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Nicolas Sarkozy appelle la France à ne « pas bâtir une amitié artificielle » avec l’Algérie

Quelques jours avant la parution de son nouveau livre, l’ancien président français met en garde contre la dégradation des relations avec le Maroc qu’implique selon lui tout rapprochement avec l’Algérie
Pour l’ancien président français Nicolas Sarkozy (à gauche sur cette photo prise lors de sa rencontre avec le roi du Maroc Mohammed VI à Rabat le 22 juin 2015), la politique de rapprochement d’Emmanuel Macron vis-à-vis de l’Algérie « nous éloigne du Maroc. Nous risquons de tout perdre. Nous ne gagnerons pas la confiance de l’Algérie, et nous perdons celle du Maroc » (AFP/Fadel Senna)

L’ex-président français Nicolas Sarkozy recommande à son successeur Emmanuel Macron de ne pas essayer de « bâtir une amitié artificielle » avec les dirigeants algériens et met en garde contre la dégradation des relations avec le Maroc, dans un entretien mercredi au Figaro.

« J’ai soutenu le président Macron à la dernière présidentielle. Cela ne veut pas dire que nous étions d’accord sur tout », a dit Nicolas Sarkozy, en commentant la sortie le 22 août de son nouveau livre, Le Temps des combats (Fayard).

« N’essayons pas de bâtir une amitié artificielle avec des dirigeants algériens qui utilisent systématiquement la France comme bouc émissaire pour masquer leurs propres défaillances et leur déficit de légitimité », ajoute-t-il.

« Ils la refuseront toujours. Ils ont trop besoin de détourner l’attention de l’échec dans lequel ils ont plongé leur pays en accusant régulièrement la France de tous les maux », poursuit-il.

Emmanuel Macron cherche à opérer un rapprochement avec l’Algérie, en forme de réconciliation historique, qui devait notamment se concrétiser au printemps par une visite d’État en France du président algérien Abdelmadjid Tebboune.

« [Les dirigeants algériens] ont trop besoin de détourner l’attention de l’échec dans lequel ils ont plongé leur pays en accusant régulièrement la France de tous les maux »

- Nicolas Sarkozy

Prévue initialement début mai, elle avait été une première fois reportée durant la deuxième quinzaine de juin. Des fuites, rapportées par les médias hexagonaux, évoquaient des dossiers « pas encore prêts ».

Selon des diplomates français qui s’étaient confiés à Middle East Eye sous le couvert de l’anonymat, aucun dossier susceptible d’être présenté lors de cette visite d’État n’était « muri », notamment dans le champ de la coopération bilatérale.

Du côté algérien, on pointait du doigt des atermoiements français dans des dossiers sensibles en Algérie, comme les essais nucléaires effectués par la France au début des années 1960 dans le Sahara, dans les conséquences sanitaires se font encore sentir aujourd’hui.

Jamais officiellement annoncée, cette visite n’a à ce jour pas pu être programmée, signe de malentendus persistants entre les deux pays. Le 6 août, le président algérien a toutefois assuré à la télévision algérienne que la visite était « toujours maintenue » mais qu’il en attendait le programme de la part de la présidence française.

« Une visite d’État a des conditions et doit déboucher sur des résultats. Ce n’est pas une visite touristique », avait-il ajouté.

« Nous risquons de tout perdre »

Dans son entretien au Figaro, Nicolas Sarkozy s’inquiète de l’impact de ces efforts vis-à-vis d’Alger dans la relation avec le Maroc, qui traverse elle aussi une période de grandes difficultés depuis la décision de Paris en septembre 2021 de réduire de 50 % le quota de visas octroyés aux Marocains et aux Algériens et de 30 % celui accordé aux Tunisiens.

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En plus de la crise des visas, plusieurs controverses ont émaillé la relation franco-marocaine, en particulier l’affaire Pegasus, selon laquelle le Maroc aurait espionné Emmanuel Macron et plusieurs de ses ministres avec le logiciel espion israélien.

L’ambigüité de Paris vis-à-vis du conflit au Sahara occidental est une autre source de crispation à Rabat.

Pour Nicolas Sarkozy, la politique actuelle de la France vis-à-vis d’Alger aggrave ces tensions. « Ce tropisme nous éloigne du Maroc. Nous risquons de tout perdre. Nous ne gagnerons pas la confiance de l’Algérie, et nous perdons celle du Maroc », a jugé l’ex-président français.

Nicolas Sarkozy appelle par ailleurs, comme la droite et l’extrême droite françaises, à une révision des accords de 1968 qui prévoient, sur le papier, des avantages pour les Algériens qui souhaitent s’installer en France.

Pour l’ancien chef d’État, cette révision « est devenu[e] indispensable. Les autorités algériennes bloquent le retour de nombre de leurs ressortissants [faisant l’objet d’Obligations de quitter le territoire français (OQTF) parce qu’entrés illégalement en France] et dans le même temps, laissent partir ceux qui le veulent. Cela n’est plus possible ».

La France a « laissé tomber le dossier libyen »

Nicolas Sarkozy déplore également auprès du Figaro que la France ait selon lui « laissé tomber le dossier libyen » après l’intervention militaire qu’il avait impulsée, au sein d’une coalition internationale dirigée par l’OTAN, au moment du soulèvement de la population libyenne contre le dirigeant Mouammar Kadhafi au printemps 2011.

Nicolas Sarkozy assure d’ailleurs ne pas avoir ordonné l’élimination du dictateur libyen. « Cette polémique indigne s’est effacée devant les faits », affirme-t-il. « Bien plus tard, le clan Kadhafi s’est vengé en prétendant avoir financé ma campagne » en 2007, ajoute-t-il à propos d’une des affaires judiciaires dans lesquelles l’ancien chef de l’État est impliqué.

Les accusations de Nicolas Sarkozy concernant la politique algérienne de son successeur Emmanuel Macron rappellent celles de Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger (entre 2002 et 2012 puis entre 2017 et 2020), qui prône depuis quelques années la fermeté de la diplomatie française face à l’Algérie.

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Dans une tribune publiée le 8 janvier dernier dans Le Figaro, intitulée « L’Algérie s’effondre, entraînera-t-elle la France dans sa chute ? », il concluait que « le régime [algérien] a[vait] montré son vrai visage : celui d’un système militaire brutal, tapi dans l’ombre d’un pouvoir civil […] obsédé par le maintien de ses privilèges et de sa rente ».

Pour Xavier Driencourt, qui fut aussi directeur général de l’administration du Quai d’Orsay et chef de l’Inspection générale des affaires étrangères, aujourd’hui à la retraite, cette situation devrait alerter la France et Emmanuel Macron.

Un an plus tôt, à l’occasion de la sortie de son livre L’Énigme algérienne, tiré de huit années d’expérience à Alger, il déclarait dans un entretien avec l’AFP : « Les Algériens ne comprennent que le rapport de force. Il faut que nous aussi on ait un discours qui soit plus clair. »

« Il faut qu’on ait une position moins timorée, beaucoup plus forte », affirmait le diplomate. « Nous avons trop souvent tendu l’autre joue après avoir reçu une gifle. »

Dans une lettre ouverte publiée le 7 août dernier également dans Le Figaro, près d’une centaine de parlementaires issus de plusieurs bords politiques ont eux aussi appelé le président Macron « à remettre à plat la politique de la France en Afrique ».

« Au Maroc, les atermoiements français sur le Sahara [occidental] (alors que l’Espagne et l’Allemagne ont reconnu la souveraineté marocaine) et la politique d’équilibriste du Quai d’Orsay avec l’Algérie poussent le Palais royal à chercher ailleurs qu’à Paris des partenaires militaires ou économiques », ont-ils prévenu. 

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