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Les orphelins de Ghada, Palestinienne tuée « par erreur » par un soldat israélien

Partiellement aveugle, Ghada Sabateen a été abattue par des soldats israéliens, qui ont évoqué une « erreur ». Veuve, elle laisse six orphelins derrière elle
Houria Sabateen, dont la fille a été abattue par un soldat israélien le 10 avril, auprès de ses petits-enfants près de Bethléem en Cisjordanie occupée (AFP/Hazem Bader)
Houria Sabateen, dont la fille a été abattue par un soldat israélien le 10 avril, auprès de ses petits-enfants près de Bethléem en Cisjordanie occupée (AFP/Hazem Bader)
Par AFP à Husan, PALESTINE OCCUPÉE

Il y a des jours qui changent des vies comme ce dimanche d’avril où Ghada Sabateen est partie rendre visite à un oncle. Tuée « par erreur » par un soldat israélien, elle laisse derrière elle six orphelins et un message : l’éducation triomphera de la haine.

Attaques à Tel Aviv, opérations en Cisjordanie, assauts au couteau contre des soldats, confrontations musclées à Jérusalem, Ghada pensait être loin des tensions lorsqu’elle a quitté à pied la résidence familiale de Husan, un village en bordure de Bethléem.

Entre incompréhension et colère

Husan n’est pas un haut lieu de tensions en Cisjordanie occupée. Les affiches des devantures des commerces locaux sont écrites à la fois en arabe et en hébreu car nombre de colons israéliens des environs viennent y faire leurs courses, sans causer de problèmes.

A l’entrée du village, des soldats israéliens se tiennent en permanence sur un petit îlot bétonné qui fait figure de check-point. 

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Le 10 avril à la mi-journée, Ghada, 45 ans, vêtue d’une thob (une longue tunique), et le visage ceint d’un hijab, rentre de sa visite chez son oncle et marche à proximité de l’îlot lorsqu’un soldat tire des coups de semonce.

Ghada, qui a des problèmes de vue et ne parle pas hébreu, panique mais continue de marcher. Un soldat ouvre le feu sur ses jambes. Ghada s’effondre. La scène est filmée par un reporter de la télévision palestinienne se trouvant à proximité. 

Après de longues minutes d’attente, elle est transférée par le Croissant-Rouge palestinien dans un hôpital de la ville voisine de Beit Jala, où les médecins constatent qu’elle s’est vidée de son sang.

Ghada n’avait ni veste explosive ni arme ni couteau sur elle. Et la famille navigue depuis entre incompréhension et colère.

« Ma soeur s’est rendue sur place et a demandé à un soldat en hébreu “avait-elle fait quelque chose de mal ?” », rapporte la mère de Ghada, Houria Sabateen, 69 ans.

« Le soldat a répondu : “Non.” Alors elle a rétorqué : “Pourquoi avoir ouvert le feu sur elle dans ce cas ?!” Et le soldat a répondu : “Désolé.” » 

« Ils sont devenus orphelins. Et moi je suis vieille, et j’ai peur pour eux quand ils sortent, à cause de l’armée, je voudrais les nourrir, leur montrer la vie. J’ai peur pour leur avenir »

- Houria Sabateen, mère de la défunte

Autour d’elle, Omar, Jamila, Mohammed et Moustafa, quatre des six enfants de Ghada, s’alignent sur les canapés du salon, les regards vissés au plancher. 

« Ils sont devenus orphelins. Et moi je suis vieille, et j’ai peur pour eux quand ils sortent, à cause de l’armée, je voudrais les nourrir, leur montrer la vie. J’ai peur pour leur avenir », souffle Houria, qui console son petit-fils, Moustafa, « brisé » depuis ce dimanche d’avril.

« En perdant ma mère, c’est comme si la vie n’avait plus de sens. C’est elle qui nous réveillait le matin, c’est elle qui nous accueillait à notre retour de l’école, c’est elle qui prenait soin de nous [...] elle était tout, elle ne peut être remplacée », s’émeut Moustafa, déjà sage à 15 ans.

Et d’évoquer les effluves du maqloubé, plat traditionnel de riz et de viande mijoté par Ghada, et les leçons de mathématiques par lesquelles elle « me faisait tout de suite tout comprendre ».

L’armée israélienne s’est excusée pour son « erreur »

Issue d’une famille de scientifiques, elle-même diplômée en maths à l’université de Bethléem, Ghada avait passé une quinzaine d’années en Jordanie où elle a enseigné.

Lorsque son mari est mort subitement il y a quatre ans, Ghada est rentrée à Husan avec leurs enfants. Elle préparait les repas, suivait les devoirs, lisait le Coran, rendait visite aux membres de la famille élargie, donnait à l’occasion des leçons privées. 

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« C’était une femme indépendante, paisible, cultivée, et qui ne s’intéressait pas du tout à la politique », relate Rafaat, son frère, qui dit avoir reçu des excuses de l’armée israélienne pour leur « erreur ». 

Interrogée par l’AFP, l’armée israélienne a  indiqué avoir ouvert une enquête et affirmé que Ghada avait eu un comportement « suspect » aux yeux des soldats.

Fait rare, le chargé américain pour les Affaires palestiniennes, George Noll, a appelé la famille Sabateen pour présenter ses condoléances pour ce décès.

Après la mort de Ghada, les heurts nocturnes se sont multipliés dans la région de Husan. Un adolescent, Qusay Hamamra, qui a lancé selon l’armée un cocktail Molotov vers des soldats, a été tué par les forces israéliennes.

Mais Houria a dit qu’elle inculquerait autre chose aux enfants de Ghada : « Si nous voulons nous battre contre Israël, il faut le faire par l’éducation, la culture [...] on ne peut rester dans la haine. Si j’aime Ghada, je dois inculquer cela à ses enfants ».

Par Guillaume Lavallée.

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