« Un grand massacre » : les colons s’en prennent aux oliviers palestiniens dans un contexte de montée des violences
Lorsqu’un agriculteur du coin a téléphoné à Sayel Kanaan et lui a dit de se rendre sans tarder sur son terrain près du village de Burqa, en Cisjordanie occupé, il ne pouvait imaginer la scène qu’il y découvrirait.
« Ma famille et moi nous sommes rendus en hâte sur notre propriété et avons découvert ce qui ne peut être décrit que comme un grand massacre », rapporte Sayel Kanaan à Middle East Eye.
« Des oliviers romains âgés de 300 à 500 ans avaient été abattus, ainsi que les arbres plantés récemment… Tous les arbres que nous avons hérités de nos ancêtres sont perdus. »
Mardi soir, des colons israéliens ont attaqué la propriété de sa famille, coupant et détruisant 150 oliviers et des centaines d’années d’histoire.
« Tous les arbres que nous avons hérités de nos ancêtres ont été perdus »
- Sayel Kanaan, agriculteur
« Nous n’avions jamais connu de jour aussi triste que ce jour, et nous continuerons à le vivre chaque jour jusqu’à notre mort », déclare Sayel Kanaan.
Cet incident faisait suite à deux jours d’attaques contre sa famille, dernier symptôme de l’intensification de la violence des colons en Cisjordanie.
Dimanche, Sayel Kanaan et sa famille ont été pris dans une embuscade alors qu’ils labouraient leurs champs près de la colonie de Givat Atsaf, qui s’empare de terres appartenant au village de Burqa depuis l’an 2000.
Effrayés, les Kanaan ont invité un groupe de solidarité internationale à les accompagner le lendemain. Les colons sont revenus malgré cela.
« Ils ont commencé à nous attaquer et à nous jeter des pierres. Nous avons, nous aussi, essayé de les affronter à coup de pierres », raconte Sayel Kanaan.
« Les affrontements se sont poursuivis pendant une heure avant que nous ne les forcions à se retirer, puis nous sommes retournés au village pour éviter une autre attaque. »
Malgré la violence, les Kanaan ne s’attendaient pas à ce que les attaques des colons sur leurs terres s’intensifient au point de voir tous leurs oliviers abattus.
« La terre est une ligne rouge à laquelle nous ne pouvons pas renoncer. La préserver des colons sionistes est devenue difficile, mais nous résisterons et la transmettrons à nos enfants et petits-enfants », insiste Sayel Kanaan, ajoutant que les oliviers que la famille a perdus constituaient la principale source de revenus d’une soixantaine de personnes.
Intensification des attaques
Ce n’est pas la première fois que des colons s’en prennent à la propriété des Kanaan.
En 2013, des colons avaient incendié deux véhicules devant sa maison dans le cadre des attaques à grande échelle sur Burqa, dont notamment l’incendie d’une mosquée en 2011.
En outre, les assaillants ont inscrit l’année dernière des slogans racistes appelant à l’assassinat et à l’expulsion des Palestiniens sur les murs des maisons du village.
Depuis 2014, les colons ont intensifié leurs attaques en Cisjordanie, en particulier dans la zone C, sous contrôle direct de l’armée israélienne.
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), les attaques des colons au cours des quatre premiers mois de 2018 ont considérablement augmenté par rapport à l’année précédente, de 50 à 62 %.
Celles-ci incluaient la destruction de 900 arbres. Selon un rapport du Centre israélien d’information sur les droits de l’homme dans les territoires occupés, dix attaques de colons sur des terres palestiniennes documentées entre mai et juillet 2018 ont entraîné la destruction de plus de 2 000 pieds de vignes et arbres.
Ghassan Daghlas, responsable de l’Autorité palestinienne (AP) chargé de surveiller les activités des colons dans le nord de la Cisjordanie, explique à MEE que la destruction d’oliviers est l’un des moyens utilisés par les colons pour tenter de vider la zone C des Palestiniens.
« Cela ne provoque pas seulement un préjudice psychologique, mais aussi la perte du gagne-pain [de l’agriculteur] »
- Ghassan Daghlas, responsable de l’AP
L’an dernier, l’Autorité palestinienne a recensé 7 000 arbres abattus par les colons. Jusqu’à présent cette année, 3 000 arbres supplémentaires ont été détruits.
Ghassan Daghlas explique que les oliviers ont besoin de quinze ans de soins pour devenir productifs. La valeur de l’huile produite par l’olivier romain commun en Palestine est de 150 à 280 dollars par an.
« La chose la plus difficile à subir pour un agriculteur est l’attaque des oliviers par les colons, car cela ne provoque pas seulement un préjudice psychologique, mais aussi la perte de son gagne-pain », souligne-t-il.
« Rien ne peut compenser un arbre hérité de ses ancêtres, ou planté il y a des dizaines d’années. »
Effet psychologique
Adnan Salim, un agriculteur et militant de La Via Campesina, un groupe qui se décrit comme un mouvement paysan international, indique que les attaques répétées des colons affectent la détermination des agriculteurs qui consacrent des efforts considérables à la productivité de leurs terres.
« L’olivier est fondamental dans la vie d’un Palestinien, il a été élevé pour le préserver. Lorsqu’un colon sioniste venant d’un autre pays vient le couper, il nous détruit psychologiquement », affirme-t-il.
« La coupe d’arbres est un moyen de confisquer des terres et de les annexer aux colonies de peuplement.
« Nous assistons à une lutte de volonté entre un occupant et les personnes qui se battent pour leur patrie », ajoute-t-il.
Les tribunaux israéliens s’appuient sur une ancienne loi ottomane leur permettant de contrôler les terres palestiniennes s’il est prouvé que ces terres sont abandonnées depuis trois ans.
Pour le directeur de l’unité des relations internationales et de l’information de la Commission de résistance à la colonisation et au mur, Younes Arar, les colons adeptes du mouvement « prix à payer » (price tag), connus pour leurs attaques contre les Palestiniens, sont à l’origine de la destruction des arbres et sont protégés par l’armée israélienne.
« Les oliviers, tout comme les maisons, confèrent une protection légale à la terre de sorte que les colons ne peuvent s’en emparer. Les abattre est une stratégie pour supprimer cette protection », explique-t-il à MEE.
Il indique que le service juridique de la commission a porté 3 200 affaires contre la confiscation de terres et de biens immobiliers devant des tribunaux israéliens, fournissant des photos aériennes prouvant que la terre était occupée en permanence et non pas abandonnée, comme le prétendent les autorités israéliennes.
Replanter les arbres
Dans les champs, les Palestiniens mènent des campagnes de boisement sur les terres menacées de confiscation.
Fuad Abu Saif, directeur du département des opérations et du développement de l’Union of Agricultural Work Committees, indique à MEE que son organisation contribue à la plantation de 20 000 à 30 000 arbres fruitiers chaque année.
L’année dernière, elle a lancé une campagne intitulée « Planter des graines dans la zone C », visant à compenser les arbres déracinés ou abattus au cours des deux années précédentes.
L’an dernier, l’organisation a réussi à planter des milliers d’arbres sur les territoires adjacents aux colonies se trouvant sous la menace d’une confiscation.
« Ces campagnes ont pour but de soutenir les agriculteurs palestiniens et de leur dire qu’ils ne sont pas seuls », déclare Abu Saif.
« Le deuxième objectif est de souligner qu’il existe une volonté palestinienne forte et un projet palestinien bien construit pour entretenir la terre et la protéger. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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