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Des migrants marocains expulsés de Turquie vers le nord de la Syrie

Deux ressortissants marocains racontent à Middle East Eye qu’ils ont été expulsés vers la Syrie ravagée par la guerre après avoir tenté d’entrer illégalement en Europe via les frontières terrestres de la Turquie
Un jeune Syrien passe devant une inscription murale dans la ville septentrionale d’Azaz, dans la région tenue par les rebelles de la province d’Alep, près de la frontière avec la Turquie (AFP)

Les autorités turques ont expulsé deux ressortissants marocains vers la Syrie déchirée par la guerre plus tôt cette année après que ces derniers eurent tenté d’entrer illégalement en Europe via la frontière terrestre de la Turquie, ont-ils déclaré à Middle East Eye.

Azeddin al-Remash et Nabil Rochdi ont été expulsés vers la ville syrienne d’Azaz en janvier, bien qu’ils aient informé à plusieurs reprises les autorités turques qu’ils étaient des ressortissants marocains et n’avaient aucun lien avec la Syrie.

Remash indique qu’il a été arrêté après avoir tenté de passer en Grèce et qu’il a ensuite été envoyé dans un centre de déportation à Edirne, puis dans la ville méridionale d’Adana.

« J’ai informé les autorités turques de ma nationalité marocaine et j’ai montré mes papiers. Mais ils ont insisté pour m’envoyer en Syrie, au mépris de mes déclarations », raconte Remash.

« Ils ne nous ont même pas fourni d’interprète pour nous [traduire]. Malgré nos efforts pour communiquer, ils nous ont envoyés en Syrie contre notre volonté. Je n’ai aucun lien avec la Syrie. »

Roshdi est pour sa part entré en Turquie par l’aéroport Sabiha Gokcen d’Istanbul avant de tenter de passer en Bulgarie, où il a été appréhendé par des soldats turcs.

« Bien que je leur aie répété que je n’étais pas syrien, ils m’ont envoyé de force en Syrie », dit-il.

« Je les ai informés que je devais être renvoyé au Maroc, mais mes demandes ont été ignorées. En l’absence d’interprètes, nous avons eu du mal à contacter les autorités marocaines », ajoute-t-il.

Les deux hommes affirment également avoir été maltraités par des officiers turcs pendant leur détention.

Le ressortissant marocain Nabil Rochdi a montré à Middle East Eye des copies de son passeport, visible sur cette photo, et de sa carte d’identité nationale (MEE)
Le ressortissant marocain Nabil Rochdi a montré à Middle East Eye des copies de son passeport, visible sur cette photo, et de sa carte d’identité nationale (MEE)

Des responsables turcs ont déclaré à MEE sous le couvert de l’anonymat, n’étant pas habilités à parler à la presse, que les institutions étatiques responsables du nord de la Syrie surveillaient la situation et prenaient les mesures nécessaires pour assurer le retour en toute sécurité des ressortissants marocains dans leur pays d’origine.

MEE a contacté les autorités turques de l’immigration mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication de cet article.

Quotas journaliers d’expulsion

Le chef du département turc de lutte contre la contrebande et la drogue à Bab al-Salama, près de la ville d’Azaz, a déclaré aux médias locaux que l’ambassade du Maroc à Ankara avait bloqué les numéros de téléphone des hommes après leurs tentatives répétées de contacter le personnel consulaire.

Il a ajouté qu’après que leurs passeports et cartes d’identité leur eurent été envoyés d’Istanbul, leur affaire a été confiée à un tribunal d’Azaz.

Des sources proches de la récente hausse des expulsions en Turquie ont informé MEE que le ministère turc de l’Intérieur avait fixé des quotas quotidiens d’expulsion pour la police et la gendarmerie.

Ces opérations ciblent les personnes dépourvues de permis de séjour valides ou de documents appropriés. En raison de ces quotas, des personnes titulaires de titres de séjour temporaire sont parfois incluses dans les listes d’expulsion pour des infractions mineures.

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Des responsables turcs ont admis que le processus d’expulsion les inquiétait, l’un d’entre eux expliquant à MEE que « les Syriens d’Alep [étaient] spontanément expulsés vers Tell Abyad, et les Syriens de Raqqa envoyés vers Idleb ».

Cette pratique pose des problèmes logistiques car les personnes expulsées doivent souvent être réinstallées dans leurs provinces respectives, note un autre responsable.

Selon l’ONU, la Turquie accueille environ 4 millions de réfugiés, dont 3,6 millions ont été déplacés de force depuis la Syrie.

Plus de 500 000 Syriens sont actuellement enregistrés comme résidant à Istanbul, tandis que des villes plus au sud telles que Gaziantep, Şanlıurfa et Hatay ont chacune accueilli des centaines de milliers de réfugiés.

Ces derniers mois, la Turquie a intensifié ses efforts d’expulsion après l’engagement du président Recep Tayyip Erdoğan à renvoyer un million de Syriens dans le nord de la Syrie sur fond de sentiment anti-syrien en plein essor dans le pays.

De nombreuses personnes expulsées ont affirmé avoir été contraintes de signer des papiers de « retour volontaire ».

Bien que la Turquie soit signataire de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, laquelle interdit le renvoi de ces derniers dans un pays où ils pourraient être menacés ou persécutés, le pays dispose d’une exemption par laquelle il ne reconnaît que les réfugiés européens, laissant dans l’incertitude les Syriens résidant en Turquie.

Traduit de l’anglais (original).

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