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Égypte : le site de Sainte-Catherine « détruit » par un nouveau projet de développement

Le gouvernement Sissi ambitionne de métamorphoser un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Mais les habitants observent les travaux avec inquiétude
Des dromadaires se reposent près du monastère Sainte-Catherine dans le sud du Sinaï, le 7 mars 2019 (Reuters)
Des dromadaires se reposent près du monastère Sainte-Catherine dans le sud du Sinaï, le 7 mars 2019 (Reuters)

Un projet de développement dans la ville historique de Sainte-Catherine, dans la péninsule égyptienne du Sinaï, est critiqué par les habitants qui accusent les autorités de défigurer la ville. 

Les habitants de la ville expriment leur inquiétude quant à son avenir en tant que site historique classé et dénoncent une entreprise de « destruction » ainsi que l’absence de vision claire pour son développement.

Égypte : le site de Sainte-Catherine « détruit » par un nouveau projet de développement

« Ce que l’on nous vend comme un projet de développement est en réalité en train de saccager cette ville historique et magnifique », affirme à Middle East Eye Ahmed Ali, un travailleur du tourisme d’une quarantaine d’années vivant à Sainte-Catherine.

« La vue sur la plupart des sites anciens de la ville sera obstruée par les bâtiments en béton en cours de construction dans le cadre du nouveau projet de développement. » 

Ahmed Ali et d’autres habitants partagent leur opinion sur les réseaux sociaux avec leurs concitoyens égyptiens et les autorités. 

« Une destination internationale pour le tourisme spirituel »

Certaines des photos qu’ils ont postées montrent des parties importantes de la ville en train d’être rasées

Un habitant explique qu’il ne voit rien d’autre que des bulldozers qui démolissent des parties importantes de la ville, y compris des bâtiments anciens, pour les remplacer par des blocs de béton qui ne font que défigurer Sainte-Catherine. 

Un autre affirme que la ville s’est transformée en un amas de poussière et de décombres qui ne ressemble en rien à la ville qu’il connaît depuis de nombreuses années. 

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Baptisé « Grande Transfiguration » (le monastère est aussi appelé monastère de la Transfiguration),  le projet de développement de Sainte-Catherine est parrainé par le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en personne.

Il vise à tirer parti de l’importance de la ville pour les adeptes de trois religions – l’islam, le christianisme et le judaïsme – en la transformant en un site spirituel majeur. 

Les autorités égyptiennes ont lancé l’an dernier le projet, qui prévoit la construction de dizaines de nouvelles installations ainsi que d’infrastructures. 

La plupart des installations seront construites dans les environs du mont Sinaï et du monastère Sainte-Catherine, pas loin d’être le plus ancien monastère en activité au monde. 

Le projet prévoit notamment la construction d’un sanctuaire spirituel sur les montagnes entourant la « vallée sacrée », selon le ministre égyptien du Logement, Assem al-Jazzar.

Le projet de développement vise à relier par un réseau routier moderne des sites importants tels que le mont Tor à d’autres parties du Sinaï, notamment les stations balnéaires de Charm el-Cheikh et Dahab bordant la mer Rouge.

Mais Assem al-Jazzar souligne que le projet de développement de Sainte-Catherine ne portera pas atteinte à son environnement, ni à son caractère visuel. « Le projet visera à la base à protéger la nature de la ville, qui lui permettra de devenir une destination internationale pour le tourisme spirituel », a-t-il déclaré. 

Le projet prévoit la modernisation du monastère, la restauration de certaines églises, la mise en place d’un nouveau système d’éclairage, le déploiement de voiturettes de golf électriques pour faciliter les déplacements des visiteurs de la ville, ainsi que la construction de bazars et de commerces de proximité

Le projet de développement de la ville comprendrait une étude hydrologique visant à protéger Sainte-Catherine contre les inondations à l’avenir, selon les informations publiées par le gouvernement au sujet du projet.

Il comprendra également la modernisation du monastère Sainte-Catherine, la restauration de certaines églises à l’intérieur du monastère, la mise en place d’un nouveau système d’éclairage dans la ville et aux alentours du monastère, le déploiement de voiturettes de golf électriques pour faciliter les déplacements des visiteurs de la ville, ainsi que la construction de bazars et de commerces de proximité qui proposeront divers produits aux visiteurs, tels que des vêtements bédouins et des articles d’artisanat.

« Il s’agit d’un des projets de développement les plus importants devant être mis en œuvre dans l’ensemble du Sinaï », affirme à MEE Talaat al-Anani, chef du conseil municipal de Sainte-Catherine.

« Le projet permettra à la ville de réapparaître sur la carte touristique après avoir été longtemps négligée et boudée par les touristes en raison du manque de services nécessaires. » 

Patrimoine mondial de l’UNESCO

Selon Talaat al-Anani, un montant de quatre milliards de livres égyptiennes (environ 230 millions d’euros) a été affecté à la première phase du projet de développement, qui devrait être achevée en juin. Un montant similaire sera alloué à la deuxième phase du projet, qui devrait être terminée d’ici la fin de l’année, précise-t-il. 

Sainte-Catherine se trouve dans le sud du Sinaï, un territoire situé dans le nord-est de l’Égypte qui partage des frontières avec Israël et la bande de Gaza. 

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La ville est entourée de sites de grande importance pour les chrétiens, les musulmans et les juifs, notamment le mont Tor, le mont Sinaï et le monastère Sainte-Catherine. 

En 2002, cette ville d’environ 10 000 habitants a été inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. 

Selon les croyances chrétienne et musulmane, c’est sur le mont Sinaï que Moïse a reçu les Dix Commandements de Dieu. 

Le site de Sainte-Catherine est également considéré comme un lieu où le christianisme a prospéré à ses débuts. Le monastère est de loin le lieu le plus important de la ville. Il aurait été fondé en 530 par l’empereur byzantin Justinien Ier

Le monastère aurait également servi de refuge aux chrétiens à différentes époques de l’histoire, notamment au cours du VIIe siècle. 

Durant la conquête de l’Égypte par les musulmans, ces derniers éprouvaient un respect particulier pour les lieux de culte chrétiens et ont épargné le monastère.

Cela a probablement encouragé les moines du monastère à accueillir les soldats musulmans et à leur construire une petite mosquée près du monastère.

La mosquée est toujours fonctionnelle et offre aux Bédouins du Sinaï et aux visiteurs musulmans la possibilité d’y accomplir leurs prières. 

« Chaque jour, nous découvrons que des bâtiments ont été démolis et que d’autres en ciment ont été construits à leur place. Ceux qui veulent voir ce qui reste de la ville devraient se dépêcher et venir maintenant » 

- Yasmine al-Kashef, une habitante 

La majeure partie du monastère est encore intacte et conserve son aspect d’origine qui remonte au VIe siècle. 

Certaines des icônes du monastère Sainte-Catherine ont été peintes avant le VIIIe siècle. Sa bibliothèque, créée en 1945, comporte des milliers de manuscrits comptant parmi les plus anciens au monde. 

Les habitants de la ville soutiennent que le projet de développement en cours vise à remplacer le caractère originel et historique du site par des bâtiments modernes en béton qui gommeront sa valeur en tant que site historique.

« C’est pour cela que nous rejetons ce soi-disant projet de développement », affirme à MEE Yasmine al-Kashef, une habitante. « Ce projet ne fera qu’effacer l’identité de la ville. » 

Yasmine al-Kashef et d’autres habitants dénoncent la destruction de dizaines de vieux arbres pour laisser place à de nouvelles routes. La construction d’une nouvelle route entre le mont Tor et Sainte-Catherine est notamment pointée du doigt. La route devrait réduire la distance entre les deux points et faciliter ainsi les déplacements humains. 

« Cela vaut-il la peine de détruire ce site important ? », s’interroge un habitant.

Yasmine al-Kashef appelle les amoureux de la ville à se dépêcher de la visiter avant qu’elle ne soit totalement détruite. 

« Chaque jour, nous découvrons que des bâtiments ont été démolis et que d’autres en ciment ont été construits à leur place » , affirme-t-elle. « Ceux qui veulent voir ce qui reste de la ville devraient se dépêcher et venir maintenant. » 

« Une ville internationale et écologique  »

Les responsables municipaux affirment pourtant que le projet de développement se déroule comme prévu. Ils rejettent les « allégations » selon lesquelles la ville serait en train d’être détruite. 

Le porte-parole officiel du ministère du Logement n’a pas répondu aux demandes de commentaires formulées par MEE

Chantier à Sainte-Catherine, en mars 2022 (Yasmine al-Kashef)
Chantier à Sainte-Catherine, en mars 2022 (Yasmine al-Kashef)

Suleiman Etewei, représentant de la ville à la Chambre des représentants (chambre basse du Parlement), décrit toutefois ce qui se passe à Sainte-Catherine comme un « processus de modernisation complet ». 

Selon lui, le projet, qui comprend un grand nombre d’infrastructures et de services qui profiteront aux visiteurs et aux habitants de la ville, fera de Sainte-Catherine « une ville internationale et écologique ». 

« Ce qui se dit au sujet d’une destruction de la ville n’a rien à voir avec la réalité, affirme-t-il à MEE. Les gens devraient attendre que le projet soit achevé au lieu de tirer des conclusions hâtives et infondées. » 

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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