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Des dirigeants de l’opposition tunisienne convoqués pour des allégations de terrorisme « à caractère politique »

Ali Larayedh, ancien Premier ministre, et Rached Ghannouchi, ex-président du Parlement tunisien dissous et président du mouvement Ennahdha, ont été entendus par la police dans une affaire « d’envoi présumé de djihadistes en Syrie et en Irak »
Ali Larayedh, ancien Premier ministre tunisien et secrétaire général du parti islamo-conservateur Ennahdha, se présente au bureau du procureur chargé de la lutte contre le terrorisme, le 18 septembre à Tunis (AFP)
Ali Larayedh, ancien Premier ministre tunisien et secrétaire général du parti islamo-conservateur Ennahdha, se présente au bureau du procureur chargé de la lutte contre le terrorisme, le 18 septembre à Tunis (AFP)

En Tunisie, la police a ciblé deux dirigeants de l’opposition dans le cadre de la nouvelle vague de répression contre les détracteurs du président Kais Saied.

Rached Ghannouchi, 81 ans, ancien président du Parlement tunisien dissous et président du mouvement Ennahdha, a été convoqué par la police pour des accusations de soutien au « terrorisme ». 

Il doit de nouveau se présenter mercredi devant le pôle judiciaire antiterroriste après avoir été interrogé par une unité de la police dans une affaire « d’envoi présumé de djihadistes en Syrie et en Irak ».

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Rached Ghannouchi devait initialement être interrogé lundi mais il a attendu pendant douze heures dans les locaux de l’unité policière sans être entendu avant que son audition ne soit reportée, selon son mouvement qui a dénoncé « une forme de torture ».

La police antiterroriste du pays a également arrêté Ali Larayedh, qui a été Premier ministre de 2013 à 2014.

Également haut responsable du parti Ennahdha, Ali Larayedh a été arrêté pour les mêmes soupçons qui touchent Rached Ghannouchi.

Les autorités tunisiennes n’ont pas encore expliqué pourquoi elles ont convoqué Rached Ghannouchi, qui fait l’objet d’une enquête depuis juin sur des allégations de blanchiment d’argent en lien avec des fonds étrangers, des allégations démenties par l’intéressé.

En juillet, il a comparu devant un tribunal à la suite d’une enquête pour blanchiment d’argent, dénoncée pour son caractère politique.

« Le président Saied utilise le bureau du procureur et les tribunaux civils et militaires pour cibler ses opposants présumés par le biais de procédures pénales à caractère politique », affirme à Middle East Eye Said Benarbia, directeur du programme MENA de la Commission internationale de juristes.

« Il transforme le système judiciaire en un outil de répression au lieu d’en faire un garde-fou de l’État de droit. »

Une « mafia qui porte des armes légalement »

Depuis qu’il a suspendu le Parlement l’an dernier et s’est mis à gouverner par décret, le chef de l’État a fait reculer les acquis démocratiques difficilement obtenus, se servant du mécontentement croissant de la population à l’égard de la situation économique pour s’emparer du pouvoir

Un référendum constitutionnel organisé le 25 juillet à l’initiative de Kais Saied a consolidé son emprise sur le pays. Environ neuf millions de Tunisiens pouvaient voter, mais le taux de participation final a été d’environ 30 %

« En ouvrant de telles enquêtes contre des opposants présumés au gouvernement, y compris des journalistes, la Tunisie rejoint le cercle des États répressifs »

– Said Benarbia, directeur du programme MENA de la Commission internationale de juristes

« En ouvrant de telles enquêtes contre des opposants présumés au gouvernement, y compris des journalistes, la Tunisie rejoint le cercle des États répressifs qui se servent de mesures antiterroristes comme prétexte pour réprimer la dissidence et l’exercice légitime des droits et libertés fondamentaux », indique-t-il à MEE

À mesure qu’il gagne en assurance, Kais Saied s’en prend de plus en plus à un large éventail d’activistes, de journalistes et d’humoristes. 

En août, l’humoriste tunisien Lotfi Abdelli a annoncé son intention de quitter le pays en raison d’une répression croissante de la liberté d’expression.

L’humoriste a déclaré sur Instagram que compte tenu des menaces croissantes pesant sur sa propre sécurité et celle de sa famille, il lui était difficile de continuer de vivre dans le pays. Il a également décrit l’appareil de sécurité du pays comme une « mafia qui porte des armes légalement ».

Après le message de détresse de Lotfi al-Abdali, un tribunal militaire a également condamné le journaliste de premier plan Salah Attia à trois mois de prison à l’issue d’un procès que les organisations de défense des droits de l’homme ont qualifié de « parodie de justice ».

Rédacteur en chef du site d’information indépendant local Al-Ray al-Jadid, il est incarcéré depuis juin après avoir déclaré à Al Jazeera que l’UGTT, la puissante centrale syndicale, était en contact régulier avec l’armée et Kais Saied.

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Même après une année au pouvoir, les difficultés économiques de la Tunisie, loin d’être résolues, n’ont fait que s’aggraver. 

Au début du mois, la mort d’un jeune Tunisien, tué en plein jour par un agent des douanes alors qu’il était soupçonné de faire de la contrebande de cigarettes, a suscité un mouvement de colère généralisé.

La semaine dernière, le gouvernement tunisien a augmenté les prix des bouteilles de gaz de cuisine et du carburant dans le cadre d’un plan de réduction des subventions énergétiques, un changement de politique souhaité par les prêteurs internationaux.

La hausse des prix du carburant, la quatrième enregistrée cette année, intervient alors que le déficit budgétaire du pays s’aggrave en raison de l’appréciation du dollar et de la forte augmentation des prix des céréales et de l’énergie.

Alors que la Tunisie traverse sa pire crise financière, le pays cherche désormais à convenir d’un nouveau programme de financement avec le Fonds monétaire international.

Au début du mois, Hamish Kinnear, analyste pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord chez Verisk Maplecroft, a indiqué à Middle East Eye que la Tunisie était l’un des pays de la région les plus dépendants des importations de denrées alimentaires et de carburant et les plus exposés « aux prix internationaux élevés ». 

Il a également prévenu que la Tunisie, largement considérée comme l’épicentre du Printemps arabe, restait « vulnérable au risque de troubles civils ».

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation et actualisé.

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