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Combats au Soudan : où est Omar el-Béchir ?

El-Béchir, qui a dirigé le Soudan pendant 30 ans, était détenu à la prison de Kober, dont des milliers de prisonniers se sont évadés ce week-end
L’ancien président soudanais Omar el-Béchir détenu dans une cellule du palais de justice de Khartoum en 2019 (Reuters)

Le sort de l’ancien président soudanais Omar el-Béchir est incertain après que des milliers de détenus de la prison de Kober, l’établissement de haute sécurité dans lequel il se trouvait depuis 2019, se sont évadés au cours du week-end.

Deux prisonniers ont déclaré à Middle East Eye qu’ils s’étaient échappés de Kober dimanche, avec des milliers d’autres codétenus, après l’intensification des combats autour de la prison. Ils n’ont pas été en mesure de dire si el-Béchir s’était également échappé ou avait été transféré.

Les médias locaux ont publié une vidéo montrant des prisonniers en train de sortir de la prison de Kober et des images d’affrontements autour de l’établissement dimanche. On y voit des personnes vêtues de l’uniforme blanc de la prison marcher dans une ruelle, tout en portant leurs affaires.

Les prisonniers avaient incendié deux véhicules de garde et protesté contre le manque de nourriture et d’eau. MEE n’a pas pu vérifier ces informations de manière indépendante.

Des sources au Soudan et aux États-Unis ont déclaré à Middle East Eye qu’elles avaient entendu dire qu’el-Béchir avait été déplacé par les Forces armées soudanaises (FAS) du général Abdel Fattah al-Burhan, sans toutefois être en mesure de confirmer cette information.

Une source policière anonyme qui s’est entretenue avec Sudans Post, une publication basée au Soudan du Sud, a affirmé qu’el-Béchir et d’autres membres de son administration avaient été transférés hors de la prison de Kober vers un lieu sûr, après que des hommes armés qui appartiendraient aux Forces de soutien rapide (FSR) eurent attaqué des gardiens de prison pour libérer des détenus.

« La police a pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de l’ancien président Omar el-Béchir et des membres de son régime, qui ont été transférés en lieu sûr. Cette mesure vise également à les empêcher de fuir de prison », a déclaré la source policière.

Middle East Eye a sollicité un commentaire du porte-parole de la police soudanaise.

Le retour de la vieille garde

El-Béchir, un général de brigade arrivé au pouvoir lors d’un coup d’État militaire soutenu par les islamistes en 1989, a dirigé le Soudan pendant 30 ans. Il a été évincé lors d’un soulèvement populaire en avril 2019 et fait face à des accusations de corruption et à la peine de mort, s’il est reconnu coupable, pour sa participation à ce coup d’État.

L’homme de 79 ans fait également face à des mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) pour crimes contre l’humanité, transfert forcé, torture et viol. Une source au tribunal à La Haye a déclaré à MEE que la situation au Soudan était « très mauvaise pour [leur] cas ».

MEE a également approché la CPI pour obtenir un commentaire officiel.

Dimanche soir, des reportages et des séquences vidéo montrant des détenus s’échapper de la prison de Kobar ont conduit à des spéculations sur le sort de l’ancien autocrate.

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Khartoum est le théâtre de violents affrontements entre les FAS et les FSR depuis le 15 avril. Les deux entités militaires sont dirigées par des hommes qui ont servi el-Béchir pendant des années, avant d’aider à le destituer du pouvoir en 2019.

Burhan, dirigeant de facto du Soudan et chef des FAS, a été pendant de nombreuses années l’un des lieutenants fiables d’el-Béchir, à la fois littéralement et politiquement. Sa carrière militaire sous l’ancien président a été définie par des rôles de premier plan joués au Soudan du Sud, au Darfour et au Yémen où, en tant que chef des forces armées, il a contribué à approvisionner la coalition dirigée par l’Arabie saoudite en mercenaires soudanais.

Mohamed Hamdan Dagalo, le chef des FSR mieux connu sous le nom de Hemetti, a été amené au centre de l’État soudanais par el-Béchir, qui a utilisé les combattants de cet ancien chef de guerre pour réprimer brutalement une rébellion contre son pouvoir au Darfour, dans l’ouest reculé du Soudan.

Les FSR, qui ont été créées sous le contrôle des services de renseignement d’el-Béchir en 2013, sont issues des milices janjawids, lesquelles sont accusées de meurtres, de torture et de viols systématiques au Darfour. En 2017, el-Béchir a placé les paramilitaires sous son contrôle direct, surnommant souvent Hemetti « ma protection ».

Alors que Burhan et Hemetti ont facilité la destitution d’el-Béchir en 2019, les alliés islamistes de l’ancien dictateur sont revenus à des positions d’influence au Soudan depuis le coup d’État militaire d’octobre 2021 mené à l’instigation des deux généraux. Beaucoup au Soudan considèrent la libération d’el-Béchir comme la prochaine étape logique dans la réaffirmation du pouvoir de la vieille garde.

Emplacements stratégiques

Kober, la zone dans laquelle se trouve la prison, est d’une grande importance stratégique. Elle se trouve à proximité du quartier aisé de Kafouri dans le nord-est de Khartoum, où les ambassades étrangères ont leurs bureaux, et de l’une des portes de la capitale, au nord du Nil Bleu.

Kafouri est également l’endroit où se trouve la maison d’el-Béchir, que les manifestants ont prise d’assaut en avril 2019. Les derniers rapports sur son sort remontent à février et décembre, lorsqu’il a été transféré de prison à l’hôpital pour des tests médicaux.

El-Béchir, son adjoint Bakri Hassan Saleh et Abdel Rahim Mohamed Hussein, l’ancien ministre de la Défense, parmi d’autres dirigeants de l’ancien Congrès national, le parti interdit en 2019, ont passé près de huit mois à l’hôpital pour « traitement de santé spécial » conformément à une ordonnance du tribunal. En novembre 2022, ils ont été transférés à Kober.

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Les FSR ont condamné l’évasion de la prison, déclarant dans un communiqué sur Twitter que « les putschistes et les extrémistes [voulaient] faire reculer la roue du temps en rétablissant le régime de gouvernement dans le pays ».

« Aujourd’hui, ce plan est devenu plus apparent que jamais, à travers ce qui a circulé dans les médias sur le fait que les putschistes ont procédé à une évacuation forcée de tous les prisonniers de la prison de Kober, qui comprend tous les dirigeants de l’ancien régime. »

Les FAS et les FSR sont en conflit depuis le 15 avril : l’armée contrôle l’air et le groupe paramilitaire maintient une plus grande présence dans la rue. Ils se sont battus autour de ponts stratégiques, d’aéroports, de bases militaires et de bureaux gouvernementaux.

Plus de 400 personnes ont perdu la vie depuis le début du conflit, tandis que des milliers de Soudanais ont fui ailleurs dans le pays ou à l’étranger.

Traduit de l’anglais (original).

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