Sa terre située à Burin, un village au sud-ouest de Naplouse, unique source de revenu pour sa famille, a été menacée de confiscation au profit de la colonie de Yitzhar.

« Les colons n’ont pas attendu une déclaration américaine qui les légitiment. En réalité, ils agissent comme s’ils étaient les seuls à avoir le droit d’être ici », déplore cet agriculteur de 29 ans à Middle East Eye.

« Ils se considèrent au-dessus des lois et mènent des attaques quotidiennes contre la population de Burin sous la garde et la protection de l’armée israélienne. »

« Le futur de nos terres est incertain. Nous pouvons y accéder aujourd’hui, mais nous ne savons pas si nous pourrons y accéder demain » 

- Ghassan Najjar, agriculteur palestinien

En octobre, des colons ont mis le feu à une superficie de 3 000 mètres carrés, dont 60 oliviers appartenant à la famille Najjar. Ce mois-ci, les colons ont coupé des oliviers dans une autre parcelle de terre lui appartenant.

Najjar raconte que les habitants de Burin ont perdu environ 3 000 oliviers depuis juin et que les colons ont volé les fruits de 1 500 oliviers, auxquels les forces israéliennes ont empêché les habitants d’accéder jusqu’à ce que « les colons aient fini leurs vols ».

La famille Najjar dépend de la culture de légumes de saison, mais elle compte principalement sur la saison de l’huile d’olive pour subvenir à ses besoins.

Ghassan Najjar estime que la décision des États-Unis légitime les attaques des colons contre les Palestiniens et toute nouvelle confiscation de terres.

Des manifestants palestiniens et étrangers hissent le drapeau palestinien à Bilin, en face des colonies de Modiin Illit en Cisjordanie occupée, le 4 octobre (AFP)

« Le futur de nos terres est incertain. Nous pouvons y accéder aujourd’hui, mais nous ne savons pas si nous pourrons y accéder demain. »

Pour Khalil Tufakji, directeur du Maps and Survey Centre, l’annonce américaine de ce lundi est dans la lignée de la décision du président américain Donald Trump de déplacer l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem, de déclarer la ville comme capitale d’Israël et de reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan occupé – tout cela au cours des deux dernières années.

« L’annonce des États-Unis de reconnaître la légitimité des colonies en Cisjordanie sera un feu vert pour qu’Israël impose publiquement sa souveraineté et abolisse l’État palestinien une fois pour toutes », déclare-t-il à MEE.

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Il ajoute que cette décision ne se limitera pas aux colonies, mais inclura également les terres alentours, ce qui signifie que les deux tiers de la Cisjordanie relevant de la zone C pourraient être considérés par les États-Unis comme faisant partie d’Israël.

Mardi, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a appelé à la formation d’un gouvernement d’union qui annexerait une grande partie de la Cisjordanie occupée avant une rencontre avec son rival politique, Benny Gantz, qui n’a plus que quelques heures pour former un gouvernement de coalition.

« L’occupation s’étendra et accélérera la mise en œuvre de ses politiques en zone C, et procédera à un nettoyage ethnique et des déplacements massifs de Palestiniens et les regroupera dans des zones spécifiques. »

Complices de crimes de guerre

Pour les analystes palestiniens, la décision des États-Unis de légitimer les colonies israéliennes signifie que l’administration Trump ne reconnaît pas la souveraineté de l’Autorité palestinienne sur la Cisjordanie ou la solution à deux États.

D’après Jihad Harb, un analyste politique, la déclaration de Pompeo nuira à tout futur processus de paix susceptible de mettre fin à l’occupation israélienne des terres prises en 1967 et affectera la capacité de l’Autorité palestinienne à faire avancer une solution à deux États déjà moribonde.

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« L’annonce des États-Unis et leur tentative d’imposer une nouvelle réalité n’affecteront pas la position des pays européens, qui ne seront pas obligés de suivre les politiques américaines concernant la cause palestinienne », ajoute l’analyste, qui pense que les États membres de l’Union européenne s’accrochent toujours à la solution à deux États en tant que solution appropriée à l’occupation.

Pour Essam al-Arouri, directeur du Jerusalem Centre for Legal Assistance, la décision américaine s’inscrit dans le cadre d’un abandon plus large de plusieurs principes du droit international par les États-Unis sous Trump.

« En légitimant les colonies en Cisjordanie, les États-Unis renoncent à leur rôle de médiateur de paix, ils renoncent aux lois de l’ONU et aux lois internationales », déclare-t-il à MEE.

« Le danger de cette décision vient du fait que les partis israéliens de droite rivalisent pour imposer une nouvelle réalité sur le terrain, qui comprend l’annexion de la vallée du Jourdain et de la zone C », poursuit-il.

« En légitimant les colonies en Cisjordanie, les États-Unis renoncent à leur rôle de médiateur de paix, ils renoncent aux lois de l’ONU et aux lois internationales »

- Essam al-Arouri, directeur du Jerusalem Centre for Legal Assistance

Selon lui, l’annonce américaine prolongera le conflit israélo-palestinien et pourrait engendrer davantage de conflits dans la région.

« Les États-Unis n’ont jamais été un honnête artisan de paix […] Mais l’administration Trump a établi une nouvelle norme en ce qui concerne le parti pris de la politique américaine à l’égard d’Israël », estime Arouri.

Pour Yaser al-Amouri, doyen de la faculté de droit et d’administration publique de l’Université de Birzeit, la décision américaine viole le droit international, faisant de Washington un complice des crimes de guerre d’Israël.

« Les conventions de Genève, et en particulier la quatrième convention de Genève, considèrent les colonies comme une violation du droit international et humanitaire et comme un crime de guerre dont les auteurs étatiques devraient être tenus responsables », rappelle-t-il. Selon lui, cette annonce n’a aucune valeur juridique et ne change rien au fait que les colonies violent le droit international.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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