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La France, premier pays ciblé par les publicités anti-Hamas d’Israël

Malgré les mises en garde des autorités européennes, adressées à Google notamment, sur le contenu vidéo en ligne, des clips de propagande sponsorisés par le ministère israélien des Affaires étrangères ont été diffusés sur YouTube
Une enquête journalistique révèle que sur 7 millions de dollars dépensés par Israël, 3,8 millions auraient ciblé la France (AFP/Seyllou)
Une enquête journalistique révèle que sur 7 millions de dollars dépensés par Israël, 3,8 millions auraient ciblé la France (AFP/Seyllou)
Par MEE

L’asymétrie du conflit israélo-palestinien, dans son nouveau cycle qui a commencé le 7 octobre avec l’attaque du Hamas, ne se mesure pas uniquement à l’intensité et au nombre de frappes israéliennes sur la bande de Gaza. Elle se voit aussi aux moyens mis par Israël dans la guerre de la communication contre le Hamas.

Sophia Smith Galer, journaliste indépendante et auteure aux plus de 500 000 followers sur TikTok, a rapporté sur Twitter que le ministère des Affaires étrangères israélien avait dépensé 7,1 millions de dollars dans une campagne publicitaire destinée à décrédibiliser le Hamas.

Cette campagne a pris la forme de spots publicitaires diffusés sur YouTube, par exemple des vidéos d’otages israéliens en pleurs ou de corps de victimes israéliennes en sang, parfois marquées des armoiries « State of Israel ».

Traduction : « Si vous avez reçu des publicités ciblées du ministère israélien des Affaires étrangères sur YouTube ces quinze derniers jours, vous n’êtes pas seul. J’ai appris, grâce à Semrush, qu’ils avaient dépensé près de 7,1 millions de dollars en publicités YouTube, y compris des vidéos horribles. Voici ce que j’ai découvert. »

Son enquête, réalisée avec Semrush (un outil d’analyse marketing digital qui permet de pister les référencements, les mots-clés, le trafic et autres données utiles pour l’étude des tendances sur internet), révèle aussi que sur ces plus de 7 millions de dollars, 3,8 millions auraient ciblé la France, classée première devant l’Allemagne et le Royaume-Uni.

L’argent dépensé a ainsi permis d’acheter 1 milliard d’impressions – en langage marketing, une impression est une vue – dont la moitié ont été réalisées en France.

Au 23 octobre, rapporte ainsi Numerama, le site d’actualité sur l’informatique et le numérique, les vidéos du ministère des Affaires étrangères avaient généré 443 400 000 impressions en France au 21 octobre – un chiffre qui était passé à 526 600 000 impressions deux jours plus tard, le 23 octobre.

La majeure partie des impressions aurait été réalisée entre le 14 et le 16 octobre, près d’une semaine après l’apparition des premières publicités sur YouTube.

Des influenceurs surpris

Mais le 8 octobre, des internautes avaient déjà relevé la présence d’une vidéo sur fond noir, assumée par le ministère israélien des Affaires étrangères, qui expliquait en une trentaine de secondes que les « terroristes armés » du Hamas avaient « infiltré le territoire d’Israël » avant « d’abattre des Israéliens innocents ».

Sur X, le journaliste Vincent Manilève a été le premier à en parler, en rapportant que la vidéo comptait déjà plus de 470 000 vues.

« Étant donné la situation en Israël et à Gaza, une telle vidéo est évidemment sensible et elle a d’ailleurs choqué une partie des internautes qui l’ont visionnée », souligne Numerama, qui cite aussi les influenceurs qui se sont retrouvés avec cette publicité diffusée en « pré-roll », c’est-à-dire avant le lancement de leur vidéo, comme Squeezie (le youtubeur francophone le plus suivi), Joyca (autre influenceur connu pour ses remix et ses parodies), Chloé Gervais (une TikTokeuse qui partage des vidéos de son quotidien) ou Maghla (une des rares streameuses françaises).

Licornes

Parmi les publicités apparaissant en pré-roll, certains internautes ont aussi pu tomber sur un clip aux couleurs acidulées, dans lesquelles des licornes bondissent entre des arc-en-ciel, des nuages et des étoiles.

Et un texte qui défile avec en fond sonore une berceuse : « Nous savons que votre enfant ne peut pas lire ceci. Quarante enfants ont été assassinés en Israël par les terroristes du Hamas. Maintenant serrez votre bébé dans vos bras et soutenez-nous. » Le clip se termine par les armoiries de l’État d’Israël.

Le Figaro, qui a recensé plusieurs de ces vidéos, note que le 22 octobre, une « bien plus violente » a été diffusée. « ‘’Des décorations d’Halloween ? Ce n’en sont pas’’ », dit une voix masculine digne d’une bande-annonce de film hollywoodien. Au rythme d’une musique oppressante, une quinzaine d’images à soulever le cœur défilent : un lit défait aux draps ensanglantés, un corps à la tête explosée gisant sur le macadam, un bébé mort, des corps calcinés dans une voiture… ‘’Ce sont de vraies photos du massacre en Israël du 7 octobre. Le Hamas, c’est l’État islamique’’ », conclut la vidéo.

Le 13 octobre, la Commission européenne a rappelé à Alphabet, la maison-mère de Google, ses obligations en matière de modération sur sa plateforme YouTube, dans un contexte de hausse du nombre des contenus illégaux et de la désinformation en ligne liés notamment à la guerre.

L’exécutif européen a aussi mis en garde Meta et TikTok sur une recrudescence de fausses informations sur ces plateformes. Il a même ouvert une enquête visant X dans le cadre de la nouvelle législation européenne sur les services numériques (DSA), entrée en vigueur fin août.

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Le commissaire européen chargé du Numérique, Thierry Breton, a adressé vendredi une lettre à Sundar Pichai, le patron d’Alphabet, pour l’appeler à « être très vigilant » sur le respect des nouvelles règles. Il a souligné que Google avait une « obligation particulière de protéger les millions d’enfants et d’adolescents » utilisant YouTube « contre les contenus violents représentant des prises d’otages et autres vidéos choquantes ».

Il a aussi insisté sur la nécessité de « différencier suffisamment » les sources d’information fiables de « la propagande terroriste » et des « contenus manipulés ».

Le commissaire français a par ailleurs demandé à Sundar Pichai d’informer Bruxelles des mesures prises contre les « deepfakes » dans le cadre des différentes élections à venir en Europe. 

« Nos équipes ont supprimé des milliers de vidéos néfastes. Elles travaillent 24 heures sur 24 pour surveiller les images nuisibles et restent vigilantes pour agir rapidement si nécessaire sur les vidéos clips et diffusions en direct », a répondu YouTube.

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