Algérie : les partis de l’opposition pris à la gorge par des problèmes de financement
« Je sollicite les hautes autorités du pays pour qu’elles interviennent auprès du premier secrétaire général du FFS afin de me payer mes indemnités. » Ce message, Nassim Belhout le répète depuis plus de deux ans. Employé du Front des forces socialistes (FFS), il n’a pas reçu ses salaires depuis de longs mois.
Il s’est tourné vers la justice, qui lui a donné raison et a ordonné le blocage des comptes du parti politique, mais sans résultat. Le FFS n’a plus d’argent pour payer ne serait-ce qu’un simple employé.
Comme de nombreux partis politiques de l’opposition en Algérie, le FFS vit une crise financière inextricable. Depuis 2019, les maigres cotisations de militants ne suffisent plus pour tenir des réunions publiques, entretenir les locaux ou encore payer les employés.
« Jusqu’en 2019, le parti percevait les aides que l’État attribuait aux partis politiques présents au Parlement, cela nous suffisait pour financer les activités du parti »
- Un ancien cadre du FFS
« Jusqu’en 2019, le parti percevait les aides que l’État attribuait aux partis politiques présents au Parlement, cela nous suffisait pour financer les activités du parti », témoigne sous le couvert de l’anonymat un ancien cadre de cette formation, la plus ancienne de l’opposition algérienne.
Les partis politiques perçoivent, en théorie, une somme de 400 000 dinars (environs 2 000 euros) annuellement pour chacun de leurs parlementaires. Mais cette disposition a été suspendue par les autorités en 2019 sans « aucune explication », attestent plusieurs sources partisanes. Ces partis ont ainsi perdu une source de financement inestimable.
Les députés ont démissionné
Tout comme le FFS, le Parti des travailleurs (PT, gauche ouvrière) ne perçoit plus d’aides publiques depuis 2019. De culture trotskyste, le parti que préside Louisa Hanoune obligeait tous ses députés à verser la totalité de leurs indemnités sur le compte du parti, et ce dernier leur reversait des salaires – moins importants que les indemnités perçues – à chaque fin de mois, au même titre qu’à d’autres cadres et fonctionnaires de la formation politique.
Cette méthode a permis au PT de renflouer ses caisses. Mais le parti, pour avoir boycotté les dernières élections législatives de 2021, a perdu cette manne.
Aujourd’hui, le PT ne compte plus que sur ses propres rentrées d’argent. En 2019, la majeure partie de ses députés ont démissionné de leurs postes. Depuis, « le parti vit des cotisations et des dons de ses militants », confie à Middle East Eye Youcef Taazibt, un cadre et ancien député du mouvement.
Les contributions des militants sont aujourd’hui la seule source de revenus du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition laïque).
« Pour nos activités, nous comptons toujours sur les aides de militants. Autrement dit, nous trouvons des difficultés à financer nos actions », reconnaît auprès de MEE Rachid Hassani, chargé de communication du parti. Par militants, le responsable politique désigne essentiellement ceux qui « disposent de moyens » financiers, comme les entrepreneurs, commerçants ou autres libéraux.
« Nous ne pouvons pas demander des efforts supplémentaires aux militants de base, issus essentiellement des couches défavorisées de la société. » Pour Rachid Hassani, le temps où « les militants mettaient la main à la poche » est révolu.
Youcef Taazibt du PT le confirme, rappelant que le « gros de nos militants sont des salariés ». Comprendre : il est impossible pour eux de verser des sommes importantes.
« Peur de s’engager »
Selon le code électoral et la loi sur les partis politiques, en plus des financements provenant de l’État, les partis politiques sont autorisés à puiser leurs ressources financières des cotisations des militants, des dons et legs de sympathisants.
Or, selon différentes sources partisanes, le nombre de militants qui osent afficher leur sympathie pour les partis politiques a diminué ces dernières années.
« Depuis que la dynamique du hirak a été brisée, les citoyens, notamment les jeunes, ne se bousculent pas aux portes des partis politiques, soit parce qu’ils ne trouvent pas de sens à cet engagement, soit parce qu’ils ont peur de la répression »
- Rachid Hassani, chargé de communication du RCD
« Depuis que la dynamique du hirak [mouvement de contestation populaire ayant conduit en 2019 à la chute de Bouteflika] a été brisée, les citoyens, notamment les jeunes, ne se bousculent pas aux portes des partis politiques, soit parce qu’ils ne trouvent pas de sens à cet engagement, soit parce qu’ils ont peur de la répression », analyse Rachid Hassani qui, comme Youcef Taazibt, décrit des sympathisants qui « ont peur de s’engager » parce que « certains autres subissent des intimidations des autorités ».
Pendant l’intermède du mouvement populaire de 2019, certains Algériens avaient pourtant montré plus d’intérêt pour la politique. Mais depuis l’arrêt des manifestations au printemps 2021, à cause notamment de l’épidémie de covid-19 et des interdictions de manifester imposées par les autorités, cet enthousiasme s’est estompé.
Le climat actuel constitue donc un manque à gagner autant en militants qu’en argent.
« Nous regardons à la dépense »
À ce déficit s’ajoute une autre donne : lors des précédentes élections, les partis politiques choisissaient eux-mêmes les candidats têtes de liste pour les élections municipales ou législatives.
Les contributions financières de ces prétendants se faisaient donc au prorata de leur classement. Celui qui était placé en tête de liste, donc assuré d’être élu, cotisait davantage que les autres. Or, depuis la loi électorale de 2021, c’est le vote des électeurs qui classe les postulants. Personne ne peut donc connaître sa place a priori, ce qui ne les incite pas à payer en conséquence.
Pour faire face aux difficultés financières, ces partis politiques s’adaptent. Au lieu de tenir des réunions publiques – lorsque l’administration le leur permet car ils sont souvent interdits d’activité – dans des salles onéreuses, ils utilisent leurs locaux, même étroits.
« Nous regardons évidemment à la dépense », admet Ramdane Taazibt. « Nos activités sont souvent prises en charge par des cadres du parti. Autrement, ce n’est plus possible », renchérit Rachid Hassani.
Cela est plus visible chez le FFS, qui organise désormais l’essentiel de ses réunions du conseil national au siège du parti, situé dans un quartier résidentiel pas loin de la présidence de la République.
Soutiens indispensables aux partis politiques, les hommes d’affaires et autres entrepreneurs ne se mêlent plus, du moins publiquement, de la politique et du financement des partis.
« Certains hommes d’affaires ne s’engagent plus en politique de peur d’être inquiétés par les autorités », confie à MEE un responsable du FFS. Depuis quelques années en effet, les autorités ont déclaré la guerre « au mélange de l’argent et de la politique ».
Une manière d’éviter le financement des campagnes par les oligarques, comme ce fut le cas sous le président déchu Abdelaziz Bouteflika. Les frères Kouninef ont, par exemple, été condamnés à plus de dix ans de prison pour « financement occulte de campagne électorale ».
Cela n’empêchera pas toutefois « des financements occultes », selon Karim Mahmoudi, avocat d’affaires et président du Club des cadres de la finance. Selon lui, des hommes d’affaires ont toujours « financé de manière occulte » autant les partis du pouvoir (à l’image du FLN et du RND) que ceux de l’opposition.
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