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Expulsion d’étudiants iraniens par l’Ukraine en réaction aux ventes de drones à la Russie par l’Iran

Ces étudiants expliquent à MEE que le renouvellement de leur visa a été refusé et qu’on leur a donné dix jours pour quitter l’Ukraine
Des Iraniens et des Ukrainiens se rassemblent devant l’ambassade d’Ukraine à Téhéran pour témoigner leur soutien à Kyiv et manifester contre l’invasion russe, le 26 février 2022 (AFP)
Par Correspondant de MEE à TÉHÉRAN, Iran

L’Ukraine a commencé à expulser des étudiants iraniens du pays en réaction aux exportations alléguées de drones à la Russie, a appris Middle East Eye.

Des étudiants iraniens rapportent à MEE que les agents de l’immigration ukrainiens ont cité ce motif pour justifier leur refus de proroger les visas de ces étudiants.

« L’agent de l’immigration m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : on vous refuse parce que vous êtes Iranien et que votre pays a donné des drones à la Russie »

- Ahmad*, étudiant iranien en médecine

« L’agent de l’immigration était très en colère et nous a dit que notre visa n’allait pas être renouvelé à cause “des drones et des officiers de l’armée envoyés par votre pays pour entraîner les Russes” », relate Farid*, étudiant iranien.

« Vous êtes responsable de l’activité de votre gouvernement », aurait déclaré l’agent aux étudiants.

Farid ajoute que l’ambassade iranienne s’est excusée auprès des étudiants et a indiqué qu’elle ne pouvait rien faire.

« Les agents de l’immigration ukrainiens nous ont dit de quitter le pays dans les dix jours », précise-t-il.

Ahmad*, étudiant en médecine qui est désormais en Iran, raconte à MEE qu’il a également reçu l’ordre de quitter le pays dans les dix jours.

« Ils m’ont dit : “votre demande a été rejetée”. »

« L’agent de l’immigration m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : “On vous refuse parce que vous êtes Iranien et que votre pays a donné des drones à la Russie”. »

Par ailleurs, Ahmad soutient qu’un certain nombre d’étudiants ont été emmenés par la sécurité nationale et interrogés.

Un autre étudiant expulsé a confirmé cela, mais Ahmad précise que ceux qui ont été emmenés ne souhaitent pas parler de la façon dont ils ont été traités.

« Avec d’autres étudiants iraniens, nous avons même demandé à l’université d’assister aux cours en ligne depuis notre pays », indique Farid.

« Mais quelques jours plus tard, on nous a dit : “Ce n’est pas possible car la direction générale de l’immigration et le ministère des Affaires étrangères nous ont dit que vous deviez être expulsés”. »

Diplomatie des drones

Depuis le début de la guerre russe contre l’Ukraine, Téhéran a pris le parti du Kremlin tout en maintenant la communication avec les deux camps, exhortant à la paix à travers le dialogue.

Fin août, le ministère iranien des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian s’est rendu en Russie dans le but de servir d’intermédiaire entre Moscou et Kyiv.

Dans le même temps, Mohammad Jamshidi, responsable du bureau du président iranien, a tweeté qu’« un dirigeant d’Europe de l’Ouest a[vait] demandé au président [Ebrahim Raïssi] de servir d’intermédiaire [entre l’Europe et Moscou]. Après une série de consultations, une initiative de paix a été envoyée à Moscou ainsi qu’un important message du ministre des Affaires étrangères, M. Abdollahian ».

Cependant, il n’y a pas eu de résultats concrets.

Dans le même temps, des médias ont signalé que l’Iran avait vendu des drones kamikazes à la Russie.

Le 17 septembre, le Wall Street journal a écrit que la Russie avait réussi à infliger des dommages significatifs aux forces ukrainiennes à l’aides des drones iraniens selon des propos attribués à des commandants ukrainiens.

Par conséquent, le gouvernement ukrainien a annoncé « la révocation de l’accréditation » de l’ambassadeur iranien.

« En réaction à la fourniture d’armes à la Russie par l’Iran pour leur utilisation dans sa guerre contre l’Ukraine, nous annonçons aujourd’hui la révocation de l’accréditation de l’ambassadeur iranien à Kyiv et le retrait significatif du personnel diplomatique de l’ambassade iranienne », a tweeté Oleg Nikolenko, porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères, le 23 septembre.

Trois jours plus tard, le journaliste Viktor Kovalenko a écrit sur son compte Twitter que les forces armées ukrainiennes avaient attaqué une base russe dans la ville occupée de Skadovsk dans la province de Kherson, tuant une vingtaine d’instructeurs militaires venus d’Iran qui enseignaient comment opérer des drones Shahed-136 à une quarantaine d’habitants et une vingtaine de Russes.

Si les responsables ukrainiens sont persuadés que l’Iran a vendu des drones kamikazes à la Russie, Téhéran dément ces allégations.

« Ça me rend fou »

Peu après le début de la guerre en Ukraine, le ministère iranien des Sciences signalait que 1 424 étudiants iraniens faisaient leurs études dans le pays.

Le 2 mars, le gouvernement iranien a appelé ses ressortissants à quitter le pays.

De nombreux étudiants ont toutefois donné la priorité à la fin de leurs études, chose qui semble aujourd’hui impossible.

« Cela faisait cinq ans que j’étudiais à l’Université nationale ukrainienne mais ils nous ont pratiquement expulsés de leur pays, moi et d’autres, pour quelque chose qui n’a rien à voir avec nous », déplore Farid.

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« Ils ont mis un tampon rouge sur une page de notre passeport. L’université nous a donc dit qu’elle ne pouvait rien faire à part nous expulser. »

Le renouvellement du visa d’Ali*, étudiant iranien à l’Université nationale Taras-Chevchenko, a également été refusé et son passeport a lui aussi été tamponné de rouge.

« En mettant ce tampon rouge dans notre passeport, ils nous disent officiellement de ne pas mettre le pied sur le sol ukrainien pour les trois prochaines années », explique-t-il à MEE.

Il dit avoir demandé de l’aide auprès de l’université mais que son personnel s’est déclaré impuissant.

« Ils ont simplement dit : “Ce n’est pas notre décision, elle a été prise par d’autres” », raconte-t-il.

« Il ne me restait plus qu’un an à faire pour finir ma licence et ça me rend fou. »

Middle East Eye a sollicité une réaction du ministère ukrainien de l’Éducation mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.

MEE a également sollicité toutes les universités mentionnées dans cet article, ses demandes sont restées lettre morte.

* Les noms ont été changés pour des raisons de sécurité.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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