Au Yémen, les psychiatres débordés en pleine tragédie humanitaire
À l’hôpital psychiatrique de Taëz, dans le Sud-Ouest du Yémen, l’une des villes les plus affectées par les sept ans de conflit dans le pays, « on essaie de fournir des traitements, mais on ne peut soigner tout le monde », regrette le directeur, Adel Melhi.
La structure publique, qui peut accueillir 200 patients au plus, n’a ni la capacité, ni le personnel, ni les médicaments nécessaires pour faire face à la hausse du nombre de malades atteints de troubles psychiques liés aux « drames provoqués par la guerre », explique le médecin.
Les subventions de l’État ne couvrant plus que 25 % du budget, l’hôpital dépend des donations pour survivre, affirme Adel Melhi.
Le Yémen est ravagé depuis 2015 par un conflit opposant les rebelles Houthis, proches de l’Iran, aux forces gouvernementales, soutenues par une coalition militaire menée par l’Arabie saoudite.
Le conflit a fait des centaines de milliers de morts et des millions de déplacés, selon l’ONU, qui estime que plus des deux tiers de la population dépendent de l’aide humanitaire, une grande partie souffrant de la faim, dans des conditions parfois proches de la famine.
59 psychiatres en 2020
Selon le ministère de la Santé, le pays et ses 30 millions d’habitants ne comptait que 59 psychiatres en 2020, soit un seul spécialiste pour 500 000 personnes.
En incluant les thérapeutes, les aides-soignants et les infirmières, le nombre de professionnels dédiés à la santé mentale s’élève à 300 personnes, répartis dans sept hôpitaux, publics ou privés.
Les autorités n’ont publié aucun chiffre récent sur les maladies psychiques au sein de la population.
Selon le ministère de la Santé, le pays et ses 30 millions d’habitants ne comptait que 59 psychiatres en 2020, soit un seul spécialiste pour 500 000 personnes
Selon une étude de la Fondation pour le développement et le soutien familial publiée en 2017, basée dans la capitale Sanaa, 19,5 % des habitants ont développé des troubles mentaux, en raison « de l’insécurité alimentaire, du choléra, des détentions arbitraires, de la torture, des attaques, des raids aériens, ou de l’absence de services de bases ».
Mais dans un rapport publié cette année, l’ONU estime que « ce chiffre est sans doute plus élevé aujourd’hui, à cause du Covid-19 et de la poursuite du conflit ».
Une trêve négociée par l’ONU a permis à la population de souffler ces six derniers mois, mais elle a expiré début octobre sans que les belligérants ne soient parvenus à un accord permettant de la reconduire.
Une stigmatisation importante
À Hajja, au nord-ouest de Sanaa, l’ONG Médecins sans frontières (MSF) gère une clinique spécialisée où la plupart des patients partagent un même « sentiment de deuil », après avoir perdu des proches ou leur maison.
Selon Aura Ramirez Barrios, responsable de la santé mentale chez MSF, « 70 à 80 % des patients présentent des troubles mentaux sévères », la majorité souffrant « de psychose, de dépression, de troubles bipolaires ou de stress post-traumatique ».
Le problème est que la plupart des Yéménites ne consultent que lorsque les symptômes deviennent « ingérables », après une tentative de suicide ou des hallucinations par exemple, en raison de la stigmatisation des maladies mentales, explique-t-elle.
Franchir les portes de la clinique est particulièrement difficile pour les femmes, qui doivent demander l’autorisation de leur famille ou de leurs maris pour se déplacer.
« C’est triste de les entendre raconter leur histoire et de réaliser qu’elles auraient eu besoin d’aide il y a bien longtemps », déplore Aura Ramirez Barrios.
Malgré tout, la responsable considère la clinique comme un lieu d’espoir, un endroit où les Yéménites se sentent en sécurité, « après toute la violence qu’ils ont et continuent de subir ».
Par Taha Saleh avec Shatha Yaish à Dubaï.
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