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Iran : boom des millionnaires malgré les sanctions américaines et le COVID-19

La République islamique a connu l’une des plus fortes augmentations au monde du nombre d’individus fortunés malgré les sanctions et le coronavirus qui ravagent le pays
Des traders iraniens à la Bourse de Téhéran le 1er juillet 2019 (AFP)

L’Iran a connu une forte augmentation du nombre de nouveaux millionnaires au cours de la dernière année, bien que le pays soit soumis à des sanctions américaines paralysantes et connaisse de multiples vagues d’épidémies de COVID-19.

Selon le dernier World Wealth Report de Capgemini, la République islamique a enregistré la plus forte hausse au monde du nombre de détenteurs de grande fortunes (high-net-worth individuals, HNWI) en 2020, comptant au moins 250 000 millionnaires. Elle a fait ainsi un bond de trois places pour venir se positionner au 14e rang mondial.

Selon le rapport, l’Iran abrite désormais plus de millionnaires que l’Espagne, la Russie, le Brésil ou encore son voisin et rival régional riche en pétrole, l’Arabie saoudite.

Mais alors que la République islamique est soumise à des sanctions américaines paralysantes et est le témoin d’au moins un décès dû au COVID-19 toutes les deux minutes, certains Iraniens se demandent comment leur pays en est venu à acquérir autant de millionnaires.

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« Devenir millionnaire est parfaitement acceptable dans une société capitaliste, mais dans un pays qui scande des slogans anticapitalistes et considère que cela fait partie de ses idéaux révolutionnaires, c’est un peu étrange et pas tout à fait acceptable pour la société », déclare à Middle East Eye Reza Ghiabi, consultant en développement d’affaires au service de personnes fortunées, basé à Téhéran.

« C’est totalement différent de ceux qui deviennent millionnaires dans la Silicon Valley, au sein d’une société capitaliste comme celle des États-Unis. »

Lorsque divers groupes sociaux ont renversé la monarchie iranienne en 1979, ouvrant la voie à l’établissement de la République islamique, nombreux étaient ceux qui pensaient que l’ère des capitalistes était révolue et qu’un nouveau système basé sur une répartition équitable des richesses serait établi.

« Nous avons l’intention d’arracher les racines de la corruption du sionisme, du capitalisme et du communisme dans le monde », a déclaré l’ayatollah Rouhollah Khomeini, fondateur de la République islamique, au New York Times en 1988.

« Nous avons décidé de compter sur Dieu Tout-Puissant pour détruire les régimes qui reposent sur ces trois piliers. »

Des sanctions paralysantes

Au cours des 40 dernières années, l’Iran a tenté de se distancier du capitalisme, un système associé au régime du shah et aux États-Unis.

Selon les analystes cependant, les slogans révolutionnaires de Khomeini ne semblent pas avoir été pris au sérieux par ses successeurs, comme pourrait le suggérer le nombre de HNWI.

Ce qui rend le classement mondial des HNWI iraniens encore plus frappant, c’est que le pays a vu sa population augmenter de 21,6 % et la richesse de ses millionnaires de 24,3% en 2020, bien que le pays soit aux prises avec les sanctions américaines.

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Le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif a déclaré cette année que les sanctions de Washington avaient infligé environ 1 000 milliards de dollars de pertes à l’économie.

L’Iran fait l’objet d’une série de sanctions unilatérales depuis 2018, lorsque l’ancien président américain Donald Trump s’est retiré de l’accord sur le nucléaire iranien, connu officiellement sous le nom de JCPOA.

Vers la fin du mandat de Trump, Washington a commencé à réorienter l’axe de ses sanctions, imposant spécifiquement des mesures non liées au nucléaire.

Celles-ci semblaient stratégiques et en prévision des plans de son successeur, Joe Biden, de réintégrer l’accord avec l’Iran, les analystes ayant averti qu’il serait difficile de revenir sur les sanctions non liées au nucléaire pendant les négociations sur le sujet.

Les sanctions, qui n’ont pas été assouplies pendant la pandémie de coronavirus, ont fait grimper le coût de la vie pour les Iraniens lambda, notamment les prix des biens de consommation courante, y compris la nourriture et les médicaments.

Les déboires de la Bourse

Selon le dernier Rapport sur l’investissement dans le monde publié par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les investissements directs étrangers en Iran sont passés de plus de 5 milliards de dollars en 2017 à 1,5 milliard de dollars en 2019 et à 1,3 milliard de dollars en 2020.

Les exportations de biens et services ont également plongé, passant de 111 milliards de dollars en 2017 à 98 milliards de dollars en 2018 et à moins de 29 milliards de dollars en 2020, selon la Banque mondiale.

D’après Ghiabi, le succès des millionnaires iraniens est en grande partie dû à l’argent des citoyens ordinaires, plutôt qu’à l’entrepreneuriat.

« La plupart des millionnaires iraniens ne sont ni producteurs, ni entrepreneurs. Ils ne sont même pas bons pour attirer des investissements », juge-t-il.

« En l’absence d’investissements étrangers et d’opportunités pour la croissance de l’économie iranienne, ces millionnaires s’enrichissent, pour la plupart, non pas grâce aux revenus étrangers ou aux recettes de production, mais grâce à l’argent provenant des poches des non riches », ajoute-t-il.

En septembre, le gouvernement iranien a injecté 1 % du fonds souverain – de l’argent public – dans la Bourse de Téhéran (TSE), ce qui a contribué à stimuler le boom des millionnaires, a rapporté Forbes.

« Entre mars et juillet 2020, les valeurs commerciales de la Bourse de Téhéran ont augmenté de 625 % par rapport à la même période un an plus tôt, et la Bourse de Téhéran a atteint un niveau record début août », lit-on dans le rapport sur la richesse mondiale.

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Mais la bulle boursière a éclaté et de nombreux Iraniens ordinaires qui avaient été encouragés par le gouvernement à investir en Bourse ont perdu une fortune.

Depuis septembre 2020, les actionnaires qui ont subi de lourdes pertes organisent des manifestations dans plusieurs villes.

En avril dernier, des manifestations ont ainsi secoué Téhéran, Mashhad, Ispahan et Tabriz, et les investisseurs ont accusé publiquement le guide suprême Ali Khamenei et d’autres hauts responsables iraniens, dont l’actuel président Ebrahim Raïsi, de leurs pertes.

Mohsen Rezaï, le secrétaire du Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime, a déclaré dans une interview plus tôt cette année qu’environ « 150 personnes dont les actifs à investir dépassent les 1 000 milliards de tomans [40 millions de dollars] [avaient] retiré leur argent de la banque avant que le gouvernement ne baisse les taux d’intérêt, et s’[étaient] engagées sur les marchés des devises, de l’or, des actions ou de l’immobilier. »

« Ces personnes sont entrées sur le marché boursier d’octobre 2019 à mars 2020. Leur investissement dans la Bourse de Téhéran a entraîné une augmentation de 500 % de la valeur de l’action. La classe moyenne a commencé à entrer sur le marché boursier en avril et mai, et les classes plus pauvres ont vendu leurs biens et investi dans la Bourse de Téhéran en juin et juillet 2020 », a précisé Rezaï, notant que les investissements des Iraniens ordinaires étaient intervenus quelques semaines seulement avant que le marché boursier ne commence à chuter en août 2020.

Cryptomonnaies

Le marché des cryptomonnaies a également été cité comme une source d’enrichissement pour les Iraniens fortunés.

Les mineurs de cryptomonnaies gèrent de puissantes « fermes » qui impliquent d’importants investissements dans des centres de données informatiques nécessitant de grandes quantités d’énergie électrique. En échange de la vérification des « blocs » de transactions, les mineurs sont récompensés par de nouvelles pièces.

Connu pour sa volatilité, Bitcoin, acteur majeur de la cryptomonnaie, s’élève actuellement à plus de 44 000 dollars la pièce, et a atteint un record de 63 000 dollars en avril.

Arian, un mineur de bitcoin à Téhéran, indique à MEE qu’il connaît des personnes qui exploitaient la monnaie numérique à une échelle industrielle et gagnaient d’énormes sommes d’argent jusqu’à ce que des pannes d’électricité massives, qui auraient été causées par l’activité des fermes de cryptomonnaie, convainquent le gouvernement de suspendre toute activité de minage pendant quelques mois.

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En janvier, une ferme minière chinoise près de la ville iranienne de Rafsanjan – qui serait l’une des plus grandes fermes de ce type au Moyen-Orient – ​​a temporairement fermé ses portes après que les médias locaux eurent rapporté qu’elle utilisait 175 mégawattheures d’électricité.

La ferme, qui employait 54 000 mineurs, est le plus grand site autorisé pour le minage de bitcoins dans le pays, utilisant près d’un tiers de la puissance totale allouée aux cryptomineurs iraniens.

Du fait de son électricité bon marché et subventionnée, l’Iran est devenu une destination importante pour le minage de cryptomonnaies. Une étude de l’Université de Cambridge rapporte que le pays représente plus de 4,6 % de la puissance de calcul mondiale utilisée pour le minage de bitcoins.

Selon le World Wealth Report, environ 72 % des Iraniens disposant de grandes fortunes ont investi dans des cryptomonnaies.

La Chambre de commerce de Téhéran estime pour sa part qu’environ 12 millions d’Iraniens, soit environ 15 % de la population, ont investi dans les cryptomonnaies.

En 2019, la députée réformiste Fatemeh Zolghadr a révélé que deux studios appartenant à la télévision d’État avaient été impliqués dans le minage de cryptomonnaie.

Mahmoud Vaezi, chef de cabinet de l’ancien président iranien Hassan Rohani, a démenti ces allégations, affirmant que le gouvernement n’avait pas de fermes de minage. Cependant, il n’a fait aucune référence aux opérations imputées aux chaînes de télévision étatiques.

Traduit de l’anglais (original).

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