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Au Yémen, les rebelles Houthis resserrent l’étau autour des femmes

La société yéménite, bien que profondément conservatrice, a traditionnellement laissé un espace aux libertés individuelles. Mais cela est en train de changer dans les régions contrôlées par les Houthis
Des femmes yéménites, dans une université de la troisième ville du pays, Taez, le 15 décembre 2022 (AFP/Ahmad al-Basha)
Par AFP

Abir al-Maqtari a vu son rêve d’étudier à l’étranger brisé par les rebelles Houthis, un mouvement politico-religieux qui cherche à restreindre les droits des femmes au Yémen, malgré des résistances dans ce pays en guerre.

« J’ai décroché une bourse au Caire, mais les Houthis ne m’ont pas laissée partir de l’aéroport de Sanaa », la capitale aux mains des insurgés depuis 2014, raconte l’étudiante de 21 ans qui dénonce une privation de ses droits « les plus élémentaires ».  

Les rebelles, qui contrôlent de larges pans du territoire et encerclent sa ville d’origine, Taëz, ne l’ont pas non plus autorisée à rejoindre l’aéroport d’Aden (sud). Motif invoqué : l’interdiction pour les femmes de se déplacer, d’une ville à l’autre et à l’étranger, sans un « mahram », un tuteur ou gardien masculin.

Règles rigoristes

Cette règle, caractérisant des régimes rigoristes comme celui des talibans en Afghanistan, a récemment été introduite par les Houthis qui, soutenus par l’Iran, combattent les forces progouvernementales, appuyées par l’Arabie saoudite voisine, depuis 2014. 

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Ce conflit a fait des centaines de milliers de morts et plongé le pays le plus pauvre de la péninsule arabique dans l’une des pires crises humanitaires au monde. 

Venus du Nord, les Houthis se sont constitués en mouvement dans les années 1990 pour lutter contre le pouvoir central accusé de délaisser leur région, avec l’ambition d’instaurer une théocratie zaïdite, les Houthis se réclamant du zaïdisme, une branche de l’islam chiite. 

La société yéménite, majoritairement sunnite, a toujours été conservatrice mais « c’est la première fois qu’une décision limitant la liberté des femmes de circuler émane d’une autorité officielle », affirme Radhya al-Mutawakel, cofondatrice de l’organisation de défense des droits humains Mwatana.

La militante y voit un précédent « très dangereux », pénalisant particulièrement les femmes actives et de nature à limiter leur présence dans la sphère publique.  

Entre Iran et talibans

Les rebelles, appelés aussi Ansar Allah (« partisans de Dieu ») ne communiquent pas sur cette question, mais les mesures arbitraires se multiplient dans les régions sous leur contrôle. 

Plusieurs piscines et salles de sport réservées aux femmes ont été fermées à Sanaa en août, dont celle de Aïcha Ahmed. Son salon de beauté a également été mis sous scellé pendant plusieurs mois. 

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Après des plaintes répétées auprès des autorités et sur les réseaux sociaux, l’entrepreneure a obtenu la réouverture du salon, mais pas de la salle de sport. « Huit employées ont perdu leur travail », déplore-t-elle.

À Hodeida (ouest), autre grande ville aux mains des Houthis, la propriétaire d’un café destiné aux femmes dit s’être battue pour sauver le lieu.

« Nous leur avons dit que nous étions prêtes à respecter toutes leur conditions, et même à porter la burqa afghane s’il le fallait », raconte sous couvert d’anonymat la femme de 38 ans, dont les salariées portent désormais un uniforme très strict. 

Ces mesures visent à satisfaire la branche la plus extrémiste du mouvement, estime Bilqees al-Lahbi, consultante sur les questions de genre au centre de réflexion Sanaa Center for Strategic Studies.  

Les Houthis « s’inspirent à la fois du modèle iranien et de celui des talibans pour faire taire toute opposition et asservir la société », analyse-t-elle.    

Résistance

A Saada (nord), fief des rebelles, et dans certaines petites villes, les femmes n’ont plus le droit de se déplacer seules après 18 heures, y compris pour des urgences médicales, et n’ont plus librement accès à la contraception.   

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Une police de femmes, appelée les « Zainabiyat », y est chargée de faire respecter la discipline dans les lieux exclusivement féminins.

Mais dans les grandes villes, les habitants résistent aux « tentatives de talibanisation de la société », souligne Radhya al-Mutawakel, en particulier à Sanaa, qui abrite une population diversifiée et une nouvelle génération de Yéménites déterminées à défendre leurs droits. 

Des décisions comme le refus de la mixité lors des remises de diplômes à l’université et dans les restaurants, ou encore l’interdiction de la musique pendant les cérémonies, ont suscité un tel tollé que les rebelles ont parfois fait marche arrière. 

« Mais c’est une bataille de longue haleine », observe la militante.

« Nous ne savons pas qui finira par l’emporter […] car en fin de compte, la population est épuisée ».    

Par Sahar Al Attar, avec Amal Mohammad à Hodeida.

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