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Élections israéliennes : quels enjeux ?

Israël est dans l’impasse. Si une large part du monde politique souhaite le départ de Netanyahou, y compris au sein de son propre parti, aucune majorité ne parvient à s’accorder sur le choix du remplaçant. Ce troisième tour électoral permettra-t-il de changer la donne ?
Candidat à sa réélection pour la troisième fois en un an, le Premier ministre Benyamin Netanyahou a été mis en examen en novembre dernier pour « fraude », « abus de confiance » et « corruption » (AFP)

Dans les faits, le scrutin de ce lundi 2 mars en Israël, comme ceux de 2019 – qui n’ont pas permis, à deux reprises, de former un gouvernement –, prend surtout la forme d’un referendum sur l’avenir du Premier ministre Benyamin Netanyahou. Au pouvoir depuis 2009, le leader du Likoud a su construire une armature politique constituée de la traditionnelle droite nationaliste israélienne, mais aussi des courants nationalistes religieux et de tous ceux sur qui il peut compter au sein de l’extrême droite.

Sauf que l’hégémonie de Netanyahou n’a cessé de s’effriter. D’une part, son camp est plus que jamais divisé autour de différentes questions politiques, notamment l’enrôlement des ultra-orthodoxes dans un service militaire dont ils restent exemptés malgré l’obligation pour les citoyens juifs de l’effectuer.

L’électorat israélien laïc et progressiste attend depuis de nombreuses années l’occasion de renverser Netanyahou et ses alliés, quitte à plébisciter un candidat non issu de la gauche sioniste

D’autre part, le Premier ministre doit faire face à de nombreuses accusations, menant à sa mise en examen, le 21 novembre 2019, pour « fraude », « abus de confiance » et « corruption ».

L’électorat israélien laïc et progressiste, qui représente entre 30 et 40 % de la population israélienne, attend depuis de nombreuses années l’occasion de renverser Netanyahou et ses alliés, quitte à plébisciter un candidat non issu de la gauche sioniste.

L’alliance centriste Bleu Blanc, formée notamment par trois anciens chefs d’état-major et dirigée par l’ancien général Benny Gantz, bénéficie ainsi d’un soutien sans précédent des électeurs de la gauche sioniste. Qualifié abusivement d’homme de « gauche » par le Likoud, Gantz a par exemple, tout comme Netanyahou, salué le « plan de paix » du président des États-Unis, Donald Trump.

Ce point s’avère fondamental pour saisir l’impasse du jeu politique israélien : presque tout le monde souhaite le départ de Netanyahou, d’un Lieberman d’extrême droite aux partis palestiniens, en passant même par une partie du Likoud. Sauf qu’aucune majorité ne parvient à s’accorder sur le choix du remplaçant.

La survie de la gauche sioniste

Toute la gauche espère la fin de l’ère Netanyahou. Pour ce nouveau scrutin, la gauche sioniste s’est rassemblée sur une liste commune reprenant le nom de chaque organisation (Parti travailliste–Gesher–Meretz) sans pour autant créer une dynamique favorable.

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Actuellement, c’est indéniablement la survie de ce courant qui est en jeu.

Lors des élections de 2019, les deux formations de la gauche sioniste, à savoir le Parti travailliste et le Meretz, avaient obtenu des scores parmi les plus faibles de leur histoire, avec respectivement six et quatre mandats.

Pour le scrutin d’aujourd’hui, certains sondages annonçaient l’éventualité d’une disparition de ces partis de la Knesset, ne les voyant pas dépasser le seuil électoral des 3,25 %.

La gauche sioniste poursuit trois objectifs. D’abord, participer à la chute de Netanyahou en entrant dans un gouvernement mené par Gantz. Cela leur permettrait de revenir aux affaires et de gagner en influence.

Ensuite, la gauche sioniste devra reconquérir sa crédibilité dans ses fiefs. En s’imposant comme le seul candidat capable de battre Netanyahou, Gantz a siphonné les voix de la gauche sioniste : à titre d’exemple, dans les dix plus grands kibboutzim (communauté agricole sioniste) du pays, Gantz est arrivé en tête. Jamais les kibboutzim n’avaient manifesté un tel soutien à des candidats étrangers au mouvement sioniste travailliste.

Enfin, elle devra se repenser en profondeur au risque de voir sa marginalisation se poursuivre : peu présente dans la défense des ONG anti-occupation ciblées par Netanyahou et ses alliés, elle est cantonnée à la sphère privilégiée des juifs ashkénazes de Tel Aviv ou Haïfa, coupée de la réalité de ces milliers d’Israéliens qui vivent dans la précarité…

Le dilemme de la Liste unifiée

Pour cela, il faut regarder hors du champ sioniste. Aux élections de 2019, pour la première fois dans l’histoire d’Israël, la gauche non sioniste, qui s’était rassemblée au sein d’une Liste unifiée, a obtenu plus de voix que l’ensemble de la gauche sioniste réunie.

Quiconque souhaite former un gouvernement sans l’extrême droite et les religieux ultra-orthodoxes devra nécessairement se tourner vers les Palestiniens

Incarnée par le leader communiste arabe Ayman Odeh, cette gauche est parvenue à s’imposer comme la troisième force politique à la Knesset, avec pour le moment treize députés.

Le coup de téléphone de Gantz à Odeh, quelques heures après les résultats du scrutin de septembre, puis la rencontre officielle entre les représentants des deux listes, n’ont rien d’anodin.

Odeh ne cache pas son souhait de voir se former une large coalition contre l’extrême droite, mais pas à n’importe quel prix. Il demande des engagements sur plusieurs points : l’arrêt des démolitions de maisons dans les communes arabes d’Israël et une politique contre la criminalité dans ces mêmes localités, entre autres.

Toutefois, si la Liste unifiée bénéficie d’un soutien historique au sein de la population palestinienne d’Israël, puisque 81 % des 60 % de votants arabes ont opté pour Odeh, elle ne parvient pas à rassembler son camp politique.

Bien que, selon une étude israélienne, 76 % des Palestiniens d’Israël soutiennent l’entrée de députés arabes au gouvernement, cette visée n’est en effet pas acceptée par les nationalistes arabes de la Liste unifiée, notamment ceux issus du parti Balad, pour qui l’antisionisme reste une condition indépassable à toute coalition.

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Dans le même temps, Gantz a annoncé durant la campagne pour ce scrutin qu’il ne formerait aucune alliance avec Odeh.

En fait, la Liste unifiée est confrontée au perpétuel dilemme de la gauche israélienne : pour rassembler l’électorat palestinien, elle doit être sans ambiguïté sur son opposition au sionisme ; alors que pour obtenir une majorité chez les juifs, elle doit être conciliante avec le sionisme.

Mais désormais, un nouveau rapport de force apparaît : quiconque souhaite former un gouvernement sans l’extrême droite et les religieux ultra-orthodoxes devra nécessairement se tourner vers les Palestiniens.

Ce texte est en partie tiré de l’ouvrage L’Échec d’une utopie. Une histoire des gauches en Israël, à paraître au printemps 2020 aux éditions La Découverte.

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