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Les activistes palestiniens se méfient du rachat de Twitter par Elon Musk

Selon des activistes palestiniens, il reste encore à voir si la politique d’Elon Musk prônant la « liberté d’expression » s’étendra aux tweets pro-palestiniens
Un écran de téléphone affiche le compte Twitter d’Elon Musk tandis qu’une photo de lui est visible en arrière-plan, le 14 avril 2022 à Washington (AFP)
Un écran de téléphone affiche le compte Twitter d’Elon Musk, en photo en arrière-plan, le 14 avril 2022 à Washington (AFP)
Par Zainab Iqbal à NEW YORK, États-Unis

Elon Musk se présentait comme un défenseur de la « liberté d’expression » bien avant l’annonce, fin avril, de son acquisition de Twitter avec une offre de 44 milliards de dollars.

Les activistes expriment cependant des doutes quant à l’extension de cette « liberté » au discours en ligne relatif à la lutte palestinienne, affirmant que ce dernier est souvent censuré sur le réseau social.

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Le dirigeant de Tesla et SpaceX, dont la fortune avoisine les 260 milliards de dollars, a conclu l’accord lundi 25 avril, mais celui-ci ne devrait pas être finalisé avant trois à six mois.

Bien qu’il n’ait pas encore annoncé ses projets pour la plateforme, Elon Musk vante l’importance de la liberté d’expression et critique fréquemment les politiques de Twitter.

« La liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne, et Twitter est la place publique numérique où les sujets vitaux pour le futur de l’humanité sont débattus », a-t-il déclaré dans un communiqué.

« Je veux aussi rendre Twitter meilleur que jamais en améliorant le produit avec de nouvelles fonctionnalités, en rendant les algorithmes open source pour augmenter la confiance, en battant les robots spammeurs et en authentifiant tous les humains. »

Une idée trop belle pour être vraie

Mi-avril, une escarmouche a eu lieu sur Twitter entre Elon Musk et le prince saoudien al-Walid ben Talal après que ce dernier a déclaré qu’il rejetait l’offre de l’entrepreneur pour le rachat de la plateforme, la jugeant trop basse. 

Elon Musk a répondu : « Quelle part de Twitter le Royaume possède-t-il, directement et indirectement ? Quelle est l’opinion du Royaume sur la liberté d’expression journalistique ? »

Pour les activistes et les organisations qui luttent pour mettre fin à l’occupation israélienne des territoires palestiniens, l’idée de publier librement des messages sans craindre une censure semble trop belle pour être vraie. 

« La répression à laquelle les Palestiniens sont confrontés sur les réseaux sociaux est liée à des intérêts commerciaux privés qui exercent une mainmise sur le discours politique et les échanges »

– Omar Zahzah, membre du Palestinian Youth Movement

Le Palestinian Youth Movement (PYM), une organisation populaire, affirme être confronté fréquemment à du « shadowbanning » – pratique consistant à dissimuler le contenu d’un utilisateur sans l’en informer – et qu’un grand nombre de ses publications sont restreintes sur les réseaux sociaux.

Mais Omar Zahzah, membre du PYM, estime que l’acquisition de Twitter par Elon Musk n’a rien de réjouissant.

« Il est impossible de savoir exactement ce que le rachat de Twitter par Elon Musk signifiera pour le discours antisioniste sur la plateforme, mais je pense que tous les activistes doivent se méfier, car l’idée qu’une plateforme de communication publique soit entre les mains d’un seul individu ne présage rien de bon pour la liberté d’expression », indique-t-il à Middle East Eye

« Toute la répression à laquelle les Palestiniens sont confrontés sur les réseaux sociaux est liée à des intérêts commerciaux privés qui exercent une mainmise sur le discours politique et les échanges. »

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« Plutôt que de servir en quelque sorte à promouvoir la démocratie, les réseaux sociaux sont devenus l’incarnation du silence politique et de la répression, dans la mesure où les géants technologiques collaborent avec divers gouvernements oppressifs, dont le gouvernement israélien, pour censurer et supprimer les contenus qui révèlent la vérité sur leur caractère oppressif », poursuit le militant.

Bien qu’on ne sache pas encore réellement quelle est la position d’Elon Musk sur la question israélo-palestinienne, le milliardaire a effectué en 2018 un voyage en Israël lors duquel il a rencontré le Premier ministre Benyamin Netanyahou dans sa résidence privée pour discuter de l’introduction des technologies d’avenir en Israël, a rapporté Business Insider

Netanyahou a déclaré plus tard : « J’ai rencontré Elon Musk ce matin. Il m’a dit qu’Israël était une puissance technologique et qu’il appréciait ce que nous faisons ici. » 

Antécédents douteux 

Lorsque la violence s’est intensifiée à Jérusalem occupée l’année dernière après que des habitants du quartier de Sheikh Jarrah ont été menacés d’expulsion, de nombreux activistes ont déploré une censure visant leurs publications en rapport avec la situation. 

Le compte Twitter de l’auteure palestinienne Mariam Barghouti, qui était sur le terrain pour couvrir le mouvement de protestation contre l’expulsion des Palestiniens de leurs maisons à Jérusalem-Est, a également été temporairement suspendu.

« Le problème ne concerne pas la suspension de mon compte, mais plutôt le fait que les comptes palestiniens en général soient censurés »

- Mariam Baghouti, auteure palestinienne

« Le problème ne concerne pas la suspension de mon compte, mais plutôt le fait que les comptes palestiniens en général soient censurés, en particulier ces dernières semaines, alors que nous essayons de rendre compte des agressions israéliennes sur le terrain », a-t-elle déclaré à Vice News.

Omar Zahzah estime que la réduction de ces voix au silence par les géants technologiques se poursuivra sous Elon Musk. Il précise que tout cela est une question de profits et non « de justice, de libération ou de droits de l’homme ».

« Sommes-nous censés croire qu’un colon milliardaire sud-africain issu d’une famille qui a fait fortune grâce à l’émeraude et à l’apartheid se comportera d’une manière ou d’une autre qui contribuera à protéger la rhétorique de la libération palestinienne ? », s’interroge-t-il.

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@JoshuaPotash, un utilisateur de Twitter, a recensé quelques exemples des antécédents douteux d’Elon Musk en matière de « liberté d’expression » : il a notamment licencié un employé de Tesla qui avait publié une vidéo sur YouTube montrant les défauts du système de conduite autonome de l’entreprise, licencié illégalement un employé coupable de s’être syndiqué, menacé de retirer à des employés leurs options d’achat d’actions s’ils décidaient de se syndiquer, mais aussi piraté le téléphone d’un employé qui avait dénoncé la production de déchets chez Tesla.

« Le rachat de Twitter par Elon Musk n’est que le dernier développement en date de l’accaparement par les milliardaires des médias traditionnels ainsi que des réseaux sociaux », affirme à MEE Ahmad Abuznaid, directeur exécutif de l’US Campaign for Palestinian Rights. 

« En tant que mouvement pour la justice, nous ne savons que trop bien comment ces plateformes sont utilisées pour censurer la défense de la cause palestinienne ou la soumettre à un shadowbanning. Un nouveau propriétaire milliardaire ne nous aide pas à croire que cette dynamique changera de sitôt. »

« Une tribune indispensable »

Middle East Eye a contacté Twitter pour recueillir des commentaires, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.

Même si Omar Zahzah affirme ne pas connaître la position exacte d’Elon Musk sur la liberté d’expression et son impact potentiel sur Twitter, le PYM ainsi que d’autres organisations continueront d’y poster des publications sur la lutte palestinienne et l’occupation israélienne, dans la mesure où ils n’ont pas d’autre choix, précise-t-il.

« Nous voyons depuis années ce que le fait de nous réduire nous-mêmes au silence apporte au mouvement : rien du tout. À ce stade, nous n’avons plus rien à perdre »

– Jinan Deena, coordinatrice nationale de l’Arab-American Anti-Discrimination Committee

« Malgré tous leurs dangers, les réseaux sociaux sont devenus une tribune indispensable. Ils nous aident à franchir des frontières géographiques tangibles et à raccourcir les distances pour communiquer et entrer en contact avec des jeunes Palestiniens et Arabes animés du même esprit de libération », poursuit-il.

« Et lorsque l’on poste sans réserve des publications sur la libération palestinienne, cela contribue à la normaliser afin que de plus en plus d’individus se sentent à l’aise à l’idée de faire de même et que le message se propage. »

Jinan Deena, coordinatrice nationale de l’Arab-American Anti-Discrimination Committee (ADC), laisse entendre que les publications antisionistes sont confondues avec des messages antisémites et sont donc immédiatement retirées. Pourtant, en dépit de ce qu’elles provoquent, elle continuera de poster des publications dénonçant la brutalité à laquelle les Palestiniens sont confrontés et encourage les autres à continuer.

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« Je ne fais pas vraiment confiance à ces milliardaires qui débitent des approbations génériques de la liberté d’expression. Nous avons également vu Facebook et Instagram dire la même chose », souligne-t-elle.

Jinan Deena estime que la lutte palestinienne a toujours été – et restera – un sujet controversé et que la censure des publications liées à cette question sur Twitter ne s’atténuera pas avec Elon Musk à sa tête.

« Je pense que nous en avons fini de minimiser notre combat, que ce soit par crainte des attaques en ligne, de la censure ou de représailles au travail ou à l’université », soutient-elle.

« Nous avons le pouvoir de reprendre le contrôle du discours. Nous voyons depuis années ce que le fait de nous réduire nous-mêmes au silence apporte au mouvement : rien du tout. À ce stade, nous n’avons plus rien à perdre. »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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