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Le dramatique parcours de Rabah Meniker, victime d’une erreur judiciaire

Une erreur de traduction commise par des enquêteurs français a mené un Algérien vivant en Belgique, Rabah Meniker, à subir une longue et pénible détention provisoire pour des accusations de terrorisme
Ce n’est qu’en avril 2021 que l’Algérien Rabah Meniker a été acquitté après un peu plus de quatre ans de détention provisoire (AFP/Alain Jocard)
Ce n’est qu’en avril 2021 que l’Algérien Rabah Meniker a été acquitté après un peu plus de quatre ans de détention provisoire (AFP/Alain Jocard)
Par MEE

« Son histoire est l’exemple extrême d’une justice antiterroriste affolée par une menace insaisissable et sous la pression de l’opinion et des politiques » : le récit que fait le quotidien Le Monde du dramatique parcours de Rabah Meniker, victime d’une erreur judiciaire, est glaçant.

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Cet Algérien de 39 ans vivotant en Belgique a finalement été acquitté après quatre années et demie de détention. Il a subi le traitement réservé en Belgique et en France aux « dangereux terroristes » à cause… d’une mauvaise traduction d’un mot lors d’un échange téléphonique.

Fuyant les violences de l’Algérie des années 1990 (son beau-frère militaire est tué et découpé en morceaux par des islamistes armés), il atterrit en France puis en Belgique en 1999, vivant de petits boulots. Il finit par rencontrer celle qui deviendra son épouse en Belgique et lui donnera deux enfants.

En plus du travail dans des marchés, dans le bâtiment ou dans le ramassage des ordures, Rabah Meniker fait dans la revente de parfums « tombés du camion ». Il en vend notamment à un certain Réda Kriket, qu’il héberge une fois le 11 mars 2016 à Bruxelles pour le dépanner.

Deux semaines plus tard, les portes de l’enfer s’ouvriront : Rabah est arrêté et mis en examen dans le cadre de l’enquête en France sur la cache d’armes d’Argenteuil, où la police a saisi treize armes dont cinq fusils d’assaut, quantité de munitions, des explosifs ainsi que des milliers de billes métalliques dans un logement loué sous un faux nom par Réda Kriket. Oui, il le connaît, mais juste parce qu’il lui a vendu des parfums.

Une vie brisée

Dans une prison bruxelloise, Rabah Meniker passe trois mois où il comprend qu’il est là, entre cellule d’isolement et interrogatoires expéditifs, à cause d’une erreur de traduction. La police française, qui avait mis sur écoute Réda Kriket, a traduit la phrase de Rabah « j’ai la marchandise [les parfums] » par « j’ai les armes » ! Une lettre fait la différence en arabe.

Il n’empêche que la justice belge continue sur sa lancée : il restera cinq mois en prison, avant d’être libéré. Libéré, mais en instance d’expulsion, n’ayant plus de papiers de résidence, documents expirés durant sa détention. Il échappe à l’expulsion grâce à une ONG qui s’occupe du droit d’asile…

Libéré fin 2016, il est encore une fois arrêté en janvier 2017 à Bruxelles, cette fois à la demande de la justice française. Avant sa remise à la police française, il passe trois mois et dix-sept jours à l’isolement en Belgique.

Un autre calvaire commence en France, balloté d’une prison à une autre dans le Nord. Il subit la double peine dans les quartiers des prisonniers de droit commun : certains le considérant comme terroriste le haïssent, d’autres, des radicaux, le jugent comme un renégat, certains le condamnant même à mort, lui qui leur dit avoir fui les islamistes armés en Algérie.

« Je n’ai jamais été en colère contre la France, mais contre la juge qui m’a maintenu en prison […] Elle savait très bien que je n’ai rien fait mais au bout de quatre ans, cela devenait trop compliqué pour elle de le reconnaître »

- Rabah Meniker

Entre temps, sa femme demande le divorce, il ne lui en veut même pas. Ce qui n’arrange pas ses affaires, c’est la juge d’instruction qui s’occupe de son dossier.

Elle reste intransigeante malgré un dossier vide. Pourquoi un tel acharnement ? Selon Le Monde, « l’intransigeance de la juge s’explique par le fait qu’elle a signé l’ordre de remise en liberté sous contrôle judiciaire d’un des deux terroristes qui ont égorgé le père Hamel, dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), le 26 juillet 2016 ».

« Je n’ai jamais été en colère contre la France, mais contre la juge qui m’a maintenu en prison. Je suis venu volontairement en France pour qu’on vérifie mon innocence. Elle savait très bien que je n’ai rien fait mais au bout de quatre ans, cela devenait trop compliqué pour elle de le reconnaître », témoigne pour Le Monde Rabah Meniker.

Il n’est totalement acquitté qu’à la suite d’un procès en avril 2021, mais l’homme est « brisé », pour reprendre Le Monde : ne pouvant plus renouer avec son ex-épouse, éloigné de ses enfants, dormant dans des caves, sans emploi, anxieux et dépressif.

Une requête en réparation a été introduite par ses avocats en France, mais ne sera examinée que dans un ou deux ans.

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