France : un refuge débordé par l’afflux de migrants d’Afrique subsaharienne fuyant la Tunisie
Dans le contexte d’un afflux de migrants traversant la frontière franco-italienne, dont la plupart ont fui les agressions racistes commises en Tunisie, le refuge Les Terrasses Solidaires a publié un communiqué pour alerter sur le dépassement de ses capacités d’accueil.
« Nous ne pouvons accueillir que 64 personnes, aujourd’hui nous en avons 100. La semaine dernière, il y a eu un pic à 138 arrivées », indiquent à Middle East Eye Capucine Mounal et Arthur Blanchard, les porte-parole des Terrasses Solidaires, un refuge situé à Briançon, à moins de dix kilomètres de la frontière italienne.
En temps normal, ce centre est une halte pour les réfugiés en route vers Paris, mais les tarifs prohibitifs des trains ont piégé des groupes successifs de nouveaux arrivants dans cette structure qui peine à faire face.
Un afflux de migrants d’Afrique subsaharienne fuyant la Tunisie pour l’Italie a été déclenché il y a plusieurs mois par un discours incendiaire du président Kais Saied, qui a décrit l’immigration comme une menace pour la sécurité.
Ses propos ont déclenché des vagues de violence à l’encontre de la population noire vivant en Tunisie : des passages à tabac, des attaques au couteau et des viols commis par des bandes composées essentiellement de jeunes hommes ont été rapportés.
Des personnes noires en Tunisie ont également rapporté des expulsions décidées par des propriétaires et des détentions arbitraires pratiquées par les forces de sécurité.
Des naufrages d’origine humaine
Fin mai, une attaque perpétrée par sept Tunisiens armés de couteaux et de sabres a causé la mort d’un Béninois de 30 ans et fait cinq blessés dans la ville de Sfax, dans l’est du pays.
Des réfugiés réclamant une évacuation humanitaire ont dressé un campement devant le siège de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à Tunis.
« Les migrants se sentent plus vulnérables », indique à MEE Eric Goldstein, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch (HRW).
« Nombre d’entre eux sont réduits au chômage et au statut de sans-abri […] Les gens savent qu’ils transportent de l’argent liquide et qu’ils sont moins susceptibles de porter plainte auprès de la police en cas de vol. Ce sont des cibles faciles pour les malfaiteurs », ajoute Eric Goldstein.
La flambée de violence a entraîné une augmentation du nombre de migrants d’Afrique subsaharienne traversant la Méditerranée centrale pour rallier l’Italie depuis la Tunisie, dépassant ainsi la Libye en tant que premier pays de départ.
De plus, la militarisation de la frontière côtière libyenne, renforcée par un financement de l’Union européenne, a fait de la Tunisie un itinéraire plus viable compte tenu du risque réduit d’interception par les garde-côtes.
Selon l’ONU, 12 000 personnes sont arrivées sur les côtes italiennes en provenance de Tunisie depuis le début de l’année, contre 1 300 au cours de la même période en 2022.
L’aggravation de la crise économique en Tunisie – avec une inflation d’environ 11 % – est un autre facteur qui pousse de plus en plus de personnes à tenter la traversée. Les températures plus douces de ces dernières semaines ont également encouragé un plus grand nombre de migrants à tenter leur chance.
« Nous connaissons beaucoup de personnes qui ont été directement attaquées par les garde-côtes tunisiens »
– Hiba, bénévole pour Alarm Phone
Le nombre de morts a également fortement augmenté parmi ceux qui tentent la traversée, décrite par l’ONU comme la traversée maritime la plus meurtrière au monde pour les réfugiés.
En mai, les garde-côtes tunisiens ont indiqué qu’environ 210 corps avaient été récupérés sur cet axe en l’espace de deux semaines, dont une majorité de victimes d’origine subsaharienne.
Les morgues et les hôpitaux de Sfax ont indiqué être dépassés par le nombre de corps.
« Ces naufrages sont d’origine humaine », affirme à MEE Hiba, bénévole pour Alarm Phone, un service d’assistance téléphonique autoorganisé pour les personnes en détresse en mer.
Pour Hiba, l’augmentation des « naufrages invisibles » est liée à la hausse des interceptions violentes pratiquées par les garde-côtes tunisiens. Durant le seul premier trimestre 2023, 14 963 personnes ont été violemment interceptées dans les eaux tunisiennes.
« Ils disent qu’ils sauvent des gens, mais cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de force un bateau [qui fonctionne] […] Il n’y a pas lieu de créer des vagues qui font chavirer le bateau », soutient-elle. « Nous connaissons beaucoup de personnes qui ont été directement attaquées par les garde-côtes tunisiens. »
« La seule bonne volonté ne suffit pas »
Le 9 mars, peu après le discours de Saied, Alarm Phone a rapporté que les garde-côtes avaient attaqué deux bateaux et dérobé leurs moteurs, laissant 200 personnes à la dérive.
« Sans les pêcheurs qui les ont secourus, nul ne sait ce qui leur serait arrivé », raconte Hiba.
Les garde-côtes ont reçu plus de 37 millions d’euros provenant du Fonds fiduciaire d’urgence de l’UE pour l’Afrique pour la « gestion des flux migratoires et des frontières ».
L’UE a également soutenu la police aux frontières tunisienne en fournissant des formations et des équipements de surveillance.
Située à quelques kilomètres de la frontière italienne, Briançon subit de plein fouet cet afflux.
Les Terrasses Solidaires ont été créées pour héberger les migrants arrivant de la « jungle » de Calais après son démantèlement en 2016.
En 2021, l’augmentation du nombre d’arrivées et les restrictions imposées dans le contexte de la pandémie de covid-19 ont contraint le refuge à fermer ses portes. Les réfugiés ont alors dû camper à la gare de Briançon par des températures glaciales.
Aujourd’hui, le refuge s’en sort avec des dons limités et ses bénévoles s’évertuent à accueillir les derniers arrivants. Le collectif a envoyé deux lettres à l’État pour demander de l’aide, toutes deux restées sans réponse.
« L’État ne nous a rien envoyé d’autre que la police », souligne Capucine Mounal.
En lieu et place de ce soutien, la police aux frontières et la gendarmerie ont été envoyées pour procéder à des opérations illégales de reconduite à la frontière. « Ils font cela systématiquement », affirme-t-elle.
Selon Capucine Mounal, une militarisation de la frontière pourrait avoir des conséquences fatales.
En lieu et place de ce soutien, la police aux frontières et la gendarmerie ont été envoyées pour procéder à des opérations illégales de reconduite à la frontière
L’adoption de mesures d’urgence pour faire face aux arrivées massives à la frontière franco-italienne en 2015 a entraîné une augmentation des opérations de reconduite forcée à la frontière italienne.
Des pratiques policières dangereuses, telles que la traque des réfugiés dans les montagnes, ont également commencé à proliférer.
En 2018, une enquête de Border Forensics a établi un lien entre la mort de Blessing Matthew, une Nigériane de 21 ans retrouvée dans la Durance, et les opérations de gendarmerie à la frontière.
Selon Capucine Mounal et Arthur Blanchard, l’État pourrait apporter son aide en fournissant davantage de liaisons de transport et en subventionnant des billets, ainsi qu’en proposant des hébergements d’urgence dans des maisons de vacances inoccupées situées à proximité.
« À l’évidence, la seule bonne volonté ne suffit pas », a déclaré le collectif Les Terrasses Solidaires dans un communiqué de presse.
« Nous tirons le signal d’alarme pour que l’État mette en œuvre une politique d’accueil digne et respectueuse des droits des personnes exilées. »
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
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