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« Je n’ai pas de sang sur les mains » : Émilie König, la Française qui recrutait pour l’EI, plaide pour son retour en France

Détenue dans un camp au nord de la Syrie depuis 2017, la Française de 36 ans aimerait que les autorités de son pays « fassent un peu plus d’efforts » pour venir sur place étudier les rapatriements des combattants de l’EI au cas par cas
Émilie König avait été capturée en 2017 à Chadadi, ville de l’est de la Syrie, alors que les forces kurdes poursuivaient leur offensive pour reconquérir les secteurs aux mains de l’EI (AFP)
Émilie König avait été capturée en 2017 à Chadadi, ville de l’est de la Syrie, alors que les forces kurdes poursuivaient leur offensive pour reconquérir les secteurs aux mains de l’EI (AFP)

On n’avait vu d’elle que ses yeux, au travers de la fente d’une abaya. Puis on l’avait vue en débardeur sur le téléphone de sa mère, et en sweat rose à capuche, raconter comment elle était partie en Syrie. C’est maintenant en legging en faux cuir et casquette vissée sur la tête d’où dépassent des mèches décolorées qu’elle apparaît sur des photos de l’AFP, dans un camp du nord-est de la Syrie géré par les forces kurdes, où elle est retenue depuis 2017.

Car Émilie König, 36 ans, considérée comme l’une des figures de la mouvance extrémiste islamiste en France, plaide pour son retour, et ce changement de tenue, souligne-t-elle, c’est pour se « réhabituer » à la vie en France après ses années d’engagement avec le groupe État islamique (EI).

Placée par l’ONU sur sa liste noire des combattants les plus dangereux, cette ancienne militante de Forsane Alizza (ex-groupuscule islamiste créé en 2010 à Nantes puis dissous par le ministère de l’Intérieur pour « apologie du terrorisme ») s’est « radicalisée », selon les Nations unies, pour « mener des activités de propagande terroriste sur plusieurs pages Facebook ».

Les services de renseignement avaient intercepté ses appels récurrents à attaquer les institutions françaises ou à s’en prendre aux femmes de soldats français.

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Au printemps 2012, elle rejoint son mari, qui combattait déjà au côté de l’EI, pour prendre les armes. « Un enregistrement vidéo diffusé le 31 mai 2013 montrait Émilie König en train de s’entraîner au maniement d’un fusil en Syrie », rapporte l’ONU.

« Dans un autre enregistrement vidéo diffusé sur le web le 2 juin 2013, elle adressait des messages de propagande à ses enfants. Rentrée en France en août 2013, elle est retournée le 7 novembre 2013 en Syrie, où elle se trouve depuis. Elle téléphone souvent à ses relations en France pour les encourager à commettre des actes violents contre des cibles données [institutions françaises, épouses de militaires français] sur le territoire français. »

Après le rapatriement de ses trois enfants en janvier – remariée, deux fois veuve, elle est mère de cinq enfants –, Emilie Konig espère toujours rentrer en France « pour retrouver sa famille, suivre une formation en comptabilité et, pourquoi pas, se lancer à son compte et avoir une revanche un petit peu » sur la vie.

« Je ne vois pas pourquoi j’irais en prison »

Accusée d’avoir recruté pour l’EI et d’avoir appelé à commettre des attaques en Occident, et alors que Paris souhaite voir jugés sur place les adultes, hommes et femmes, accusés de complicité avec l’organisation d’Abou Bakr al-Baghdadi, elle ne « voit pas pourquoi » elle devrait aller en prison. 

« Je ne vois pas pourquoi j’irais en prison. Je trouve que c’est injuste, parce que je n’ai rien fait, j’ai pas de sang sur les mains », insiste-t-elle dans un entretien à l’AFP. « Bien sûr que je regrette, parce que ça a [détruit] toute ma vie. »

Elle avait été capturée en 2017 à Chadadi, ville de l’est de la Syrie, alors que les forces kurdes poursuivaient leur offensive pour reconquérir les secteurs aux mains de l’EI. 

Quelque 800 familles européennes, des femmes et des enfants, vivent à Roj, contre 100 familles syriennes et irakiennes, selon une responsable s’exprimant sous anonymat.

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« Nous essayons de transférer [à Roj] les personnes les plus dangereuses et ceux qui ont essayé de se sauver plusieurs fois, pour alléger la pression sur le camp d’al-Hol », explique la responsable, en référence à ce vaste camp du nord de la Syrie qui abrite des dizaines de milliers de sympathisants, notamment occidentaux, de l’EI .

L’administration leur « a interdit de se couvrir le visage et de s’habiller en noir », poursuit la responsable.

Elle estime que celles qui ont opté pour des tenues décontractées « essaient de convaincre leurs gouvernements de les rapatrier », doutant de leur sincérité et assurant que seule une minorité a vraiment des « remords ».

Comme d’autres Françaises, Émilie König assure avoir récemment mené une grève de la faim de huit jours pour obtenir un rapatriement. Avant d’abandonner.

« Je me suis dis que ça servait à rien parce que de toute manière, que je meure ici ou pas, la France ne vient même pas. » Elle souhaiterait que les responsables français « fassent un peu plus d’efforts à venir nous voir ici ». Qu’ils « analysent vraiment tout le monde pour ensuite faire le cas par cas comme ils ont dit ».

À Roj, la sécurité semble plus facile à assurer qu’à al-Hol, un camp devenu une « poudrière jihadiste » selon des observateurs, véritable cité de tentes où vivent près de 62 000 personnes.

« De toute manière, que je meure ici ou pas, la France ne vient même pas »

- Émilie König

Les forces kurdes ont d’ailleurs lancé dimanche une vaste opération de sécurité pour neutraliser les activités de l’EI à al-Hol.

Depuis la chute du « califat » en mars 2019, les autorités kurdes n’ont de cesse d’appeler au rapatriement des femmes et des enfants étrangers.

Cependant, la plupart des pays, notamment européens, rechignent à reprendre leurs citoyens. Certains, parmi lesquels la France, ont rapatrié un nombre limité d’enfants, parmi lesquels des orphelins.

La France compterait environ 80 femmes et près de 200 enfants toujours retenus dans les camps de Syrie.

Selon une information publiée par Libération mardi 30 mars, des avocats et des universitaires ont déposé un dossier auprès de la Cour pénale internationale (CPI) pour attaquer la politique d’Emmanuel Macron. Sa responsabilité pénale pourrait être engagée pour crimes de guerre en « qualité d’auteur », parce qu’il réfute de manière « intentionnelle » le droit des femmes à être jugées, et en qualité de complice pour leur détention illégale et celle de leurs enfants, ainsi que pour les « traitements cruels et dégradants » qu’ils subissent depuis 2019.

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Cette plainte concerne la situation de « près de 200 enfants français, dont la grande majorité a moins de 6 ans », qui « sont prisonniers avec leurs mères dans des camps du Rojava [Kurdistan syrien] et y survivent dans des conditions déplorables », dénoncent les avocats.

Évoquant les « conditions de vie difficiles » à Roj – « Je peux pas sortir, j’ai pas de téléphone, j’ai pas mes enfants » –, Émilie König fournit une longue liste de ses soucis de santé, « des kystes sur le corps », des dents tombées, des « problèmes » à la hanche et aux genoux.

« Je veux retourner en France, je veux revoir mes enfants, j’aimerais que la France soit conciliante par rapport à ça. J’ai envie de réparer mes erreurs. Il y a une part de moi qui est morte sans mes enfants », lâche la jeune femme, son propos régulièrement entrecoupé par des sanglots.

« Depuis qu’ils sont partis, il n’y a pas un jour où je ne pense pas à eux. J’espère un jour pouvoir revoir mes enfants, on sera autour d’une table tous les six. »

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