France : « Devenez Fatima », une pub sur les auxiliaires de vie accusée d’entretenir l’imaginaire colonial
Selon qu’on soit Christophe, Maria ou Fatima, les raisons semblent différentes lorsqu’on devient auxiliaire de vie chez Petits-fils, une société française d’aide à domicile pour personnes âgées.
Dans une série d’affiches publicitaires placardées dans les rues de France ces jours-ci, les slogans manifestement créés pour susciter des vocations interrogent sur les raisons qui ont conduit chacun des employés mentionnés à postuler : « Christophe [parce qu’il est] libre de choisir son planning », « Maria [est] satisfaite de son salaire », alors que Fatima « peut se dédier à Simone et André ».
Pourquoi elle, spécialement, « peut se dédier », alors que les autres privilégient surtout leurs propres intérêts ? Voici ce qui, sur les réseaux sociaux, provoque la colère.
Pour beaucoup, Petits-fils est coupable d’un raccourci historique infâme. En faisant endosser à Fatima le rôle de l’employée dévouée, l’entreprise a exhumé Fatma, le nom que les Français d’Algérie donnaient à leurs domestiques, et plus généralement aux femmes « indigènes », pendant la colonisation.
« Ah le joli temps des colonies », s’est exclamée l’ancienne avocate et féministe algérienne Wassyla Tamzali sur son compte Facebook, le 24 janvier dernier, en accompagnant son post d’une photo de l’affiche « dédiée » à Fatima prise le jour même dans le XIIIe arrondissement de Paris.
« L’imaginaire collectif colonial [a] la vie dure et cette affiche jette un éclairage violent sur le déni et le révisionnisme à l’œuvre dans les réponses faites en général (toutes tendances politiques confondues) aux attentes d’une énonciation et dénonciation de la colonisation », a-t-elle commenté.
L’historien Fabrice Ricepiti a lui aussi dénoncé l’affiche, rappelant que « le terme générique chez les ‘’Européens’’ [d’Algérie] pour désigner leurs bonnes était les ‘’Fatma’’ ».
De nombreux internautes ont également réagi.
« Honteuse cette campagne. Vous savez très pertinemment que ce prénom était utilisé du temps de la colonisation pour les femmes analphabétisées par ce système et qui travaillaient pour les colons », s’est par exemple indignée Nora directement sur la page Facebook de Petits-fils.
Une autre femme, Abir, ne comprend pas pourquoi « Fatima est dédiée aux autres » alors que ses collègues sont « satisfaits et libres ».
« J’aurais bien aimé, au nom du ''multiculturalisme'', que Christine soit dédiée à Jamila et Mahmoud, parce que vous savez, les Nord-Africains ne sont pas que des auxiliaires de vie [...], ils sont aussi entrepreneurs, médecins, diplomates, et la liste est longue [...] », a-t-elle observé.
« Pas en France pour servir, à moindre coût »
La polémique a pris une dimension politique avec un communiqué de la section lyonnaise du Parti communiste français (PCF), qui a demandé le retrait de l’affiche.
« Cette publicité aux relents colonialistes qui stigmatise nos concitoyens d’origine maghrébine est inacceptable », s’est élevé le parti de gauche, en précisant que Petits-fils « avait mille manières de présenter son activité » mais « a choisi de le faire en invoquant une image sombre [de l’histoire de France] ».
« Les immigrés, leurs enfants et leurs petits-enfants ne sont pas en France pour servir, à moindre coût. Ils sont la France ! Ils sont notre France qui ne catégorise pas ses enfants par leur couleur ou leur nom. Nous ne tolérerons aucun message qui en diffuse l’idée inverse, et agresse des milliers des nôtres », a ajouté le PCF.
Réagissant aux critiques, Petits-fils n’a reconnu aucune faute. Au contraire, la société a défendu la campagne publicitaire en affirmant l’avoir créée pour valoriser ses auxiliaires de vie.
« Ces femmes et ces hommes s’appellent Aldjia, Nathalie, Mélissa, Ayélé, Vincent, Brigitte, Saana, Gérard, Sylvie, Valérie, Hasna, Souad, Emilie, Said, etc. Et parmi ces auxiliaires de vie, les quatre prénoms les plus fréquents dans nos agences sont Catherine, Maria, Fatima et Christophe. Nous sommes fiers de la diversité de nos auxiliaires de vie. Nous sommes multiculturels et nous l’assumons », a fait savoir l’entreprise dans une réponse publiée sur Facebook et Twitter.
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