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YEMA, une plateforme VOD pour la promotion du cinéma d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient

Le site se veut une alternative aux géants du streaming. Son but : mettre en valeur des productions qui ne sont pas suffisamment distribuées dans les salles de cinéma en France. Trois cinéphiles sont aux commandes
Sur Yema, la plateforme VOD consacrée « à la crème des cinémas orientaux », on peut par exemple trouver le célèbre film Caramel de Nadine Labaki (Bac Films)
Sur Yema, la plateforme VOD consacrée « à la crème des cinémas orientaux », on peut par exemple trouver le célèbre film Caramel de Nadine Labaki (Bac Films)
Par Samia Lokmane à PARIS, France

Elles sont trois et toutes fans de cinéma : Léa Taieb, journaliste, Juliette Gamonal, responsable marketing dans l’audiovisuel, et Yasmine Djemai, chargée de programmation et d’éditorialisation.

Le 9 juin, elles ont lancé YEMA, une plateforme VOD francophone spécialisée dans la diffusion des films, des séries et des documentaires venus d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et du Golfe.

Le site, qui propose des séances à la carte – payantes (avant la mise en place des abonnements d’ici à la fin de l’année) –, a été conçu comme une alternative aux géants du streaming tels Netflix ou Amazon.

Son but : donner une plus grande visibilité à la production audiovisuelle maghrébine et orientale et la faire découvrir à un large public.

« Le projet a émergé dans notre esprit au moment du confinement alors que tout le monde était coupé du monde extérieur », relate Juliette Gamonal à Middle East Eye.

Une région qui fait beaucoup parler d’elle

Privées de cinéma et de films orientaux qu’elles apprécient tout particulièrement, elle et Léa Taieb (Yasmine Djemai les rejoindra plus tard dans l’aventure) murissent l’idée d’une plateforme de niche qui centralise tous les films qui ne sont pas suffisamment mis en valeur sur les sites VOD généralistes.

« Sur ces plateformes, la programmation massive est dictée par les angles des algorithmes. Il n’y a aucun travail d’éditorialisation », explique Juliette Gamonal, qui ajoute que les films orientaux et maghrébins ne trouvent pas tous leur place en salle de cinéma alors qu’ils sont le témoin d’une production cinématographique prolifique, largement développée depuis les années 2000.

« Le projet a émergé dans notre esprit au moment du confinement alors que tout le monde était coupé du monde extérieur »

- Juliette Gamonal

Pour les fondatrices de YEMA, il était également important d’évoquer autrement, par un biais plus artistique, une région du monde qui fait beaucoup parler d’elle dans l’actualité.

Pour ce faire, la plateforme a choisi de prendre le téléspectateur par la main et de lui offrir une palette de choix éclectique à profusion.

« Nous avons créé un catalogue qu’on a voulu le plus riche et le plus varié possible en matière de genres. Il y a des documentaires, de la fiction avec des films qui représentent les différents pays de la zone, récents et plus anciens, déjà sortis au cinéma ou qui sont des exclusivités. Je pense notamment au film Chroniques algériennes du jeune réalisateur algérien Zak Kedzi », précise Juliette Gamonal.

Pour son lancement, YEMA propose plusieurs longs métrages. Certains ont été primés dans des festivals internationaux, comme Les Bienheureux de Sofia Djama (il a obtenu plusieurs distinctions, entre autres à la Mostra de Venise en 2017, et le prix de la meilleure réalisatrice au festival international du film de Dubaï) et Papicha de Mounia Meddour (César 2020 du meilleur premier film et du meilleur espoir féminin, meilleur film arabe au festival du film d’El Gouna 2019).

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D’autres films plus récents sont également à l’affiche. Ils représentent une fenêtre sur les drames qui se sont joués ou se jouent au Proche-Orient. C’est le cas de Liban 1982, un film d’atmosphère sorti en novembre 2020 qui retrace une journée d’école au moment où l’armée israélienne envahit le pays, ou 200 mètres, un road movie restituant l’enfer d’une famille séparée par le mur construit par Israël en Cisjordanie occupée.

Le catalogue comporte aussi des documentaires, dont Homeland Irak année zéro, une production franco-irakienne qui chronique pendant une année et demie la vie quotidienne avant et après l’invasion américaine de 2003, Tahrir, place de la Libération, une rétrospective du soulèvement des Égyptiens en 2011 contre le régime de Moubarak, ou encore Iranien, le récit d’une cohabitation surprenante entre un athée et des mollahs.

Avec une pluie d’images et de sons, YEMA fait voyager. La plateforme présente l’Orient dans sa grande diversité, ses contrastes et ses imaginaires.

Transmettre des récits

Ce nom n’a d’ailleurs pas été choisi au hasard. En arabe, il désigne la mère ou la grand-mère, une figure tutélaire qui raconte des histoires et partage son savoir.

« Yema transmet des récits aux générations suivantes. Elle assure la survie des histoires, des personnages et des cultures. Elle est la garante de nos mémoires, de nos créations », résument les fondatrices du site.

En plus des productions brutes accessibles en permanence, le site comprend des thématiques. Des films sont choisis chaque mois pour donner un coup de projecteur sur un sujet ou un pays en particulier. Des regards d’artistes et d’historiens sur la sélection sont également proposés.

Ainsi, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, YEMA a mis à l’honneur en juin le cinéma algérien avec des films et des interviews de réalisateurs comme Azedine Kasri et Zak Kedzi, la cinéaste Sofia Djama ou encore l’historien Benjamin Stora.

« À la rentrée, nous aurons d’autres thématiques en lien avec la condition féminine, la famille, le rire, la musique… À chaque fois, des spécialistes interviendront pour livrer leur propre regard sur les sujets abordés dans les films », précise Juliette Gamonal.

Pour constituer et enrichir la palette de YEMA, ses responsables ont commencé par se mettre en relation avec des distributeurs français qui disposent dans leurs catalogues de films du Maghreb et du Moyen-Orient. Elles se sont ensuite adressées directement aux réalisateurs et aux producteurs de la région.

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Dans l’avenir, il est aussi question de tisser des liens avec les écoles de cinéma et les réseaux de jeunes cinéastes pour leur proposer de mettre des films (des courts-métrages par exemple) sur la plateforme. Les festivals sont aussi une autre option que YEMA compte exploiter pour dénicher des productions cinématographiques inédites.

Ses fondatrices envisagent par ailleurs de créer des partenariats avec des établissements culturels comme l’Institut du monde arabe (IMA) à Paris ou le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille.

Des projets plein la tête, en somme. Mais pour les réaliser, Juliette Gamonal et ses associées ont besoin de plus de financements. Outre une campagne de crowdfunding toujours en cours qui a totalisé près de 12 500 euros sur un objectif de 6 000 euros, elles souhaitent pouvoir convaincre des investisseurs de mettre de l’argent dans leur projet.

Leur ambition est également de pouvoir sortir des frontières françaises en attirant un public européen plus large. Des téléspectateurs au Maghreb et au Proche-Orient aussi ?

« S’il y a une vraie demande, pourquoi pas. Mais en tant qu’Européennes, on se dit qu’on est plus légitimes pour défendre ce projet en Europe, sachant que dans les pays concernés, il y a des gens qui ont du savoir-faire dans le domaine », répond Juliette Gamonal.

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