Aller au contenu principal

Guerre à Gaza : malgré l’aide américaine, l’économie israélienne est durement touchée

Une aide américaine d’urgence pourrait être partiellement utile, mais l’économie d’Israël subit déjà les dommages de sa guerre contre Gaza, et cela pourrait bien aller en s’aggravant
Des soldats israéliens près de la frontière avec la bande de Gaza se préparent à s’introduire dans l’enclave, le 13 décembre 2023 (Reuters)

Dans toute guerre, le bilan humanitaire dévastateur et les pertes humaines viennent en premier lieu dans l’évaluation de ses coûts et de ses conséquences. Vient ensuite l’impact négatif sur les économies des pays en guerre.

Depuis qu’Israël a déclaré la guerre à Gaza le 7 octobre, son économie souffre, avec un déclin observé dans plusieurs secteurs. Si les Israéliens continuent d’intensifier et de prolonger leur campagne militaire, l’économie mondiale subira également des répercussions négatives, sans parler de celle de la Palestine occupée.

L’économie israélienne est considérée comme avancée du point de vue de la taille, du revenu par habitant et d’autres indicateurs importants. En 2022, le produit intérieur brut (PIB) d’Israël a atteint environ 522 milliards de dollars, soit plus que les économies de l’Égypte, de l’Iran, de la Malaisie et du Nigeria, qui se caractérisent par des populations et des richesses naturelles plus importantes.

Le PIB par habitant d’Israël s’élève à 55 000 dollars par an, dépassant ainsi celui de certains grands pays développés tels que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne, mais aussi celui de plusieurs pays arabes riches en pétrole tels que l’Arabie saoudite, le Koweït et même les Émirats arabes unis.

L’économie israélienne a connu un bond qualitatif et quantitatif significatif au cours des deux dernières décennies. Parmi les pays industriels avancés (à l’exception de la Chine), la croissance de l’économie israélienne a été la plus forte selon la Banque mondiale. Dépassant la croissance de l’économie américaine, de la zone euro et du Japon entre 2000 et 2022, l’économie israélienne a triplé de taille au cours de cette période.

L’une des principales raisons de cette croissance significative est le développement considérable du secteur technologique, qui a acquis un statut de deuxième centre technologique au monde après la Silicon Valley.

Le secteur technologique israélien représente un cinquième de la production du pays et plus de 50 % de ses exportations totales. Sans surprise, il sera le secteur le plus touché par la guerre en cours.

Les coûts de la guerre

La guerre d’Israël a des coûts directs et indirects. Les coûts directs concernent les pertes de trésorerie que le pays subit chaque jour et qui ont amené le gouvernement à solliciter 6 milliards de dollars d’emprunts à un taux d’intérêt inhabituellement élevé pour financer son agression.

Cela comprend, entre autres, le coût quotidien des armes, des munitions, des outils et des approvisionnements, les salaires des réservistes qui ont quitté leur emploi pour rejoindre les forces israéliennes et combattre à Gaza, ainsi que les dégâts et la détérioration subis par les engins militaires tels que les chars, les véhicules et les avions, mais aussi leur entretien.

En ce qui concerne les dépenses indirectes, la guerre a eu un impact négatif sur plusieurs secteurs économiques tels que l’industrie et la technologie, le tourisme et le marché du travail.

Maintenant que la guerre se prolonge, ce à quoi Israël n’est pas habitué, l’économie israélienne devrait subir des coûts bien plus importants au cours de la période à venir, au point que certains économistes ont même suggéré que la facture pourrait grimper à 400 milliards de dollars sur la prochaine décennie

Au niveau international, Israël est reconnu comme une économie de haute technologie, les exportations du secteur technologique s’élevant à plus de 80 milliards de dollars par an. La guerre plombera à bien des égards ce secteur essentiel.

À titre d’exemple, l’armée israélienne a convoqué 350 000 réservistes, dont une grande partie travaillent dans le secteur technologique. Tout manquement aux obligations entraînera la non-exécution des contrats signés avec les entreprises technologiques israéliennes. Nombre de ces contrats sont conclus avec des gouvernements et des pays du monde entier qui feront pression pour limiter les flux de devises étrangères dans leur économie.

Environ 500 multinationales investissent à l’heure actuelle dans le secteur technologique israélien, dont Microsoft, IBM, Intel, Google, Nvidia et bien d’autres. Ces entreprises pourraient revenir sur la poursuite de leurs investissements dans un pays aussi instable qu’Israël.

Tomer Simon, scientifique en chef au centre de recherche et de développement de Microsoft en Israël, a récemment exprimé ces préoccupations dans une lettre adressée au conseiller israélien à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi. Selon lui, Israël doit créer un horizon positif pour que les entreprises multinationales puissent se développer et poursuivre leur travail. Alors que pour chaque emploi dans le secteur technologique, cinq emplois de soutien sont créés, l’économie israélienne ne doit pas se transformer en une économie basée sur la production d’oranges, a-t-il averti.

Intel, géant de la Silicon Valley et première multinationale à avoir lancé ses activités en Israël en 1974, a annoncé en juillet un « accord record » avec une usine israélienne pour la construction d’une unité de production de puces et de semi-conducteurs pour un montant de 25 milliards de dollars. Ce projet pourrait être contrarié par la guerre et l’instabilité actuelle dans la région. Intel n’a encore émis aucun commentaire à ce sujet et son porte-parole n’a pas souhaité préciser si la production de puces avait été affectée par la situation.

L’industrie de la défense, un autre des principaux secteurs d’exportation d’Israël, sera également touchée, puisque toute la production locale est destinée aux troupes engagées dans les combats. Cela provoquera un sérieux goulot d’étranglement dans la production et l’exécution des contrats avec le reste du monde. 

Guerre Israël-Palestine : les attaques de colons et les restrictions israéliennes paralysent l’économie en Cisjordanie
Lire

En tant que site religieux, Jérusalem accueillait des milliers de pèlerins, notamment à l’occasion des fêtes chrétiennes. La vieille ville de Jérusalem est déserte, selon des commerçants et des entrepreneurs locaux. Des centaines de touristes ont annulé leur réservation et la situation risquée a amené le département d’État américain à émettre un avis de niveau 3 invitant les touristes à revoir leur projet de voyage en Israël.

La situation est comparée aux restrictions imposées au cours de la pandémie de coronavirus. À l’exception d’El Al, aucune compagnie aérienne ne dessert l’aéroport Ben Gourion. On imagine aisément le volume des pertes d’emplois et la chute des entrées de devises, des taxes et de nombreuses autres sources de revenus.

Avec des centaines de milliers de réservistes mobilisés pour la guerre et 120 000 travailleurs palestiniens qui se sont vu retirer leur permis de travail, le secteur de l’emploi a également été profondément touché. Pour combler ce vide, les postes vacants doivent être occupés par des travailleurs étrangers ; cependant, beaucoup de ceux qui étaient sur place, comme les Thaïlandais, sont partis à la suite de l’offensive du 7 octobre menée par le Hamas.

Par conséquent, dès les premiers jours de la guerre, Israël a annoncé qu’il remplacerait ses travailleurs palestiniens par des recrues originaires de pays comme l’Inde. Le besoin d’un plus grand nombre de travailleurs expatriés pèse sur le pays en raison des flux sortants de devises étrangères, ainsi que des autres coûts nécessaires associés au recrutement d’expatriés, tels que l’hébergement et les billets d’avion.

Un plan de sauvetage américain

Dès qu’Israël a commencé sa campagne de bombardements, les législateurs américains se sont empressés d’approuver l’octroi d’une aide militaire et économique supplémentaire au plus proche « allié » des États-Unis.

L’administration Biden a en outre présenté un projet de loi d’aide supplémentaire de 105 milliards de dollars à l’Ukraine et à Israël, entre autres dépenses liées à la sécurité nationale américaine. La part d’Israël dans ce programme s’élève à environ 14 milliards de dollars.

Les débats au sein du Congrès américain ont été tendus quant à l’approbation de ce programme, les Républicains cherchant à le lier à des mesures frontalières strictes pour lutter contre l’immigration clandestine. En parallèle, un petit groupe de démocrates, ainsi que le sénateur indépendant Bernie Sanders, insistent pour que toute aide supplémentaire à Israël soit conditionnée à la réduction du nombre de victimes civiles à Gaza et à un acheminement facilité de l’aide humanitaire dans l’enclave.

Les investisseurs ne sont pas disposés à investir leur argent dans un pays qui a été impliqué dans plus de six guerres en dix-sept ans

Ces conditions ne sont pas garanties, étant donné le comportement historique de l’État d’occupation israélien, comme l’a explicitement souligné le sénateur Tim Kaine : « Quoi qu’il advienne, nous allons mettre en place un programme d’aide solide pour Israël, mais il doit être cohérent avec l’aide humanitaire et les efforts visant à réduire les souffrances des habitants de Gaza qui ne font pas partie du Hamas. »

Ce programme d’aide reste cependant spécifique à l’effort de guerre, mais qu’en est-il des conséquences désastreuses sur l’économie israélienne ?

Dans ses premières phases, le ministère israélien des Finances a estimé le coût de la guerre à environ 50 milliards de dollars. Néanmoins, maintenant que la guerre se prolonge, ce à quoi Israël n’est pas habitué, l’économie israélienne devrait subir des coûts bien plus importants au cours de la période à venir, au point que certains économistes ont même suggéré que la facture pourrait grimper à 400 milliards de dollars sur la prochaine décennie.

Une aide américaine d’urgence pourrait être partiellement utile, mais le mal est déjà fait pour l’économie. En fin de compte, la stabilité et la sécurité sont nécessaires à la poursuite de sa croissance. Les investisseurs, en général, ne sont pas disposés à investir leur argent dans un pays qui a été impliqué dans plus de six guerres en dix-sept ans et où les sirènes retentissent en permanence.

Outre les pertes susmentionnées, Israël voit se déliter sa réputation mondiale d’État démocratique en raison de sa destruction de la bande de Gaza par des bombardements aveugles contre des êtres humains, des animaux et des infrastructures.

Parallèlement, on assiste à une nette montée de la sympathie pro-palestinienne, liée au bilan de plus de 20 000 victimes civiles dont une majorité de femmes et d’enfants, ainsi qu’au déplacement de près de deux millions de Gazaouis qui n’ont nulle part où aller et qui vivaient déjà en état de siège depuis près de vingt ans, avec un des taux de chômage les plus élevés au monde.

- Walid Abuhelal est un économiste et chercheur spécialisé dans les affaires économiques arabes qui a occupé plusieurs postes à responsabilité dans le secteur privé en Jordanie et en Arabie saoudite. Il intervient régulièrement sur plusieurs chaînes d’information et sites web en langue arabe.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Middle East Eye propose une couverture et une analyse indépendantes et incomparables du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et d’autres régions du monde. Pour en savoir plus sur la reprise de ce contenu et les frais qui s’appliquent, veuillez remplir ce formulaire [en anglais]. Pour en savoir plus sur MEE, cliquez ici [en anglais].