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Lewis Hamilton et la bataille pour la place de la Formule 1 dans le Golfe

En marge du Grand Prix de Bahreïn, l’ancien patron de la F1 Bernie Ecclestone revient avec MEE sur l’arrivée du sport automobile au Moyen-Orient, dans un contexte de violations dénoncées par des activistes
Les courses organisées au Moyen-Orient rapportent beaucoup plus d’argent à la F1 que celles qui se déroulent sur des circuits tels que Monaco et Silverstone (AFP)
Les courses organisées au Moyen-Orient rapportent beaucoup plus d’argent à la F1 que celles qui se déroulent sur des circuits tels que Monaco et Silverstone (AFP)

Bernie Ecclestone, l’homme qui a dirigé la Formule 1 pendant quatre décennies, se souvient bien de l’accord qui a marqué l’entrée du sport automobile à Bahreïn en 2004.

« Lorsque nous y sommes allés pour la première fois, nous avons eu quelques problèmes avec la population locale, qui était mécontente de ce qu’elle pensait que les dirigeants faisaient », raconte à Middle East Eye ce magnat britannique des affaires âgé de 90 ans.

« Au final, j’ai rencontré tous les manifestants, je me suis assis avec eux et je leur ai parlé. Je leur ai dit : ‘’Ce que vous cherchez, c’est une révolution, vraiment.” C’est ce qui se passe en temps normal. Et ensuite, vous attaquez la couronne et vous vous emparez du pays. Je leur ai dit que c’était la seule chose qu’ils pouvaient faire. »

Le prince héritier bahreïni Salmane ben Hamad al-Khalifa (à gauche) en compagnie de Bernie Ecclestone, lors du Grand Prix de Bahreïn 2012 (AFP)
Le prince héritier bahreïni Salmane ben Hamad al-Khalifa (à gauche) en compagnie de Bernie Ecclestone, lors du Grand Prix de Bahreïn 2012 (AFP)

Pourtant, Bernie Ecclestone ne s’attendait pas à voir les Bahreïnis se ruer vers les barricades. « J’ai indiqué que c’était ce qui se passait en temps normal quand ces choses se produisent, tout en sachant très bien que cela n’avait aucune chance de se produire, car ils n’auraient jamais été capables de le faire. »

S’exprimant depuis sa résidence dans la station suisse de Gstaad dans les Alpes, Bernie Ecclestone explique qu’il avait l’habitude de se rendre à Bahreïn « sans tous ces prétendus gardes du corps » pour rencontrer des groupes d’opposition et des dirigeants du royaume dans son hôtel.

L’idée d’y organiser une course est venue d’outre-Manche. Salmane ben Hamad al-Khalifa, diplômé de Cambridge, est devenu prince héritier de Bahreïn en 1999, quelques mois avant son trentième anniversaire.

Salmane a pris contact avec Bernie Ecclestone, qui décrit le jeune prince comme « une personne très sympathique » et « un très bon dirigeant ».

« Il soutenait complètement ce projet parce qu’il avait compris que c’était la meilleure chose qui pouvait arriver pour son pays », affirme Bernie Ecclestone. « Il s’agissait de préciser ce qui convenait le mieux à tout le monde. »

De nouvelles sources de revenus

Sur ce point, la famille al-Khalifa au pouvoir à Bahreïn et le grand patron de la F1 étaient sur la même longueur d’onde. L’organisation d’un Grand Prix mettrait le royaume sur la carte, l’ouvrirait aux investissements étrangers et en ferait une destination plus attractive pour les touristes.

Pour la Formule 1, cela signifiait de nouvelles sources de revenus après la perte du sponsoring des entreprises de l’industrie du tabac, mais aussi un développement au Moyen-Orient, région qui n’avait jamais accueilli de course.

« Cela faisait des années que nous nous présentions comme un championnat du monde alors que nous étions un championnat européen », soutient Bernie Ecclestone.

« Je me suis dit que Bahreïn serait formidable. C’est une autre partie du monde. En temps normal, les gens n’auraient aucune raison d’aller là-bas. Nous avons donc ouvert la porte aux gens qui font des affaires… Avec notre sport, nous avons ouvert des portes qui n’auraient probablement jamais été ouvertes. »

Poutine et les royaumes du Golfe ? « Ils ne changent pas d’avis à mi-chemin. Ils font en sorte que les choses marchent »

La construction du circuit international de Sakhir a commencé en 2002 et coûté 150 millions de dollars. La première course s’est déroulée le 4 avril 2004 et a été remportée par Michael Schumacher, au volant d’une Ferrari.

« Personne ne croyait qu’il y aurait un jour une course dans cette partie du monde », poursuit Bernie Ecclestone. « Bahreïn a eu le courage de le faire. J’ai dit au prince héritier, qui avait ouvert la porte aux pays du Moyen-Orient, que nous ne ferions pas d’autre course sans sa bénédiction. Alors quand il était question de rencontrer Abou Dabi pour discuter de tout là-bas, je leur ai dit qu’ils devaient d’abord obtenir l’accord de Bahreïn. »

En mai 2007, Abou Dabi a lancé la construction de son propre circuit automobile. Le circuit Yas Marina a coûté 1,3 milliard de dollars et nécessité la création d’une île artificielle. Comme pour Bahreïn, ce nouveau site est le nec plus ultra des circuits selon les initiés de la F1, avec des installations haut de gamme.

Bernie Ecclestone a été très impressionné lorsqu’il a rencontré pour la première fois Mohammed ben Zayed (MBZ), le « charmant » prince héritier d’Abou Dabi, qui avait entamé des discussions pour amener la F1 dans l’émirat.

Les deux hommes ont dîné dans un restaurant en plein air avec deux autres personnes que Bernie Ecclestone identifie comme « le bras droit » et « un homme » de MBZ. Aucun garde du corps n’était présent.

« Quand nous avons quitté le restaurant, nous avons marché jusqu’à une voiture. Il [MBZ] conduisait lui-même la voiture et c’était complètement normal. C’était des gens sympathiques qui ne cherchaient à impressionner personne. C’est ce que j’ai apprécié par-dessus tout. »

Le patron de la F1 a expliqué à MBZ qu’il serait très difficile d’organiser une course urbaine à Abou Dabi en raison de la planification à l’américaine de la ville.

MBZ lui a répondu qu’il ne devait pas s’inquiéter et qu’ils construiraient un espace suffisamment grand pour y installer un circuit de course. « J’ai dit : ‘’Bien, ce serait super, mais vous comprenez à quel point c’est difficile…’’ Et qu’ont-ils fait ? Ils ont construit l’île. Si quelqu’un vous disait ça, vous vous demanderiez probablement : ‘’De quoi est-ce qu’ils parlent ?’’ » 

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Ce qui a séduit l’homme de la F1, c’est le fait que les dirigeants de Bahreïn et d’Abou Dabi ont fait exactement ce qu’ils avaient dit. Bernie Ecclestone reconnaît volontiers qu’il pense que l’un des grands problèmes de l’Europe est qu’il y a « trop de démocratie ».

Il est un ami du président russe Vladimir Poutine, qu’il décrit comme une « personne sympathique, très sympathique » et un formidable dirigeant. 

« Il fait aussi partie de ces types qui font exactement ce qu’ils disent », affirme Bernie Ecclestone, qui voit un point commun direct entre Poutine et les royaumes du Golfe. « Ils ne changent pas d’avis à mi-chemin. Ils font en sorte que les choses marchent. »

« Utiliser la marque pour promouvoir leur pays »

En 2008, alors que le circuit d’Abou Dabi était en cours de construction, le cheikh Mansour ben Zayed, membre de la famille royale émiratie, a racheté le Manchester City Football Club. « Ils avaient ouvert les yeux sur le sport, ils ont pu voir que la Formule 1 leur était bénéfique et ils ont vu le lien », explique Bernie Ecclestone.

« Ils font désormais partie intégrante du monde, alors qu’auparavant, ils étaient très isolés. »

Pour Bernie Ecclestone, il s’agit d’une situation gagnant-gagnant. « Financièrement, les personnes auxquelles nous avons affaire dans cette partie du monde valorisent les choses différemment de celles qui sont là depuis des années », soutient-il.

Les courses organisées au Moyen-Orient rapportent beaucoup plus d’argent à la F1 que celles qui se déroulent sur des circuits tels que Monaco et Silverstone, connus dans le monde entier et imprégnés de l’histoire de la course automobile.

Bernie Ecclestone décrit la relation entre la F1 et les souverains du Golfe : « C’est ce qu’ils voulaient faire, utiliser la marque pour promouvoir leur pays, c’est ce qu’ils voulaient faire manifestement. Cela nous convenait et cela leur convenait. Mais il y a un prix à payer. Ils se sont rendu compte que ce n’était pas cher payé pour toute la publicité qu’ils ont reçue. Nous savions tous exactement ce que nous faisions. Et par chance, je pense, ça a bien marché. »

Cette saison se tiendra le premier Grand Prix d’Arabie saoudite, le premier pour lequel l’accord n’a pas été conclu par Bernie Ecclestone. Mais sans ces dîners dans des hôtels de Bahreïn et d’Abou Dabi, il n’aurait jamais vu le jour.

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Le Grand Prix de Bahreïn, qui a lancé la saison le 28 mars, s’est tenu dix ans après l’annulation de la course à la suite des protestations de 2011 réprimées par le gouvernement dans le sillage du Printemps arabe.

Cet événement est au cœur d’un débat sur le sportswashing, terme désignant l’utilisation d’événements sportifs par des gouvernements et de grandes entreprises pour améliorer leur image, renforcer leur pouvoir et détourner l’attention de toutes sortes d’abus.

En 2011, des dizaines de victimes et des milliers d’arrestations ont été comptabilisées parmi les manifestants qui réclamaient une transition démocratique, notamment un Premier ministre élu et une monarchie constitutionnelle.

« Laver son bilan en matière de crimes »

Parmi eux se trouvait Sayed Ahmed al-Wadaei, actuellement directeur de plaidoyer au sein du Bahrain Institute for Rights and Democracy (BIRD).

La F1 est revenue à Bahreïn l’année suivante, mais les protestations populaires contre la course se sont poursuivies. « Cherchant désespérément à présenter au monde une impression de normalité, la police de Bahreïn a pris l’habitude de réprimer violemment ces protestations », explique Sayed Ahmed al-Wadaei.

En 2012, Salah Abbas a été abattu par la police au cours d’une manifestation à la veille du Grand Prix. La même année, Sayed Ahmed al-Wadaei dit avoir été la cible de tirs de grenaille et de gaz lacrymogène de la part de la police pour s’être joint à d’autres manifestations anti-F1.

Il a quitté Bahreïn et s’est réfugié au Royaume-Uni. Trois ans plus tard, il a été déchu de sa nationalité bahreïnie. L’activiste des droits de l’homme est depuis lors apatride.

Comme Sayed Ahmed al-Wadaei, Najah Yusuf a fait l’expérience du lien direct entre la classe dirigeante de Bahreïn et la Formule 1. En 2017, cette fonctionnaire et mère de quatre enfants a critiqué la F1 et le gouvernement bahreïni dans une publication sur Facebook. D’après le jugement du tribunal dont elle a fait l’objet, elle a écrit que le Grand Prix n’était « rien de plus qu’un moyen pour la famille al-Khalifa de laver son bilan en matière de crimes et de violations flagrantes des droits de l’homme ».

« Ce sont des entreprises qui viennent à Bahreïn et qui offrent au gouvernement une scène pour montrer à quel point ils sont modernes et progressistes, alors que des manifestants sont abattus dans les rues »

- Najah Yusuf, activiste bahreïnie

Najah Yusuf affirme avoir été agressée, torturée et emprisonnée pendant les trois années qui ont suivi ce post : les agents du poste de police de Muharraq l’ont battue et l’ont menacée de la violer jusqu’à ce qu’elle signe des aveux préparés. 

Lors d’une conférence de presse virtuelle organisée par le BIRD, l’activiste bahreïnie a indiqué avoir été libérée en août 2019 à la suite de pressions internationales et que peu après, l’ONU a déclaré sa détention arbitraire et réclamé une indemnisation en sa faveur.

« Mon seul délit a été d’avoir critiqué la F1 sur les réseaux sociaux », explique Najah Yusuf. « À Bahreïn, c’est suffisant pour être torturé et jeté en prison pour plusieurs années. »

Alors que la F1 a promis de l’aider, rien n’a été fait, soutient-elle. « Je suis toujours harcelée par le gouvernement de Bahreïn parce que je refuse de garder le silence au sujet du calvaire que j’ai subi. »

Et cela ne s’arrête pas là : le fils de Najah Yusuf, Kameel Juma Hasan, a été arrêté alors qu’il n’avait que 16 ans pour avoir participé à des manifestations de l’opposition et risque aujourd’hui jusqu’à 27 ans de prison. Amnesty International a qualifié son arrestation de « représailles contre lui et sa famille après que sa mère et lui ont refusé de devenir des informateurs et que sa mère s’est exprimée dans la presse internationale ».

Depuis que l’ONU a déclaré que sa détention était arbitraire, Najah Yusuf affirme que les dirigeants de la F1 n’ont « pas tenté de [la] rencontrer ».

« J’ai arrêté de croire que la F1 m’aiderait un jour à obtenir justice. Pour nous, les Bahreïnis, c’est bien plus qu’une simple course automobile. Ce sont des entreprises qui viennent à Bahreïn et qui offrent au gouvernement une scène pour montrer à quel point ils [les dirigeants] sont modernes et progressistes, alors que des manifestants sont abattus dans les rues. »

Une nouvelle ère ?

En 2015, pour la première fois, la F1 a officiellement adopté une politique en matière de droits de l’homme.

Lors de la conférence de presse du BIRD, les activistes bahreïnis ont clairement estimé que si cette politique était annonciatrice d’une nouvelle ère, elle n’était toujours pas fonctionnelle six ans plus tard.

« Aujourd’hui encore, nous voyons des manifestations contre la F1 être violemment réprimées et des détracteurs de la course être jetés en prison, tandis que les dirigeants de la F1 font l’autruche », déplore Sayed Ahmed al-Wadaei.

Alors que les militants bahreïnis ne comptent plus sur les dirigeants de la F1 pour les aider dans leur cause, certains se tournent plutôt vers le septuple champion du monde Lewis Hamilton, qui a commencé à s’exprimer sur les questions liées aux droits de l’homme et à la justice raciale.

Né en 1985 dans la ville anglaise de Stevenage, Hamilton est le premier et le seul pilote noir à courir en F1.

Prodige du karting, il a été recruté à l’âge de 12 ans dans le cadre du programme pour jeunes pilotes de McLaren et a terminé deuxième de sa première saison de F1 en 2007, à l’âge de 22 ans.

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Devenu professionnel à l’adolescence, Lewis Hamilton a vécu une enfance tout sauf normale. « J’ai été formé dans un cadre restreint, je sentais que c’était le seul espace dans lequel j’avais le droit d’être », a-t-il confié au magazine GQ.

Il était entouré de chargés de relations publiques, on lui disait ce qu’il devait porter et ce qu’il devait dire. Ron Dennis, l’homme qui a dirigé McLaren pendant plusieurs décennies, était connu pour le contrôle strict qu’il exerçait sur les moindres faits et gestes de ses pilotes. Il avait la réputation d’employer des formulations compliquées pour ne presque rien dire, à tel point que le terme « Ronspeak » a été inventé. Une mode que ses pilotes, dont Lewis Hamilton, ont parfois suivie.

En septembre 2012, Hamilton a choqué le monde du sport automobile en annonçant son départ de McLaren pour Mercedes.

« Ce n’est qu’alors que j’ai commencé à prendre mes propres décisions dans ma vie », a-t-il affirmé. La plus grande liberté que lui offre Mercedes lui a permis de mener une vie de jet-setteur.

Il vit dans le paradis fiscal de Monaco et fait la fête dans le monde entier, posant aux côtés de Rihanna, Rita Ora ou encore Nicki Minaj. Il prépare un album et possède un énorme ranch dans le Colorado. En retour, Lewis Hamilton enchaîne les titres pour Mercedes.

Dans le même temps, le garçon autrefois timide et obsédé par la course a commencé à vivre ce qu’un initié de la F1 a décrit comme « une adolescence plus typique ».

Ce changement comprenait une sorte de réveil politique public. À la suite du meurtre de l’Afro-Américain George Floyd commis par un policier américain en mai 2020, Lewis Hamilton a été « submergé par la rage ». Il a affiché publiquement son soutien au mouvement Black Lives Matter en s’agenouillant et en portant un t-shirt BLM sur la grille de départ avant les courses.

Le 11 juin 2020, Lewis Hamilton a publié sur Twitter une liste de lecture comprenant l’autobiographie de Malcolm X, La Couleur pourpre d’Alice Walker et There Ain’t No Black in the Union Jack, le premier livre du célèbre universitaire noir britannique Paul Gilroy.

« Je ne pense pas que Lewis ait lu le livre – sans vouloir lui manquer de respect », concède Paul Gilroy, interrogé par MEE.

« Le truc avec ce livre, c’est qu’à cause de son titre, il a toujours suscité un certain intérêt qu’il ne mérite pas vraiment… Les gens sont toujours choqués quand on leur dit que c’était un slogan du Front national britannique que les gens scandaient lors des matchs de cricket et autres. Cela ne me dérange pas qu’il dise aux gens qu’ils devraient essayer de le lire – bonne chance à eux. »

« C’est mon pilote préféré »

Pour Paul Gilroy, l’activisme de Lewis Hamilton est « plus intéressant par rapport à sa célébrité – au pouvoir de la célébrité à ce moment-là et au type particulier de célébrité qu’il est ».

« Je n’ai pas regardé la vidéo du meurtre de George Floyd, mais je suis sûr que Lewis l’a vue, et si cela l’a réveillé, tant mieux », poursuit Paul Gilroy.

« Je ne vais pas me plaindre si le choc épouvantable de ce meurtre le réveille et l’alerte sur les responsabilités – si j’ose dire – qui découlent de la visibilité et de la célébrité qu’il a acquises. Si cela se produit, alors ce doit être une bonne chose. »

Le soutien de Lewis Hamilton à Black Lives Matter a été suivi d’une volonté d’écouter les militants bahreïnis.

Lewis Hamilton (à droite) et d’autres pilotes de Formule 1 posent le genou à terre avant le Grand Prix d’Autriche, en juillet 2020 (AFP)
Lewis Hamilton (à droite) et d’autres pilotes de Formule 1 posent le genou à terre avant le Grand Prix d’Autriche, en juillet 2020 (AFP)

Lors de la conférence de presse organisée par le BIRD, Ahmed Ramadhan, 11 ans, a raconté avoir passé la majeure partie de sa vie à savoir que son père Mohammed se trouvait dans le couloir de la mort à Bahreïn après avoir été condamné pour le meurtre d’un policier.

Amnesty International a dénoncé un procès « manifestement inéquitable », alors que les soupçons selon lesquels la condamnation repose sur des aveux extorqués sous la torture sont légion.

Mohammed Ramadhan est membre de la communauté chiite de Bahreïn, un pays sous domination sunnite, et son arrestation a eu lieu dans le sillage de protestations antigouvernementales. Ahmed avait 4 ans la dernière fois que son père est venu le chercher à l’école.

L’an dernier, Lewis Hamilton a lu une lettre du père d’Ahmed. « J’étais tellement excité », a déclaré le garçon de 11 ans. « C’est mon pilote préféré et je le prends toujours dans mon jeu Real Racing, alors je lui ai fait un dessin de sa monoplace. » Le père d’Ahmed a vu le dessin aux informations et a dit à son fils combien il était fier de lui.

Dessin envoyé par Ahmed Ramadhan, 11 ans, avec une lettre adressée à Lewis Hamilton (photo fournie)
Dessin envoyé par Ahmed Ramadhan, 11 ans, avec une lettre adressée à Lewis Hamilton (photo fournie)

Lors d’une conférence de presse, Lewis Hamilton a été interrogé sur les lettres qu’il a reçues de Bahreïnis ayant survécu à des actes de torture avant la course de l’an dernier. Le pilote a répondu que ces lettres avaient « eu un poids assez important sur [lui] » et que c’était « la première fois [qu’il recevait] de telles lettres ».

Lewis Hamilton a rencontré l’ambassadeur britannique à Bahreïn et s’est entretenu avec des responsables bahreïnis.

« Pour l’instant, c’est vraiment en privé que j’ai fait les choses et je pense que c’est la bonne manière de procéder. Je ne veux donc pas […] compromettre tout progrès », a-t-il déclaré. « Mais voilà la position dans laquelle nous sommes actuellement. Je suis vraiment engagé à aider de toutes les manières possibles. »

« Quant à savoir si c’est la responsabilité de la Formule 1, je ne sais pas si c’est à moi de le dire […] », a poursuivi Lewis Hamilton. « Mais je ne pense pas que nous devrions aller dans ces pays et ignorer ce qui s’y passe – arriver, passer du bon temps et repartir. »

Un porte-parole de la FIA, l’organe directeur de la Formule 1, s’est exprimé pour MEE : 

« Nous avons toujours été clairs avec tous les promoteurs de courses et les gouvernements auxquels nous avons affaire dans le monde entier : la violence, les violations des droits de l’homme et la répression sont des sujets que nous prenons très au sérieux. »

« La politique de la Formule 1 en matière de droits de l’homme est très claire et stipule que ses sociétés s’engagent à respecter les droits de l’homme internationalement reconnus dans le cadre de leurs activités à l’échelle mondiale. Nous avons fait connaître notre position sur les droits de l’homme à tous nos partenaires, y compris les pilotes, ainsi qu’aux pays hôtes qui s’engagent à respecter les droits de l’homme dans le cadre de l’accueil et de l’organisation de leurs événements. »

L’ambassade de Bahreïn à Londres n’a pas répondu à la demande de commentaires formulée par MEE.

« [Les propriétaires de la F1] ne seraient intéressés que si c’était difficile pour eux sur le plan politique et si le prix de leurs actions venait à chuter »

– Bernie Ecclestone

Le gouvernement bahreïni a déjà déclaré qu’il appliquait « une politique de tolérance zéro à l’égard de tout type de mauvais traitement » et qu’il avait instauré « des garanties en matière de droits de l’homme reconnues au niveau international ».

Interrogé quant à savoir si les propriétaires de la F1 sont inquiets de l’activisme naissant de Lewis Hamilton, Bernie Ecclestone a répondu par la négative : « Ils ne semblent pas l’être. Ils ne seraient intéressés que si c’était difficile pour eux sur le plan politique et si le prix de leurs actions venait à chuter. »

Interrogé par MEE, Paul Scriven, un membre de la Chambre des Lords britannique qui s’intéresse particulièrement à Bahreïn, estime que les hauts dirigeants de la F1 semblent faire passer les profits avant toute obligation morale.

Cela explique en partie la décision d’essayer d’impliquer Lewis Hamilton. Lui et ses compagnons de campagne se préparent à braquer les projecteurs sur les entreprises sponsors de la F1 et à « s’adresser directement à leurs consommateurs ».

Pour le moment, de nombreux espoirs reposent sur Lewis Hamilton. Ils ne seront peut-être pas entièrement vains. Les observateurs britanniques n’ont qu’à se tourner vers le footballeur Marcus Rashford pour voir ce qui peut se produire lorsqu’un sportif se consacre à l’activisme politique.

« J’ai été surpris lorsqu’il a abordé la question des événements à Bahreïn et j’en ai été heureux », affirme Paul Gilroy au sujet de Lewis Hamilton.

« Je ne veux pas exclure l’idée qu’avec les bonnes pressions et les bonnes conversations, quelque chose puisse se produire. Il n’est pas aussi vulnérable que lors de son ascension ; il est désormais sur le plateau, donc il peut se permettre de prendre des risques. S’il s’immisce dans ces conversations, qui peut dire que les choses s’arrêteront là ? »

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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