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La France sous la menace du terrorisme d’extrême droite

Selon Europol, 45 % des interpellations en lien avec des affaires de terrorisme d’extrême droite dans l’UE en 2021 ont été réalisées en France. Pour les spécialistes de la droite identitaire, le risque d’attentats n’est pas exclu et vise en particulier les musulmans
En France, internet a donné ces dernières années une grande visibilité aux organisations de l’ultra-droite (AFP/Alain Jocard)
En France, internet a donné ces dernières années une grande visibilité aux organisations de l’ultra-droite (AFP/Alain Jocard)

La France est le pays européen le plus exposé à la menace terroriste d’extrême droite. Dans un rapport sur la situation et les tendances du terrorisme au sein de l’Union européenne (UE), publié mi-juillet, l’agence de police européenne Europol révèle qu’environ la moitié (29 sur 64) des arrestations en lien avec des affaires de terrorisme d’extrême droite en 2021 ont eu lieu en France. 

Un pic par rapport à 2019 et 2020, où le nombre des interpellations était respectivement de 7 et 1.

Cette montée en puissance contraste aussi avec l’évolution de la menace dite « djihadiste », certes toujours prépondérante – avec 96 arrestations l’année dernière en Europe (soit 37 % du total) – mais en baisse par rapport à 2019 (202 interpellations) et 2020 (99).

Selon Europol, l’impact de la pandémie de covid-19 sur le terrorisme (qu’il soit « djihadiste » ou d’extrême droite) a été particulièrement visible. « Cela a rendu certaines personnes plus vulnérables à la radicalisation et au recrutement [...] L’isolement social et le temps passé en ligne ont exacerbé les risques posés par la propagande extrémiste violente et les contenus terroristes, en particulier chez les jeunes et les mineurs », explique l’agence dans son rapport.

Des groupes prêts à passer à l’action

En France, internet a donné ces dernières années une grande visibilité aux organisations de l’ultra-droite. Jusqu’à son démantèlement en mai dernier, Vengeance Patriote, un groupuscule soupçonné de projets d’actions violentes, utilisait librement les réseaux sociaux pour distiller ses idées suprématistes.

Son compte Twitter créé en 2019 (et toujours actif) compte 1 470 abonnés. Y subsistent des photos d’individus en armes, le visage flouté avec une tête de loup, symbole du groupe. En décembre 2021, Vengeance Patriote avait même demandé aux abonnés de retweeter un appel à candidatures pour l’organisation d’entraînements militaires et de stages de survivalisme, en perspective d’une guerre raciale inévitable à ses yeux pour sauver la race blanche. 

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En Alsace, quatre membres d’un autre groupe néonazi étaient déjà bien avancés dans leurs préparatifs lorsqu’ils ont été arrêtés à la même période, en mai. À leurs domiciles, les gendarmes ont mis la main sur un véritable arsenal : 167 chargeurs dont 72 de Kalachnikov, 35 kilos de poudre et des stocks importants de munitions, près de 1,3 tonne de cartouches. 

Ce qui représente, a minima, 120 000 munitions de tous calibres. 

Au cours de la conférence de presse qui a suivi l’opération des gendarmes et du GIGN, la procureure de la République de Mulhouse Edwige Roux-Morizot a indiqué que c’était « le risque de les voir basculer vers le passage à l’acte » qui avait nécessité l’intervention des autorités. 

Identité et rejet des étrangers 

La même raison a conduit à la condamnation en 2021 à neuf ans de prison de Logan Nisin, fondateur de l’Organisations des armées sociales (OAS). 

L’acronyme n’a pas été choisi au hasard : il fait référence à l’Organisation de l’armée secrète (OAS), un groupe politico-militaire responsable d’actes de répression sanglants dans les années 1960 dans sa lutte contre l’indépendance de l’Algérie.

« Depuis la présidence Sarkozy [2007-2012] et le débat complètement nauséabond sur l’identité nationale, la parole de haine s’est libérée. Ce qui a permis une plus grande diffusion des thèses identitaires »

- Stéphane François, professeur de science politique

Dans sa version néo-nazie, la nouvelle OAS nourrissait des projets tout aussi belliqueux. Le président du tribunal l’a bien démontré dans son jugement, indiquant que le groupuscule avait été créé « comme une armée de défense prête, le cas échéant, à déstabiliser les institutions » et « à fracturer le corps social », à travers des « appels à la rébellion », des « incitations à tuer » et des projets de racket.

Alertée par l’augmentation des agressions commises par les groupuscules d’extrême droite  et « la résonnance croissante » de leurs idées au sein de la société française, l’Assemblée nationale a diligenté en 2019 une enquête parlementaire à la demande du parti de gauche La France insoumise (LFI). 

Dans son rapport, la commission indique que les violences commises par les groupuscules d’extrême droite ont atteint « un degré d’intensité préoccupant » et ciblent notamment des personnalités politiques, visées régulièrement par des menaces de mort et de viol. 

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La commission s’inquiète en outre de la faculté d’agir des groupes en question, « par l’organisation de camps d’été où se tiennent des cours d’autodéfense qui s’apparentent à des formations militaires ». 

« Certains d’entre eux s’arment et se préparent à une guerre civile qu’ils croient imminente, qui opposeraient un ‘’nous’’ et un ‘’eux’’ (les musulmans, les juifs, d’autres minorités) », souligne le rapport. 

Les parlementaires français décrivent les ultras de droite comme des groupes qui ont comme thèmes centraux l’identité et le rejet des étrangers. Le rapport d’Europol dit à peu près la même chose. 

Il donne également une définition du terrorisme d’extrême droite en le rattachant à des individus et des groupes qui « utilisent, incitent, menacent, légitiment ou soutiennent la violence et la haine pour promouvoir leurs objectifs politiques ou idéologiques » et changer « l’ensemble du système politique, social et économique sur un modèle autoritaire ».

« De nouveaux croisés »

Selon Stéphane François, professeur de science politique à l’université de Mons en Belgique et spécialiste de la mouvance identitaire, la tentation terroriste de l’extrême droite en France est en augmentation depuis environ une dizaine d’années. 

« La gestion de l’extrême droite est un peu particulière. D’un côté, il y a la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure, les renseignements intérieurs] qui fait son travail, puisqu’on apprend régulièrement que tel ou tel groupe a été arrêté avant le passage à l’acte. 

« Mais d’un autre côté, depuis la présidence Sarkozy [2007-2012] et le débat complètement nauséabond sur l’identité nationale, la parole de haine s’est libérée. Ce qui a permis une plus grande diffusion des thèses identitaires », explique-t-il à Middle East Eye. 

Environ 3 000 individus « plus antimusulmans qu’antisémites » gravitent autour de groupuscules de l’ultra-droite. Des gens « imprévisibles » et « dans une posture inquiétante » selon Nicolas Lebourg, chercheur à l’université de Montpellier

L’enseignant précise que la matrice de la mouvance identitaire est le nazisme et le néonazisme. 

« Globalement, l’extrême droite – comme l’extrême gauche d’ailleurs – est représentée par une multitude de groupuscules, parfois en concurrence pour des histoires d’égo mais qui ont la même idéologie, à savoir [dans le cas de l’extrême droite] la quête et la défense de l’identité blanche et de la grandeur de la race blanche », ajoute Stéphane François. 

Pendant la dernière présidentielle, cette quête identitaire a été portée à bras le corps par le candidat Éric Zemmour (8 % des voix au premier tour), qui a agité tout au long de sa campagne le spectre du « grand remplacement » de la population française « de souche » et promis de créer un ministère de la « Remigration » pour renvoyer les étrangers dans leurs pays d’origine. 

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« C’était un candidat avec une ligne ouvertement ultra-raciste et ultra-violente, guidé par des personnes originaires de la mouvance néonazie ou identitaire dure, des négationnistes et des partisans de la préférence nationale », note Stéphane François.

Parmi les soutiens de Zemmour figuraient notamment Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole de Génération identitaire, un groupuscule de l’ultra-droite dissous par le ministère de l’Intérieur en mars 2022 pour incitation à la haine ; Philippe Schleiter, neveu du négationniste Robert Faurisson, ancien routier de l’extrême droite et fondateur du think thank identitaire Polémia ; et Jean-Yves Le Gallou, théoricien de la préférence nationale au Front national de Jean-Marie Le Pen (ancêtre du Rassemblement national), dans les années 80.

Aujourd’hui, Jean-Yves Le Gallou, comme tous les représentants de la droite identitaire, défend aussi une France chrétienne. « Ils se voient comme de nouveaux croisés », affirme Stéphane François. 

« Une recomposition idéologique autour de l’islam »

Son collègue Nicolas Lebourg, chercheur au Centre d’études politiques de l’Europe latine à l’université de Montpellier, évoque « une recomposition idéologique autour de l’islam ». 

Selon lui, environ 3 000 individus « plus antimusulmans qu’antisémites » gravitent autour de groupuscules de l’ultra-droite. Il les décrit comme des gens « imprévisibles » et qui sont « dans une posture inquiétante ». 

Pour l’heure, aucun attentat n’a été commis contre des musulmans en France, notamment grâce aux services de sécurité, qui ont déjoué plusieurs projets

Néanmoins, d’après Stéphane François, le risque est omniprésent.

« À partir du moment où vous avez quelqu’un qui n’est pas très idiot et qui décide d’agir seul, comment faites-vous pour l’arrêter ? », remarque-t-il. 

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Il évoque les exemples que constituent, pour les candidats au terrorisme d’extrême droite, des individus comme Anders Behring Breivik, auteur des tueries d’Oslo et Utøya en Suède en 2011 (77 morts et 151 blessés), et Timothy McVeigh, qui a commis à Oklahoma City en 1995 l’attentat le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis avant le 11 septembre 2001 (168 victimes). 

Dans son rapport, la commission d’enquête parlementaire n’exclut pas non plus que des loups solitaires ou des groupes très réduits en effectifs, « qui s’inscrivent dans une vision de la société belliciste », commettent des actes violents. 

« Ces groupes se considèrent en guerre contre le péril étranger, et comptent riposter. Ils se positionnent notamment en réaction aux attentats islamistes que la France a connus ces dernières années », précise le document. 

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