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Israël : la victoire finale du néo-sionisme ?

Le retour au pouvoir de Netanyahou et la montée en puissance de partis suprématistes juifs et racistes questionnent l’avenir d’Israël. Et si cette force politique n’était que la suite logique du sionisme, en tant qu’idéologie nationaliste et coloniale ?
Itamar Ben-Gvir  s’inscrit dans l’héritage du mouvement extrémiste kahaniste, inspiré du rabbin Meir Kahane, dont le parti avait été interdit en Israël en 1985 (AFP/Gil Cohen-Magen)
Itamar Ben-Gvir s’inscrit dans l’héritage du mouvement extrémiste kahaniste, inspiré du rabbin Meir Kahane, dont le parti avait été interdit en Israël en 1985 (AFP/Gil Cohen-Magen)

Avec quatorze députés et de grandes chances d’entrer au gouvernement, l’alliance d’extrême droite Sionisme religieux monopolise, à juste titre, l’attention médiatique.

Si certains présentent cette force politique comme l’émanation d’un extrémisme semblable à celui d’autres sociétés occidentales, sa montée en puissance s’inscrit en réalité dans l’histoire propre d’Israël et des évolutions de sa société.

Schématiquement, et en dépassant les multiples débats qui ont animé ce projet nationaliste, le sionisme s’articule autour de trois postulats : l’existence d’un peuple juif ; la volonté de donner à cette nation juive un État, constatant l’impossibilité de supprimer l’antisémitisme des sociétés où les juifs résident ; le droit exclusif de cette nation à bâtir un foyer sur la terre de Palestine. Ce dernier point fondant le caractère colonial du projet sioniste.

Itamar Ben-Gvir est acclamé par ses partisans lors d’un rassemblement pendant la campagne pour les législatives, le 28 octobre 2022 (AFP/Menahem Kahana)
Itamar Ben-Gvir est acclamé par ses partisans lors d’un rassemblement pendant la campagne pour les législatives, le 28 octobre 2022 (AFP/Menahem Kahana)

Quand l’État d’Israël a été créé en 1948, chassant pour cela les trois quarts de la population palestinienne autochtone, se dotant d’institutions stables et viables, le mouvement sioniste a pu croire en la réalisation d’une utopie formulée 51 ans auparavant.

Les guerres de 1967 puis 1973 ont enraciné encore davantage Israël au Proche-Orient, démontrant sa supériorité sur ses voisins « menaçants ».

Une société qui se disloque, une idéologie qui s’effrite

Que pouvait signifier « être sioniste » au lendemain de ces conflits meurtriers ? Si la question peut paraître abstraite, elle a en réalité bousculé profondément la société juive israélienne.

D’une part, les années 1970 ont été marquées par la montée en puissance de groupes, d’organisations, de mouvements intellectuels prêts à remettre en cause les fondements de cette société.

Des étudiants questionnant le sens d’un service militaire dès lors que la menace étrangère paraissait de plus en plus dérisoire à la jeunesse juive orientale décidée à dénoncer le racisme dont leurs parents puis eux étaient victimes de la part des juifs ashkénazes, toute l’identité nationale du citoyen-soldat juif israélien s’effritait.

D’autre part, la conquête en 1967 du reste de la Palestine historique, à savoir la bande de Gaza et la Cisjordanie, avait ouvert la voie aux discours pacifiques, voire décoloniaux, émanant d’intellectuels ou de militants de la gauche juive non sioniste.

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Pour eux, après le refus d’Israël de permettre une solution viable à la question des réfugiés palestiniens, ces nouvelles prises de territoire constituaient de nouveaux points de fracture avec les populations de la région, empêchant l’émergence d’une paix réelle.

À cela se sont ajoutés au moins deux traumatismes. Le premier a surgi au moment des massacres de Sabra et Chatila, en 1982. Pour la première fois, les Israéliens constataient que leur armée était capable d’agir en tant qu’agresseur sans aucun argument de légitime défense recevable.

Le second traumatisme, mémoriel, survient avec les publications des « nouveaux historiens » israéliens qui déconstruisent, un à un, tous les mythes sur lesquels Israël s’est bâti, à commencer par la guerre de 1948.

Cette société fragilisée a ensuite dû se confronter à un événement inattendu. Alors que l’establishment israélien minimisait la question palestinienne, pensant qu’une issue pourrait être trouvée par des accords avec les États arabes de la région, la Première intifada a éclaté.

Au cœur même des territoires sous contrôle de l’armée israélienne, la société civile palestinienne engageait un immense mouvement de révolte.

Sioniste, post-sioniste, néo-sioniste

Les questionnements au sein de la société juive israélienne ont débouché, grosso modo, sur trois postures.

La première, issue de la gauche alternative et non sioniste, plaidait pour un dépassement du sionisme. Israël n’étant plus menacé dans ses fondations, il était temps, selon ces militants, d’opérer un aggiornamento pour faire émerger une société réellement démocratique, égalitaire et tournée vers une pacification des relations avec ses voisins.

Le « post-sionisme » possédait d’importants intellectuels mais très peu de relais au sein de la société civile, hormis dans les sphères étudiantes et militantes.

La seconde posture émanait de la gauche sioniste traditionnelle. Incapable de regarder froidement le caractère colonial de l’idéologie qu’ils défendaient, ces militants se sont entêtés à croire dans une solution simple : les fondements d’Israël n’ont pas à être questionnés, il faut se séparer des Palestiniens et trouver un accord sur les territoires conquis en 1967.

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Ce postulat a façonné la majeure partie du camp de la paix israélien jusqu’à convaincre les dirigeants d’engager des négociations avec les représentants palestiniens.

Dans les faits, l’incapacité à poser la question coloniale au centre des discussions, au profit de rencontres entre deux peuples prétendument à égalité, ne pouvait qu’aboutir à l’échec qu’a représenté le processus d’Oslo.

La troisième posture s’inscrit dans l’héritage des sionistes révisionnistes qui, au sein du mouvement sioniste pré-Israël, constituait une aile droite belliqueuse et sans compromission avec la population autochtone.

Pendant les années 1970, la droite sioniste était parvenue à un accord avec les organisations religieuses et les partis politiques juifs orientaux contre la gauche sioniste, accusée d’être laïque, raciste envers les autres communautés juives, et surtout pervertie par les mouvements alternatifs prêts à dialoguer avec les Arabes.

Ce cocktail nationalisto-religieux constitue le cœur du « néo-sionisme », comme le nomme le sociologue israélien Uri Ram.

Pour les tenants de ce postulat, le sionisme n’est aucunement dépassé, au contraire, il reste à construire : Israël ne peut être qu’un pays exclusivement juif. Avec la Bible comme cadastre, ils considèrent que la souveraineté juive doit s’exercer sur l’ensemble des territoires de la Palestine historique. Enfin, en tant qu’État juif, la religion et ses représentants ne peuvent selon eux être exclus de la sphère politique.

Le péril démographique

Si les années 1990 sont globalement dominées par la gauche sioniste et sa promesse d’une solution pacifique via des accords avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et Yasser Arafat, la Seconde intifada rebat les cartes au sein de la société juive israélienne.

L’ensemble de lois liberticides votées pendant les treize ans au pouvoir de Netanyahou, jusqu’à la loi État-nation du peuple juif qui permet de garantir que peu importe l’évolution démographique, le droit à l’autodétermination n’appartient qu’à la population juive, s’inscrit dans cette démarche

D’une part, Ariel Sharon, qui remporte les élections de 2001, parvient à convaincre une partie considérable de l’opinion publique que la pérennité d’Israël n’est pas acquise. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, il proclame qu’« Arafat est notre Ben Laden ».

Il n’est plus question d’interroger le service militaire ou la justesse de la politique coloniale d’Israël : la prétendue lutte « contre le terrorisme » rend les revendications du peuple palestinien inaudibles, tandis que la présence d’Israéliens en Cisjordanie occupée s’enracine et se normalise.

Problème : dès lors que tout État palestinien devient une perspective inatteignable, Israël se confronte à un dilemme.

Soit le pays se veut une démocratie exemplaire, et s’ouvre à l’intégration de millions de Palestiniens comme citoyens. Soit le sionisme prime, et pour demeurer un État juif, Israël enracine son régime d’apartheid et de hiérarchies des droits et des privilèges.

Si la gauche sioniste continue de tergiverser sur une prétendue possible séparation, les néo-sionistes ont depuis longtemps fait leur choix. L’ensemble de lois liberticides votées pendant les treize ans au pouvoir de Netanyahou, jusqu’à la loi État-nation du peuple juif qui permet de garantir que peu importe l’évolution démographique, le droit à l’autodétermination n’appartient qu’à la population juive, s’inscrit dans cette démarche.

Ben-Gvir et Smotrich, paroxysmes du colonialisme israélien

Dès lors, que représentent les fanatiques leaders de Sionisme religieux, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ? Assurément, ils s’inscrivent dans l’héritage du mouvement extrémiste kahaniste, inspiré du rabbin Meir Kahane, dont le parti avait été interdit en Israël en 1985 et les organisations qui s’en réclament dissoutes en 1994.

Nombre d’analyses et de commentaires se focalisent sur leur homophobie et leur racisme. Mais en quoi leurs discours, concernant les Palestiniens, diffèrent-ils énormément de ceux de la droite sioniste traditionnelle ?

En réalité, ils ne sont qu’une représentation débridée d’idées qui pourraient, au sein du Likoud ou d’une partie des organisations considérées comme centristes, être entendues de manière plus policée et avec légèrement moins de références religieuses.

De surcroît, tous deux mettent la gauche et le centre sioniste, qui jouissent confortablement des privilèges que leurs prédécesseurs ont façonnés et bâtis, face à cette cruelle réalité : Ben-Gvir et Smotrich, comme les colons fanatiques qu’ils représentent, sont l’aboutissement de choix politiques et de trahisons dont les dirigeants du centre et de la gauche sont les premiers donneurs d’ordres.

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L’occupation qui s’enracine, la colonisation qui se normalise, le meurtre de Palestiniens (158 victimes depuis le 1er janvier), l’impunité des attaques de colons (224 depuis le début de l’année), les destructions de maisons, les expulsions, l’apartheid : tout cela a été mis en place et légitimé sans aucun kahaniste ou sioniste religieux au gouvernement.

L’assassinat de Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995, a été un électrochoc pour la gauche sioniste, mais celle-ci n’en a tiré comme seule leçon qu’Israël avait ses extrémistes comme la société palestinienne avait les siens.

L’arrivée au pouvoir de dirigeants issus de la même idéologie que celle qui a causé la mort de l’historique figure du Parti travailliste sonnera-t-elle le réveil ?

Une société fondée sur des privilèges ethniques et dont la soumission et l’oppression du peuple colonisé sont devenues une norme dont chaque nouveau gouvernement hérite, doit considérer Ben-Gvir et Smotrich comme ce qu’ils sont : l’émanation naturelle de l’idéologie sioniste, et non des corps étrangers.

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