Aller au contenu principal

« Un traumatisme pour la population » : en Algérie, l’été fait resurgir la peur des feux de forêt de l’été dernier

Alors que des incendies se sont déjà déclenchés dans l’est du pays et que seul un bombardier d’eau a été appelé en renfort pour l’été, les Algériens des zones dévastées par les incendies meurtriers d’août 2021 redoutent le pire
Des volontaires tentent de lutter contre les incendies en Kabylie, à l’est d’Alger, le 12 août 2021 (AFP/Ryad Kramdi)
Des volontaires tentent de lutter contre les incendies en Kabylie, à l’est d’Alger, le 12 août 2021 (AFP/Ryad Kramdi)
Par Yasmine Marouf Araibi à ALGER, Algérie

« Trois événements resteront gravés dans la mémoire des Algériens : les inondations de Bab El Oued de 2001, le séisme de 2003 et les feux de forêt de 2021. » Dix mois après les incendies meurtriers d’août 2021 – qui ont fait au moins 90 morts selon un bilan officiel, mais au moins 250 selon les habitants –, Ahcene est encore en deuil. 

« C’est l’apocalypse » : les Algériens racontent leur combat acharné contre les incendies
Lire

Vêtu de noir de la tête au pied, le quadragénaire veille sur la restauration de sa salle des fêtes, qui surplombe le village d’Ikhlidjene [en Kabylie, à l’est d’Alger], le plus endeuillé par la catastrophe avec 24 victimes, selon ses habitants.

Dans cette bourgade de la commune de Larbaa Nath Irathen, les séquelles de la tragédie sont encore visibles. Le hameau, autrefois vivant, est aujourd’hui désert. Les habitants sont enfermés dans leurs maisons. Seuls quelques enfants jouent entre eux. Deux bénévoles entretiennent le petit cimetière où reposent les victimes des incendies. 

Vues d’en bas, les collines de Kabylie, autrefois verdoyantes, sont méconnaissables. Le village est désormais entouré par des flancs de troncs carbonisés d’où parfois percent quelques jeunes herbes.

« Si vous demandez à n’importe quel enfant de vous faire un dessin, il vous dessinera la Kabylie avant et après les feux », affirme Hakim, un habitant du village, à Middle East Eye. « Tout le monde, du plus petit au plus grand, est marqué à tout jamais. » 

« C’est resté un traumatisme pour la population », renchérit Ahcene. « Il suffit de voir un petit feu partir de quelque part pour s’imaginer le pire des scénarios », témoigne-t-il.

Plan d’urgence

Et comme tous les étés, tous les ingrédients – déchets abandonnés, chaleur, sécheresse et vent, buissons non entretenus… – sont réunis pour qu’une catastrophe se produise. Depuis juin, l’Algérie a déjà enregistré des incendies dans l’est du pays, région également victime des feux de forêt de l’an dernier.

Deux décès ont été comptabilisés le 16 juin dans la région de Skikda et deux autres personnes, des militaires, ont péri le 27 du même mois à Sétif, ce qui alimente un peu plus la peur de voir la tragédie de l’année dernière se reproduire. 

« Nous considérons que le scénario dramatique de l’année dernière n’est pas naturel. Les facteurs naturels y sont peut-être pour quelque chose mais des mains criminelles ont augmenté le risque », souligne El Hachemi Touzene, ancien élu de l’APC (mairie) de Tizi-Ouzou. 

« Nous faisons de la sensibilisation auprès de la population. Nous l’appelons à défraîchir, à faire des réserves des eaux et à dégager les sorties »

- El Hachemi Touzene, président de l’association culturelle Amusnaw

Également président de l’association culturelle Amusnaw, El Hachemi Touzene mène avec ses collègues de la société civile une campagne de sensibilisation pour prévenir les ravages des feux de forêt. 

« Nous faisons de la sensibilisation auprès de la population, notamment celle qui habite en contrebas des villages, car les habitants y sont plus exposés que les autres », explique El Hachemi Touzene. « Nous les appelons à défraîchir, à faire des réserves d’eau et à dégager les sorties. »

Si les actions de prévention se sont multipliées ces deux dernières semaines avec la hausse des températures, les préparatifs ont débuté bien avant. Les habitants ont construit des bâches d’eau pour récupérer les eaux pluviales tandis que les assemblées locales ont mis en place un plan d’urgence.

Rabah Mensous, maire d’Irdjen (en Kabylie, Tizi-Ouzou), est fier de témoigner de son expérience : « Nous avons mis en place un plan ORSEC [Organisation de la réponse de sécurité civile] », explique-t-il à MEE. « Les réunions à la wilaya [préfecture] et la phase préliminaire de ces préparatifs ont commencé au mois de mars. Le plan d’urgence a été mis en place en juin. Les autres APC se préparent aussi de la même façon. »

Le traumatisme des incendies va bien au-delà de la Kabylie et des feux de forêt. 

Incendies en Kabylie : que faire de nos brûlures ?
Lire

Le meurtre de Djamel Bensmaïl, 35 ans, qui avait collecté des dons pour aider à éteindre les incendies et évacuer les personnes en danger avant d’être lynché, accusé à tort d’être un pyromane, n’est pas oublié. 

Le gouvernement a accusé le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), classé en mai 2021 « organisation terroriste », d’être derrière cet assassinat. 

Au moins 80 personnes ont été écrouées dans le cadre de cette affaire et un mandat d’arrêt international a été émis à l’encontre de Ferhat Mehenni, président du MAK. Le procès ne s’est pas encore tenu.

Motifs d’inquiétude

« Ce fut un été tragique pour tous les Algériens. Nous ne souhaitons pas le voir se reproduire », espère Nihal, jeune Oranaise, contactée par MEE.

Pourtant, les motifs d’inquiétude sont bien là : alors que le président Abdelmadjid Tebboune avait promis l’acquisition de plusieurs avions pour lutter contre les incendies, seul un bombardier d’eau russe, affrété par l’Algérie pour une durée de trois mois, a atterri en juin à Alger.

« L’épisode de l’année dernière aurait dû être une leçon pour l’État, qui aurait dû s’équiper. Il est normal que les gens vivent dans un climat de paranoïa en sachant qu’il n’y a un seul bombardier d’eau affrété jusqu’à présent »

- Kenza, étudiante

« L’Algérie a connu des feux de forêt l’année passée, nous avons mobilisé tous les moyens, et nous avons vu que les moyens dont disposait l’Algérie ne suffisaient pas face à de tels incendies, d’une ampleur exceptionnelle », a déclaré Kamel Beldjoud, ministre de l’Intérieur. « Nous avons été obligés de chercher des affrètements auprès de certains pays. Un pays a répondu et cet avion bombardier est ici en Algérie. »

De son côté, le ministère de l’Agriculture a mis en place un numéro vert disponible 24 heures sur 24 pour « signaler tout danger ou dépassement qui pourrait, à cause d’un départ de feu, menacer l’intégrité de nos forêts ». 

« Un seul bombardier après tout ce qui s’est passé n’est pas suffisant », regrette Kenza, originaire de Larbaa Nath Irathen.  

« L’épisode de l’année dernière aurait dû être une leçon pour l’État, qui aurait dû s’équiper. Il est normal que les gens vivent dans un climat de paranoïa en sachant qu’il n’y a qu’un seul bombardier d’eau affrété jusqu’à présent », regrette l’étudiante qui réside actuellement en France et suit au plus près les informations sur les feux de forêt. 

« Avec le réchauffement climatique, les incendies sont devenus une triste réalité. Il faut y être préparés et tout anticiper à l’avance. Les Canadair ont pris plusieurs jours pour arriver l’année dernière. Il ne faut pas répéter cette erreur. » 

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].