Algérie : les investisseurs étrangers de nouveau courtisés
Lorsqu’il a décidé, en septembre 2007, de céder l’ensemble des actifs d’Orascom Cement au groupe français Lafarge pour la coquette somme de 10 milliards de dollars, l’homme d’affaires Nassef Sawiris, cadet de la célèbre fratrie de milliardaires égyptiens, ne se doutait certainement pas qu’il allait provoquer une sorte de tsunami économique en Algérie.
Depuis le début des années 2000, les frères Sawiris étaient devenus les enfants chéris du régime algérien. Grâce à l’ouverture aux investissements étrangers, décidée au cours de son premier mandat, par Abdelaziz Bouteflika, c’est un véritable « partenariat privilégié » qui s’était mis en place, favorisé par la proximité entre les deux clans familiaux.
Sawiris ne se doutait certainement pas qu’il allait provoquer une sorte de tsunami économique en Algérie
À elle seule, la holding égyptienne a représenté durant une décennie près de la moitié des investissements étrangers réalisés en Algérie.
Le groupe n’était pas seulement présent dans la téléphonie mobile à travers Orascom Telecom, propriétaire de la marque Djezzy et dirigé par le frère aîné Naguib Sawiris, qui se flattait d’avoir « démocratisé » le mobile en Algérie .
Séisme culturel
Il avait également pris une part importante dans le développement de la pétrochimie algérienne en association avec Sonatrach, ainsi que dans l’installation de plusieurs usines de dessalement d’eau de mer ou encore dans l’acquisition des deux cimenteries publiques de M’sila et Mascara.
Ces dernières cimenteries, qui figuraient dans le lot acquis par le groupe français Lafarge en septembre 2007, vont constituer la pomme de discorde entre les deux familles.
À l’occasion de cette transaction internationale, les décideurs algériens découvrent avec stupeur les nouvelles règles du jeu de la mondialisation économique.
Cette opération de fusion-acquisition devenue relativement banale sur les places financières mondiales provoque en Algérie une sorte de séisme culturel.
Une multinationale, de surcroît d’origine française, s’installe dans le pays sans demander l’autorisation du gouvernement. Impensable.
Pour le clan Bouteflika, c’est une véritable trahison. Les autorités algériennes n’ont même pas été informées de la cession.
En juillet 2008, Abdelaziz Bouteflika, encore au meilleur de sa forme, laisse éclater sa colère dans un célèbre discours prononcé devant les maires algériens. Il dénonce une entreprise « venue investir 700 millions de dollars et qui, au bout de trois ans, a généré un bénéfice de deux milliards de dollars alors que l’Algérie n’a rien gagné ».
La vindicte d’Alger contre Sawiris
La brouille va s’envenimer dans les années qui suivront. Incapables de remettre en cause l’accord entre Orascom et Lafarge, les responsables algériens vont reporter leur vindicte sur le principal fleuron du groupe égyptien dans le pays. Djezzy sera ainsi harcelé pendant des années par le fisc et l’administration algérienne.
Ulcéré, Naguib Sawiris, patron de la holding Orascom, intentera une procédure d’arbitrage international à l’encontre de l’Algérie.
Ses déclarations seront largement reprises par les médias algériens : « Peu importe le temps que cela prendra, j’en fais une question de principe. Le gouvernement algérien m’a fait perdre beaucoup. Ils m’ont empêché d’importer les marchandises dont j’avais besoin pour la société, interdit de rapatrier mes dividendes et de faire de la publicité sur les télévisions publiques, ils ont puni les banques qui me finançaient. Ce n’est pas une manière de traiter des investisseurs étrangers. J’étais en train de construire le premier grand opérateur arabe global. Le gouvernement algérien a fait échouer mon rêve ».
Après de nombreux rebondissements, le contentieux entre la famille Sawiris et les autorités algériennes trouvera seulement son épilogue à la fin de l’année 2014 avec la vente de Djezzy à un tandem formé par l’État algérien et l’opérateur russo-norvégien Vimpelcom. Le clan Sawiris récupérera à cette occasion un joli lot de consolation de plus de 4,5 milliards de dollars.
Patriotisme économique
Les dirigeants algériens ne vont cependant pas en rester là. Finie l’ouverture débridée à l’investissement étranger. L’heure est désormais à un « patriotisme économique » favorisé par l’abondance des pétrodollars.
Finie l’ouverture débridée à l’investissement étranger. L’heure est désormais à un « patriotisme économique » favorisé par l’abondance des pétrodollars
À l’automne 2009, une loi de finances complémentaire (LFC 2009) redéfinit complètement le cadre juridique de l’investissement étranger en Algérie.
La nouvelle législation, destinée à éviter la répétition des mésaventures de l’Affaire Orascom, s’appuie sur deux piliers principaux.
La règle dite du « 49/51 » oblige les investisseurs étrangers à s’associer à un partenaire algérien majoritaire dans le capital.
Le droit de préemption achève de verrouiller un dispositif d’exception. La LFC 2009 énonce que « l’État ainsi que les entreprises publiques économiques disposent d’un droit de préemption sur toutes les cessions de participations des actionnaires étrangers ou au profit d’actionnaires étrangers ».
Réagissant à l’instauration de ce nouveau cadre juridique, le Financial Times, ordinairement peu sensible aux soubresauts de la gouvernance économique algérienne, se fend d’un éditorial au vitriol : « Le message envoyé par les autorités algériennes aux investisseurs internationaux est très clair : nous n’avons pas besoin de vous », écrit l’influent quotidien des milieux d’affaires londonien.
Des IDE en forte baisse depuis 2009
Ce virage économique à forte coloration nationaliste fête ces jours-ci son dixième anniversaire.
Il y a encore quelques mois, un ministre de l’Industrie, Youcef Yousfi, affirmait à propos de la règle du 49/51 qu’elle n’avait « pas beaucoup découragé les investisseurs ». « Ils ont trouvé des accommodements », a-t-il précisé.
Le ministre algérien reprenait ainsi la thèse officielle d’un dispositif juridique désormais accepté par les partenaires internationaux de l’Algérie et qui ne serait plus un obstacle à son attractivité en termes d’investissements directs étrangers (IDE).
Un constat très optimiste à propos des résultats obtenus dans le cadre du « 49/51 » mais qui est contredit par les données officielles elles-mêmes.
Ce sont, tout d’abord, les derniers rapports de la Banque d’Algérie qui ont annoncé successivement des IDE en baisse régulière au cours des dix dernières années. On est ainsi passé d’un pic de 2,7 milliards de dollars en 2009 à 2,2 milliards de dollars en 2010, puis à 1,8 milliard en 2011 et 1,7 milliards en 2012 et 2013.
L’année 2014 avait d’abord marqué le point plus bas de la courbe avec des entrées d’investissements étrangers évaluées à 1,5 milliards de dollars. Mais l’année 2015 fut exceptionnellement mauvaise en affichant un bilan carrément négatif avec des sorties de capitaux supérieures aux entrées en raison de l’opération de rachat de Djezzy par l’État algérien.
La dernière année connue est 2018 : elle confirme la stabilisation du bilan des IDE en Algérie à un niveau proche de 1,4 milliards de dollars. Un montant particulièrement modeste comparé à celui des pays voisins.
En queue du peloton africain et arabe
En matière de flux d’investissements internationaux, les rapports de la CNUCED constituent la principale référence. Pour l’organisation onusienne basée à Genève, l’Algérie, avec un PIB qui est le deuxième ou le troisième du continent se classe seulement en treizième position sur les 54 pays du continent en termes de montant des IDE. Elle reste très loin des plus grands récipiendaires des investissements étrangers à l’échelle africaine.
Plus préoccupant encore, toujours suivant les bilans de la CNUCED sur l’ensemble de la période 2010-2016, le pays a accueilli au total à peine un peu plus de 8 milliards de dollars d’IDE. C’est environ moitié moins que le voisin marocain.
C’est également une « performance » qui place l’Algérie sur cette période à peu près au même rang que la Tunisie, dont le PIB est quatre fois inférieur et à peine au même niveau que Chypre.
Des données nationales et internationales qui dessinent clairement le portrait d’un pays qui sous- performe en comparaison de son potentiel économique.
En marge d’un forum international réuni voici quelque mois à Alger, certains de nos interlocuteurs, banquiers internationaux, n’hésitaient pas à évoquer un véritable « gâchis ».
Le management confié au partenaire étranger
Les autorités algériennes ne se sont pas contentées, au cours des dernières années, d’entretenir un discours de dénégation des effets du nouveau cadre juridique imposé à l’investissement étranger. Elles ont aussi tenté d’en corriger les conséquences les plus pénalisantes par une série d’initiatives qui apparaissent cependant comme insuffisantes et tardives.
Dans une première étape, la quasi-totalité des accords de partenariats conclus dans le cadre de la règle du « 49/51 » ont présenté une caractéristique notable. Ils associaient presque toujours un investisseur étranger privé à… une entreprise publique algérienne.
C’était déjà le cas pour les premiers accords signés, dès 2010, dans le secteur financier avec les attelages constitués entre l’assureur AXA et la Banque extérieure d’Algérie (BEA) première banque du pays.
La quasi-totalité des accords de partenariats conclus dans le cadre de la règle du « 49/51 » associaient un investisseur étranger privé à… une entreprise publique algérienne
Une tendance confirmée et renforcée par les associations entre General Electric et Sonelgaz, Sanofi et Saidal, Qatar Steel et Sider, Renault et la SNVI ou encore le couple Ferrovial-Alstom. La liste n’est pas exhaustive.
Au sein de ces différents partenariats, les associés algériens sont toujours majoritaires grâce souvent à l’entrée au capital du Fonds public d’investissement (FNI), tandis que le management des nouvelles entités a été systématiquement confié au partenaire étranger.
La démarche s’apparentait quelquefois à une véritable tentative de sauvetage des entreprises publiques algériennes.
Le dérapage de la filière automobile
Après avoir donné lieu à quelques annonces spectaculaires, cette démarche a cependant semblé marquer le pas au cours des quatre ou cinq dernières années.
C’est dans le but de relancer un processus de partenariat industriel qui (re)commençait à donner des signes de fatigue que le gouvernement algérien a imposé, à partir de janvier 2017, une obligation d’investir aux constructeurs automobiles titulaires d’une licence d’importation en instaurant un dispositif contraignant qui conditionne l’accès au marché algérien à l’acte d’investissement.
Une stratégie qui cherchait, en même temps que de relancer le partenariat, à créer une dynamique plus large qui associerait le secteur privé national.
Cette tentative de prise de relai par le secteur privé algérien a cependant très rapidement dérapé en ouvrant la voix à l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du partenariat.
L’« escroquerie du siècle »
Très rapidement, dès le deuxième semestre 2017, les projets d’investissements fleurissent : TMC avec Hyundai, Sovac Production avec Volkswagen, KIA Algérie, Peugeot Algérie, Nissan, etc.
Au total, près d’une dizaine de projets de montage automobile ont été approuvés par les autorités algériennes, sans compter le même nombre d’usines de montage de véhicules utilitaires sur un marché algérien dont la taille ne dépasse pas 300 000 véhicules par an.
La multiplication de ces projets de montage automobile déjà en activité ou encore en projet a rapidement suscité la suspicion.
Des vidéos commencent à circuler sur le web montrant des usines sans chaîne de montage et des véhicules importés auxquels ils ne manquent que le roues.
Les médias algériens dénoncent de « fausses usines » et des « importations déguisées » dans une ambiance d’affairisme associant responsables gouvernementaux et hommes d’affaires influents du secteur privé.
La facture d’importation des kits d’assemblage gonfle très rapidement pour atteindre près de 4 milliards de dollars fin 2018.
Les projections évoquent un montant de 6 voire 7 milliards de dollars pour 2020 et des économistes algériens très médiatisés comme Ferhat Aït Ali ou Nour Meddahi parlent de l’« escroquerie du siècle ».
Une histoire qui finit mal
Dans la filière automobile algérienne naissante, l’histoire de l’investissement étranger au temps du « 49/51 » va mal se terminer.
Dans le sillage du soulèvement populaire de février 2019, le nouveau pouvoir militaire, qui a chassé le clan Bouteflika, lance une opération « mains propres ».
Elle va décapiter de nombreuses entreprises algériennes parmi les plus en vue et compromettre un grand nombre de projets de partenariats, conclus ou en cours de conclusion, entre hommes d’affaire algériens et étrangers.
L’opération « mains propres » va décapiter de nombreuses entreprises algériennes parmi les plus en vue
Mahieddine Tahkout, le patron de TMC qui a construit l’usine de Tiaret, sur les hauts plateaux algériens, en association avec le coréen Hyundai, est le premier à être incarcéré au printemps 2019.
Il sera rejoint rapidement par Mourad Oulmi qui dirige Sovac et qui avait réussi en 2017 à convaincre Volkswagen d’entrer au capital de l’usine créée à Relizane dans l’ouest du pays.
Fin juin, c’est Hassan Arbaoui, patron de KIA Algérie, qui emménage à son tour dans la prison d’El Harrach. Début juillet, le tribunal d’Alger place Ahmed Mazouz, patron du groupe du même nom, sous mandat de dépôt pour « soupçons de corruption et pour avoir bénéficié d’indus avantages dans le cadre d’activités liées à l’usine de montage automobile de la marque chinoise Cherry ».
Les patrons algériens de la filière automobile ne vont pas seuls en prison. Ils sont accompagnés par une vaste charrette de responsables politiques, ministres et Premiers ministres, PDG de banques publiques et hauts fonctionnaires du ministère de l’industrie poursuivis pour « trafic d’influence, corruption et octroi d’avantages indus ».
« Ouvrir les yeux sur les réalités du monde »
En septembre 2019, le gouvernement algérien a annoncé son intention de renoncer à la règle très contraignante du « 49/51 » pour les investisseurs étrangers. Cette annonce a été faite à l’occasion de la présentation du projet de loi de finance pour l’année 2020.
Selon le projet de loi, la levée des restrictions concernera seulement « les secteurs non stratégiques ».
En clair, les hydrocarbures resteront assujettis au principe d’une participation majoritaire de Sonatrach dans tous les projets du secteur. Une option confirmée par le texte de la nouvelle loi sur les hydrocarbures, adoptée dans la foulée, et dont l’objectif est pourtant d’enrayer le déclin de la production pétrolière.
Le retour à la situation d’avant 2009 réglera-t-il tous les problèmes d’attractivité de l’économie algérienne ainsi que semble le suggérer le communiqué du gouvernement dirigé par le très impopulaire Nourredine Bedoui ?
L’économiste Mouloud Hedir résume une analyse largement partagée : « Cette mesure est à regarder comme un simple retour à la raison économique. Pour un pays dont le commerce extérieur est ouvert, où les flux d’importations ont envahi l’ensemble des secteurs économiques, l’exigence systématique d’un actionnariat national majoritaire n’est rien d’autre qu’une barrière au développement de la production locale ».
Pour le reste, ajoute Hedir, « renoncer à l’actionnariat national majoritaire est une condition nécessaire, mais certainement pas suffisante ».
« Des questions essentielles subsistent comme celles liées à l’encadrement financier de l’investissement étranger, les blocages imposés aux transferts de dividendes, l’interdiction absurde des capitaux étrangers à la Bourse d’Alger, etc. », explique l’expert. « Enfin, il ne faut pas oublier que, par-delà la qualité de l’environnement interne, l’attraction des IDE est l’objet d’une concurrence très forte entre les pays récipiendaires. L’Algérie a certes des atouts, mais n’est pas seule à vouloir faire venir des IDE sur son marché. Il est juste temps pour elle d’ouvrir les yeux sur les réalités du monde ».
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