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Guerre à Gaza : pourquoi l’Égypte redoute-t-elle l’attaque israélienne à Rafah et quelles conséquences pour le traité de paix ?

La question brûlante pour l’Égypte et la communauté internationale est de savoir où les Palestiniens pourront se réfugier si Israël envahit Rafah. Certains éléments indiquent que l’Égypte se prépare à un afflux de réfugiés
Une image satellite montre la construction d’un mur le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, près de Rafah, le 15 février (Maxar Technologies/Reuters)
Une image satellite montre la construction d’un mur le long de la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza, près de Rafah, le 15 février (Maxar Technologies/Reuters)

Alors que l’armée israélienne prépare une offensive terrestre sur la ville de Rafah à Gaza, au sud de la frontière, l’Égypte se prépare au pire, avec une crise humanitaire et une menace pour son traité de paix avec Israël.

Rafah représente le dernier refuge pour près de 1,4 million de Palestiniens fuyant les féroces bombardements israéliens sur la bande de Gaza.

Autrefois désignée comme « zone de sécurité » pour les personnes déplacées de force par la guerre d’Israël à Gaza, la région de Rafah est depuis peu la cible de bombardements aériens meurtriers menés par des avions israéliens et des quadricoptères télécommandés.

Une image satellite montre des tentes abritant des personnes déplacées à Rafah, à Gaza, le 7 février (Maxar Technologies/Reuters)
Une image satellite montre des tentes abritant des personnes déplacées à Rafah, à Gaza, le 7 février (Maxar Technologies/Reuters)

Avant la guerre, la ville comptait environ 250 000 habitants. Aujourd’hui, les Palestiniens déplacés, dont 600 000 enfants, s’entassent dans des tentes de fortune sur une superficie de seulement 62 km².

Les travailleurs humanitaires ont déclaré à Middle East Eye cette semaine qu’une opération terrestre israélienne dans cette zone densément peuplée conduirait à une « catastrophe » humanitaire et sanitaire.

À cela s’ajoute la perspective d’un déploiement de troupes israéliennes le long de la frontière égyptienne avec Gaza, qui, selon des sources égyptiennes anonymes, pourrait avoir des conséquences sur le traité de paix avec Israël, ce que le ministre des Affaires étrangères, Sameh Shoukri, a toutefois démenti.

Le corridor de Philadelphie

Lorsque Israël et l’Égypte ont signé le traité de paix de 1979, la ville de Rafah s’est retrouvée divisée. Les troupes israéliennes se sont retirées de la péninsule du Sinaï qu’elles occupaient depuis 1967, et une frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza a été créée, divisant Rafah en deux parties : l’une égyptienne et l’autre palestinienne.

L’une des principales dispositions du traité prévoit la désignation de quatre zones démilitarisées dans le Sinaï et en Israël.

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Le côté égyptien de Rafah fait partie de la zone C, qui n’autorise que le déploiement d’une force de police civile munie d’armes légères, ainsi que des forces de maintien de la paix de l’ONU.

Israël a toutefois autorisé des exceptions à cette disposition au cours de la dernière décennie, le gouvernement du président égyptien Abdel Fattah el-Sissi ayant déployé des troupes dans la région pour lutter contre une insurrection.

Le maintien de la paix et de la sécurité le long de la frontière repose sur la route de Philadelphie, également connue sous le nom de corridor de Philadelphie : une zone tampon démilitarisée de 14 km de long et de 100 mètres de large qui s’étend sur toute la frontière entre Gaza et l’Égypte. Israël, dont les troupes occupaient alors Gaza, s’est vu confier le contrôle du corridor par le traité de 1979.

Par la suite, après l’accord de Philadelphie de 2005 et le désengagement d’Israël de la bande de Gaza, l’Autorité palestinienne a pris le contrôle du corridor et, depuis 2007, c’est le Hamas qui supervise la zone.

Le mois dernier, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a déclaré qu’Israël devait réoccuper le corridor. « Le corridor Philadelphie – ou, pour parler plus correctement, le point d’arrêt sud [de Gaza] – doit être entre nos mains », a-t-il déclaré.

« Il doit être fermé. Il est clair que tout autre arrangement ne garantit pas la démilitarisation que nous recherchons. »

Une confrontation militaire très improbable

De son côté, le gouvernement égyptien a réagi en déclarant que la réoccupation du corridor constituerait une violation du traité de paix.

Selon Djaouida Siaci, juriste international, l’occupation par Israël du corridor Philadelphie et tout déploiement de véhicules blindés dans cette zone constitueraient une « violation flagrante » du traité de paix.

« Ce serait considéré comme une occupation illégale de cette étroite bande de terre », explique-t-elle à MEE.

Une famille palestinienne déplacée qui a fui sa maison à la suite des frappes israéliennes prépare son repas dans leur abri à la frontière égyptienne, à Rafah, dans la bande de Gaza, le 10 février (Reuters/Mohammed Salem)
Une famille palestinienne déplacée qui a fui sa maison à la suite des frappes israéliennes prépare son repas dans leur abri à la frontière égyptienne, à Rafah, dans la bande de Gaza, le 10 février (Re

Mohannad Sabry, expert et écrivain spécialiste du Sinaï, partage cet avis et estime que la réoccupation constituerait « une violation totale » des dispositions du traité relatives à la sécurité.

Même lors de l’occupation de Gaza par les forces israéliennes avant 2005, le corridor de Philadelphie est resté une zone tampon démilitarisée, rappelle Mohannad Sabry.

Le spécialiste du Sinaï estime toutefois que même si Israël enfreint le traité, une confrontation militaire totale avec l’Égypte est très improbable.

« Le traité de paix ne sera pas abandonné. Comme l’a dit le ministre Shoukri, le traité restera intact », ajoute-t-il.

« Les déclarations contradictoires dans les médias sont destinées à la consommation publique. Ce qui compte, c’est ce qui se passe à huis clos, dans les réunions de coordination des services de renseignement au Caire et dans d’autres capitales. »

« Les relations entre Israël et l’Égypte restent fortes, malgré ce qui se passe à Gaza »

- Joost Hiltermann, analyste ICG

De la même manière, Joost Hiltermann, analyste au sein du think tank International Crisis Group (ICG), affirme que la suspension du traité « n’aura pas lieu ».

« Les relations entre Israël et l’Égypte restent fortes, malgré ce qui se passe à Gaza. »

Pour Mohannad Sabry, l’Égypte n’a presque rien fait face à l’invasion israélienne de la bande de Gaza, malgré les presque 30 000 Palestiniens tués et le déplacement forcé de centaines de milliers d’autres à sa frontière.

La principale préoccupation de l’Égypte face à une offensive à Rafah est l’afflux massif de Palestiniens, plutôt que de se soucier de la paix avec Israël, explique-t-il.

« La réoccupation de Rafah, avec ou sans le corridor de Philadelphie, n’a pas été refusée en soi », ajoute Mohannad Sabry. « Elle est acceptée sous certaines conditions. »

Mur en béton

Pour l’Égypte et les États-Unis, un assaut israélien sur Rafah, où, quatre bataillons du Hamas seraient basés, pourrait être toléré à condition que les civils palestiniens puissent se réfugier en toute sécurité.

La question brûlante pour l’Égypte et la communauté internationale est de savoir où les Palestiniens pourront se réfugier si Israël envahit Rafah. Certains éléments indiquent que l’Égypte se prépare à un afflux de réfugiés.

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Mercredi 14 février, la Fondation du Sinaï pour les droits de l’homme a déclaré que les autorités égyptiennes préparaient une zone tampon de 10 km pour accueillir les Palestiniens déplacés.

Les entrepreneurs chargés du projet ont déclaré à l’organisation de défense des droits de l’homme que les travaux étaient effectués sous la supervision de l’Autorité du génie des forces armées et qu’ils devraient être achevés dans un délai de dix jours.

Des images satellites diffusées jeudi 15 février montrent la construction d’un mur de béton le long de la frontière. Le Wall Street Journal a rapporté que les autorités construisaient une « enceinte murée » d’environ 20,719 km2 pour accueillir jusqu’à 100 000 Palestiniens. Un grand nombre de tentes ont été livrées sur le site, toujours selon le quotidien.

Une source militaire, sous le couvert de l’anonymat, confirme à MEE les informations de la Fondation du Sinaï, mais dément que l’Égypte accepterait un « afflux massif de Palestiniens ».

Il explique que la construction vise à « créer une zone centralisée afin de limiter l’infiltration de combattants dans le Sinaï et de se préparer au pire ».

« Des signes extrêmement clairs indiquent que l’Égypte est déjà parvenue à un accord semi-finalisé pour accueillir les Palestiniens de Gaza, que ce soit en partie ou en totalité »

- Mohannad Sabry, expert et écrivain spécialiste du Sinaï

La source indique que cette initiative n’est pas nouvelle et qu’une zone similaire a été créée à la suite de la guerre menée par l’Égypte en 2014 contre les groupes combattants dans le nord du Sinaï. « Ce qui est nouveau, c’est de sécuriser le site avec des murs plus hauts et d’installer des portes d’entrée et de sortie bien gardées », précise-t-il.

« Il y a une différence entre accepter le déplacement et se préparer pour faire face au pire. »

Mohannad Sabry, le spécialiste du Sinaï, estime toutefois qu’il existe « des signes extrêmement clairs indiquant que l’Égypte est déjà parvenue à un accord semi-finalisé pour accueillir les Palestiniens de Gaza, que ce soit en partie ou en totalité ».

« Ce sera révélé dans les jours à venir », affirme-t-il.

L’Égypte « ne veut pas revivre les événements de 2008 »

L’Égypte a déjà été exposée à un afflux de Palestiniens en provenance de Gaza. En janvier 2008, Gaza a été confrontée à une crise humanitaire causée par le siège israélien de l’enclave, aggravée par la fermeture du poste-frontière de Rafah par l’Égypte.

En réaction, les Palestiniens ont détruit une partie de la barrière le long de la frontière, ce qui a permis à près de la moitié de la population de Gaza de passer en Égypte en quête de nourriture et de produits de première nécessité.

Hosni Moubarak, alors président de l’Égypte, a ordonné à ses troupes de ne pas attaquer les Palestiniens.

Une femme palestinienne blessée est transportée sur un brancard par des ambulanciers du Croissant-Rouge égyptien après avoir été évacuée de la bande de Gaza par le poste-frontière de Rafah, le 3 février (AFP)
Une femme palestinienne blessée est transportée sur un brancard par des ambulanciers du Croissant-Rouge égyptien après avoir été évacuée de la bande de Gaza par le poste-frontière de Rafah, le 3 févri

« La situation étant très tendue, l’Égypte prend toutes les mesures nécessaires et envisage tous les scénarios », explique la source militaire à MEE.

« L’État ne veut pas revivre les événements de 2008, lorsque le chaos dans la bande de Gaza a conduit des centaines de personnes à entrer en Égypte sans papiers et sans contrôle, mettant ainsi en danger leur vie et la sécurité de l’Égypte. »

La source affirme que Le Caire est conscient que les Palestiniens fuiront vers le nord ou vers l’Égypte si Israël attaque Rafah.

« Cette zone en construction pourrait être un espace sécurisé permettant aux autorités égyptiennes de continuer à fournir une aide humanitaire aux personnes déplacées et à la police égyptienne de contrôler les documents d’identité », ajoute-t-il.

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« La principale préoccupation du gouvernement égyptien est l’infiltration de combattants qui pourraient opérer à partir du Sinaï et cibler Israël, donnant ainsi aux Israéliens des raisons de riposter. »

Mohannad Sabry souligne que rien n’indique une déstabilisation majeure des relations entre l’Égypte et Israël depuis le déclenchement de la guerre à Gaza.

« L’Égypte s’est jusqu’à présent pliée à toutes les conditions israéliennes », déclare-t-il. « Prenons l’exemple de l’aide. Il a été demandé à l’Égypte de ne pas envoyer d’aide directement à Gaza et de ne pas briser le siège, et l’Égypte a accepté. Elle a envoyé l’aide via Nitzana et al-Auja [à 40 km au sud de Rafah] pour qu’elle soit d’abord contrôlée par les Israéliens, qui décident ensuite si l’aide doit être acheminée. »

Il souligne également qu’Israël doit approuver les noms des Palestiniens blessés, ainsi que des personnes ordinaires, avant leur évacuation vers l’Égypte.

« La seule chose réellement prouvée que l’Égypte a faite est de profiter des envois et des transports d’aide », affirme-t-il, faisant référence aux révélations faites par MEE selon lesquelles une société liée au service de renseignement fait payer des milliers de dollars aux organisations humanitaires pour acheminer de l’aide à Gaza.

Traduit de l’anglais (original) par Imène Guiza.

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