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« Ils ont fermé les yeux » : le gouvernement algérien accusé de manquer de préparation face aux incendies

Si les feux meurtriers des derniers jours semblent désormais maîtrisés, la colère subsiste quant à la gestion du risque incendie par le gouvernement algérien
Examen d’un bus dans lequel au moins une douzaine de personnes auraient perdu la vie lors des incendies dans la ville algérienne d’El Kala, le 18 août 2022 (AFP)

Les feux de forêt qui ont ravagé l’Algérie ces dernières 48 heures sont tous maîtrisés, selon les déclarations d’un responsable de la Protection civile à l’AFP vendredi.

Le bilan officiel provisoire est de 37 morts : 30 victimes, parmi lesquelles 11 enfants et 6 femmes, à El Tarf près de la frontière avec la Tunisie ; 5 autres décès à Souk Ahras (Est) et 2 à Sétif (Est). Mais plusieurs médias ont fait état d’une 38e victime, un homme de 72 ans mort à Guelma (Est).

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Durant 48 heures, plus de 1 700 pompiers ont lutté pour venir à bout de plus de 20 feux de forêts qui ont fait aussi environ 200 blessés, dont certains gravement brûlés.

Le ministère de la Justice a ouvert une enquête pour déterminer si certains incendies étaient d’origine criminelle.

Le parquet de Souk Ahras, où une famille entière a péri dans les flammes, a annoncé l’arrestation d’un pyromane dans une forêt à proximité. Trois hommes ont également été interpellés par la gendarmerie près d’El Tarf, à environ 200 km de là. Ils sont accusés d’avoir incendié les récoltes d’un voisin, sans que les autorités n’aient fait le lien pour le moment avec les incendies dans la région, rapporte l’AFP.

« C’est tragique »

Ces feux de forêt font suite à une vague de chaleur estivale record dans les pays méditerranéens, qui doivent lutter contre les conséquences de la crise climatique.

« C’est tragique. Mais malheureusement, c’est la deuxième année qu’on constate de tels feux de forêt », commente Abdelmadjid Bouguedra, maître de conférences à l’université Oran 2, interrogé par Middle East Eye.

« Certains sont en colère car l’État ne s’est pas préparé convenablement à une telle catastrophe après les événements de l’année passée »

- Abdelmadjid Bouguedra, maître de conférences

En 2021, des incendies avaient fait rage dans le Nord-Est de l’Algérie, faisant près d’une centaine de victimes, dont 33 soldats déployés comme pompiers, ce qui avait suscité la colère dans tout le pays.

Plus de 100 000 hectares de végétation avaient alors brûlé, dans un pays où seul 1 % des terres est recouvert de forêts.

« Le Nord-Est de l’Algérie a plus de forêts et est plus vert, ce qui explique pourquoi elle est plus à risque », indique Bouguedra. « Certains sont en colère car l’État ne s’est pas préparé convenablement à une telle catastrophe après les événements de l’année passée. »

La vélocité et l’intensité des incendies semblent en effet avoir pris de court le gouvernement. 

« Les gens ici sont choqués à cause de cette tragédie », poursuit Bouguedra, ajoutant que des familles entières ont péri dans les flammes. « Un homme, son épouse et ses enfants sont morts dans ces incendies. »

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À travers le pays, les Algériens ont cherché à aider ceux qui étaient touchés.

« Il y a une grande solidarité parmi la population face à cette tragédie. Les gens voyagent depuis différentes régions du pays pour se porter volontaire et aider la population des régions affectées », déclare-t-il.

Mais le gouvernement est confronté à des questions difficiles à propos des leçons tirées des incendies de l’année dernière.

« Beaucoup de gens pensaient qu’on aurait fait l’acquisition d’un Canadair CL-515 », rapporte l’enseignant. « Peut-être qu’on ne peut pas le commander rapidement, cela prend du temps, mais le plus important, c’est que les gens ont l’impression que le gouvernement ne s’[était] pas préparé convenablement. »

Cette année, le Maroc voisin a renforcé ses ressources de lutte contre les incendies avec la réception de trois nouveaux Canadair bombardiers d’eau, portant sa flotte de lutte contre les incendies à huit appareils, tandis que l’Algérie n’en a toujours pas un seul, selon North Africa Post.

Avertissements ignorés 

Environ 90 % des 45 millions d’Algériens vivent sur la côte septentrionale, où de nombreux incendies de ces derniers jours ont fait rage.

« Jusqu’à présent, le gouvernement déploie du matériel civil et militaire, principalement la protection civile et des hélicoptères de l’armée, mais cela ne suffit pas », estime Zineb Ghebouli, étudiante de troisième cycle à l’université de Glasgow et analyste de l’Algérie et du Moyen-Orient.

« Au lieu d’obtenir des avions spécialisés dans la lutte contre les incendies, les autorités ont importé des dizaines d’hélicoptères qui ne sont pas conçus pour cela. Comme le montrent les rapports, l’ensemble du processus était corrompu »

- Zineb Ghebouli, analyste

« L’Algérie a besoin d’appareils de lutte contre les incendies, ce qu’il n’a pas, et le seul que l’Algérie a emprunté à la Russie cette année est en révision » apprend-elle à MEE.

Le livre blanc du gouvernement algérien sur l’impact des changements climatiques sur le pays recense environ 3 000 incendies au cours des dix dernières années, ayant provoqué la perte de 74 000 hectares de forêts par an. Les conséquences économiques pour le pays sont chiffrées à 15 millions de dollars chaque année.

« Oui, l’Algérie est en proie aux changements climatiques comme d’autres pays, mais il n’y a pas eu assez de prévention et de préparatifs logistiques de la part des autorités », déplore Zineb Ghebouli.

Selon une étude, la géographie algérienne la rend en outre particulièrement vulnérable aux changements climatiques dans les décennies à venir.

Selon les modèles, les précipitations en Algérie vont se raréfier mais s’intensifier, et les sécheresses devraient devenir plus fréquentes et plus longues.

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« Le gouvernement a fermé les yeux sur plusieurs indicateurs ces dernières années qui encourageaient à faire de la prévention nationale contre les feux de forêt. Des experts ont par ailleurs évoqué le sujet avec les décideurs politiques à plusieurs occasions, mais rien n’a changé », explique l’analyste.

« L’Algérie utilise encore un carburant mauvais pour l’environnement et ne dispose pas des infrastructures et de l’équipement adéquats pour faire face à de telles catastrophes naturelles. »

Si la topographie de l’Algérie, faite de montagnes escarpées et de régions forestières difficiles d’accès, ainsi que l’absence de détection précoce efficace rendent la lutte contre les incendies difficile, ce n’est pas tout.

« Au lieu d’obtenir des avions spécialisés dans la lutte contre les incendies, les autorités ont importé des dizaines d’hélicoptères qui ne sont pas conçus pour cela. Comme le montrent les rapports, l’ensemble du processus était corrompu », regrette Zineb Ghebouli.

Les études indiquent par ailleurs que de nombreux incendies dans le pays sont la conséquence de l’activité humaine et encouragent le gouvernement à sensibiliser davantage la population aux dangers de l’utilisation du feu comme moyen de gestion des déchets.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et mis à jour.

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