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Israël-Palestine : pour Netanyahou et ses alliés politiques, la paix est plus dangereuse que la guerre

L’opinion publique israélienne s’est retournée contre le Premier ministre israélien et Bezalel Smotrich, son principal partenaire de coalition à l’extrême droite. Mais ils ne renonceront pas à leur rêve d’une nouvelle Nakba
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou rencontre des soldats dans un lieu non divulgué à Gaza, le 26 novembre 2023 (AFP)
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou rencontre des soldats dans un lieu non divulgué à Gaza, le 26 novembre 2023 (AFP)

Il s’agit d’un moment décisif dans la guerre d’Israël contre le Hamas. C’est aussi un moment extrêmement dangereux pour les deux camps.

La reprise de la campagne de bombardements brutale dans le sud de Gaza a été motivée par le sentiment dominant exprimé par le cabinet de guerre, les médias et la majorité des Israéliens, selon lequel la guerre devait se poursuivre et le Hamas devait recevoir le coup de grâce.

L’opinion publique israélienne a soif de vengeance et n’a toujours pas l’impression d’y avoir eu droit.

L’armée cherche la rédemption après avoir lourdement échoué à protéger ses citoyens dans le sud d’Israël. Elle a désespérément besoin des scalps des dirigeants du Hamas

Confronté au choix radical entre un nouvel échange d’otages et de prisonniers et une reprise de l’offensive terrestre, le cabinet de guerre a résolument opté pour la guerre.

Si le cabinet de guerre est loin de reconnaître ce que tout le monde lui dit hors d’Israël, à savoir que le Hamas ne peut être totalement vaincu, on assiste aujourd’hui à une prise de conscience croissante en Israël, peut-être même au sein de l’armée et certainement parmi les observateurs, que le Hamas est loin d’être vaincu.

Tous les généraux, chefs d’état-major et commentateurs dans les médias ont dû ravaler leurs paroles concernant une perte de contrôle du Hamas sur le nord de la bande de Gaza, après avoir vu, pendant le cessez-le-feu, le Hamas se déplacer librement à Gaza et y libérer des otages.

L’armée cherche la rédemption après avoir lourdement échoué à protéger ses citoyens dans le sud d’Israël. Elle a désespérément besoin des scalps des dirigeants du Hamas. Mais en avançant vers le sud, elle s’enfonce dans l’inconnu.

Aucun plan de sortie

La première partie de l’offensive terrestre s’est limitée à l’occupation de la ville de Gaza. Cette partie est loin d’être terminée, mais au moins pendant la première phase, les objectifs de l’armée étaient plus ou moins clairs.

Elle a chassé la population vers le sud pour s’emparer du nord. Aujourd’hui, leur objectif est loin d’être évident. 

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Il apparaît que l’armée ne connaît pas vraiment le sort des otages restants. Elle ne connaît pas la force du Hamas et ne sait pas dans quelle mesure il a renforcé ses positions pendant la trêve de sept jours.

Ils ne savent pas combien de temps les États-Unis continueront de soutenir Israël, qui bombarde une zone dans laquelle la majorité des 2,3 millions d’habitants de Gaza sont désormais entassés.

À mesure qu’ils poussent la population vers la frontière, la probabilité que l’Égypte l’ouvre pour permettre l’acheminement d’aide humanitaire et de fournitures contre la volonté d’Israël augmentera.

Les Palestiniens de Gaza ne seront pas expulsés, mais des fournitures, voire des armes, pourraient entrer dans la bande de Gaza depuis l’Égypte. Ainsi, en reprenant la guerre, Israël n’a pas de stratégie à court terme, et encore moins de plan de sortie.

Au niveau national, le fait que 80 otages aient été libérés sains et saufs entraînera une pression croissante de la part des familles des 134 otages restants, civils comme militaires.

Après la rupture de la trêve, et lorsque les otages qui sont revenus ont rapporté que les bombardements israéliens mettaient leur vie en danger, la pression exercée par les proches n’a fait qu’augmenter.

Le scénario le plus probable consiste à voir Israël osciller entre périodes de guerre et pauses dans les combats, sans être capable de les conclure

Le scénario le plus probable consiste à voir Israël osciller entre périodes de guerre et pauses dans les combats, sans être capable de les conclure.

Or, les problèmes du Premier ministre Benjamin Netanyahou ne font que commencer. Aujourd’hui, il est probablement l’homme le plus détesté d’Israël.

Le traumatisme du 7 octobre a conféré une nouvelle dimension considérable aux problèmes juridiques persistants de Netanyahou, premier chef du gouvernement à être inculpé pour corruption, fraude et abus de confiance pendant son mandat, ainsi qu’à sa « réforme judiciaire » avortée qui a poussé des centaines de milliers d’Israéliens à protester contre lui et son gouvernement de droite.

C’est un zombie

On lui reproche d’avoir présidé à la journée la plus meurtrière de l’histoire de l’État. Des affiches le représentant avec une trace de main ensanglantée sur le visage sont placardées aux quatre coins de Tel Aviv.

Une fois les combats terminés, la sagesse politique commune voudrait qu’il s’agisse de ses derniers jours au pouvoir, et tous les autres acteurs politiques en Israël agissent en fonction de cette hypothèse.

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Netanyahou est un bon acteur, il essaie de faire comme si tout était normal.

Mais sur le plan politique, c’est un zombie. Pourquoi signerait-il lui-même son propre arrêt de mort ? Il a tout intérêt à poursuivre la guerre aussi longtemps qu’il le peut.

Un sondage électoral réalisé au 49jour de la guerre révèle un effondrement des voix du Parti sioniste religieux (extrême droite) de Bezalel Smotrich, le ministre des Finances.

Si des élections avaient lieu demain, il n’obtiendrait pas le minimum de 3,25 % requis pour entrer à la Knesset. Cela représente une chute vertigineuse par rapport aux quatorze sièges qu’il a remportés lors d’une campagne conjointe menée avec Otzma Yehudit d’Itamar Ben-Gvir lors des élections de novembre 2022.

L’alliance de droite qui avait obtenu 64 sièges à l’époque n’en aurait plus que 41 sur 120, tandis que la coalition d’opposition du « changement », si elle venait à être combinée à l’alliance palestinienne Hadash-Ta’al, grimperait à 79 sièges.

Ce revirement complet projetterait Benny Gantz au pouvoir : son Parti de l’unité nationale quadruplerait quasiment son nombre de sièges pour, passant de 12 à 43.

Comment expliquer cela ?

Les auteurs du coup d’État juridique sont désormais considérés comme responsables de l’atteinte à l’unité d’Israël et, par conséquent, à sa sécurité. Et c’est un péché qui ne peut être pardonné facilement

Le coup d’État constitutionnel que le gouvernement de Netanyahou a tenté d’orchestrer en privant les tribunaux de leur pouvoir ultime de contrôle de l’exécutif a fusionné dans l’esprit de la plupart des Israéliens, dans une certaine mesure, avec le traumatisme de l’attaque du Hamas.

Les auteurs du coup d’État juridique sont désormais considérés comme responsables de l’atteinte à l’unité d’Israël et, par conséquent, à sa sécurité. Et c’est un péché qui ne peut être pardonné facilement.

Nous savons aujourd’hui que l’armée israélienne ne disposait que de deux à quatre bataillons le long de la barrière avec Gaza, tandis que 32 bataillons étaient stationnés en Cisjordanie, principalement pour protéger les colons.

Alors que Ben-Gvir, incarnant l’élément voyou de l’extrême droite, fait toujours bonne figure dans les sondages, Smotrich est bien plus dangereux. C’est un calculateur, un planificateur méticuleux et un véritable idéologue.

« Pas de guerre, pas de gouvernement »

Mais pour eux deux comme pour l’ensemble de la droite messianique religieuse, si le gouvernement de Netanyahou venait à tomber après un éventuel cessez-le-feu, ce serait bien plus qu’une simple défaite politique. 

La droite religieuse a attendu pendant des décennies une guerre à grande échelle contre les Palestiniens qui permettrait à Israël de chasser la population dans des proportions comparables à 1948.

Ils savaient qu’ils ne pourraient pas concrétiser leur rêve de souveraineté totale du Jourdain à la mer Méditerranée sans porter à la majorité palestinienne un coup démographique décisif.

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Il est vrai qu’une grande partie de l’esprit de Ben-Gvir et Smotrich s’est infiltrée dans le discours israélien. Il suffit de se rappeler le nombre de personnalités politiques israéliennes du Likoud qui ont ouvertement appelé à une nouvelle Nakba (« catastrophe »), un événement dont Israël a passé des décennies à nier l’existence.

Néanmoins, si la guerre se termine sans une nouvelle Nakba, leur rêve restera inachevé et ils le savent. Ben-Gvir l’a déjà dit : « Pas de guerre, pas de gouvernement. »

En d’autres termes, un cessez-le-feu permanent sonnerait le glas du gouvernement. Il est évident que le gouvernement actuel ne survivrait pas à un accord avec le Hamas prévoyant la libération de tous les prisonniers palestiniens en échange de tous les otages.

Aucun dirigeant israélien de droite, ni même une armée blessée dans son orgueil, ne pourrait supporter une fin de guerre où Mohammed Deïf ou Yahya Sinouar sortiraient du tunnel en brandissant un drapeau palestinien en signe de victoire. Ni la vue d’une libération de Marouane Barghouti.

Ce qui rend le gouvernement actuel si dangereux est la combinaison de l’aile droite laïque incarnée par Netanyahou avec l’idéologie extrême de Smotrich.

Il est évident que le gouvernement actuel ne survivrait pas à un accord avec le Hamas prévoyant la libération de tous les prisonniers palestiniens en échange de tous les otages

Aujourd’hui, cependant, les auteurs du coup d’État juridique manqué – Simcha Rothman, chef de la commission de la Constitution, du droit et de la justice à la Knesset, issu du parti de Smotrich, et le ministre de la Justice Yariv Levin, issu du Likoud de Netanyahou – n’osent pas montrer leur visage, car ce sont eux qui sont tenus pour responsables du démembrement de l’État.

Ils ont longuement attendu leur heure de gloire. Ils ne vont pas laisser le rêve de toute une vie leur échapper aussi facilement. Pour voir revenir Gantz et des discussions sur une solution à deux États, il faudra leur passer sur le corps, et cela passera aussi par les corps de milliers de Palestiniens et d’Israéliens.

Cela ne veut pas dire que cela ne finira pas par se produire et que la guerre se poursuivra éternellement. Cela explique seulement l’importance des enjeux pour Netanyahou et ses partenaires.

Et c’est la raison pour laquelle le stade actuel de la guerre est si dangereux.

Meron Rapoport est un journaliste et écrivain israélien. Il a remporté le prix de journalisme international de Naples pour son enquête sur le vol d’oliviers à leurs propriétaires palestiniens. Ancien directeur du service d’informations du journal Haaretz, il est aujourd’hui journaliste indépendant.

Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

Meron Rapoport is an Israeli journalist and writer, winner of the Napoli International Prize for Journalism for an inquiry about the stealing of olive trees from their Palestinian owners. He is ex-head of the News Department in Haaertz, and now an independent journalist
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