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Israël : alors que Netanyahou a demandé au monde d’oublier l’occupation, Ben-Gvir la veut au premier plan

Si le futur Premier ministre israélien s’est efforcé de reléguer les Palestiniens tout en bas de la liste des priorités des Israéliens et des Arabes, la confrontation est essentielle pour ses nouveaux partenaires de coalition
Itamar Ben-Gvir (à droite) discute avec le futur Premier ministre Benyamin Netanyahou (à gauche) lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau Parlement israélien, le 15 novembre à Jérusalem (AFP)
Itamar Ben-Gvir (à droite) discute avec le futur Premier ministre Benyamin Netanyahou (à gauche) lors de la cérémonie de prestation de serment du nouveau Parlement israélien, le 15 novembre à Jérusalem (AFP)
Par Meron Rapoport à TEL AVIV, Israël

Environ deux semaines avant les dernières élections en Israël, Benyamin Netanyahou a exposé sa perception de l’avenir du pays dans un article publié dans Haaretz. « Au cours des 25 dernières années, on nous a répété que la paix avec les autres pays arabes ne viendrait qu’après la résolution du conflit avec les Palestiniens », a-t-il écrit. Il est toutefois convaincu « que le chemin de la paix ne passe pas par Ramallah, mais plutôt autour ». 

La voie qu’il a empruntée s’est révélée juste, a-t-il affirmé dans Haaretz. Il a signé des accords de normalisation avec quatre pays arabes, tandis que des accords avec d’autres pays sont dans l’air. En d’autres termes, non seulement Israël peut prospérer sans résoudre son conflit avec les Palestiniens, nous dit-il, mais la voie de la prospérité consiste en réalité à les ignorer. Ils n’ont aucune importance.

Trois semaines se sont écoulées depuis les élections du 1er novembre, à l’issue desquelles le bloc de partis de droite dirigé par Netanyahou a remporté une majorité apparemment confortable de 64 sièges au Parlement israélien, la Knesset. Pour l’instant, on ne sait pas encore quelle sera la composition exacte de son prochain gouvernement et qui occupera les portefeuilles clés que sont la Défense, les Finances et les Affaires étrangères.

On sait déjà une chose, cependant : pour les partenaires attendus de Netanyahou, notamment Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, les deux leaders de la liste raciste et nationaliste Sionisme religieux qui a remporté 14 sièges aux élections, le conflit d’Israël avec les Palestiniens n’est pas simplement un facteur important parmi d’autres, mais le seul.

Les forces de sécurité israéliennes retiennent un Palestinien alors que des colons juifs défilent à Hébron (Cisjordanie occupée), le 19 novembre 2022 (AFP)
Les forces de sécurité israéliennes retiennent un Palestinien alors que des colons juifs défilent à Hébron (Cisjordanie occupée), le 19 novembre 2022 (AFP)

Netanyahou a clairement démontré que l’élimination de la question palestinienne de l’ordre du jour public en Israël, mais aussi à l’échelle mondiale, était l’un de ses principaux objectifs, en particulier depuis son retour au pouvoir en 2009.

Il a poursuivi cet objectif en utilisant trois approches principales : premièrement, effacer la frontière de 1948 (la « ligne verte ») de la conscience de la majorité des juifs d’Israël en étendant les colonies et, du point de vue pratique, en annexant de larges pans de la zone C en Cisjordanie.

Deuxièmement, promouvoir l’affirmation selon laquelle « il n’y a pas de partenaire pour la paix » dans le camp palestinien en ignorant presque totalement les dirigeants palestiniens et leurs demandes en vue d’une fin de l’occupation.

Troisièmement, modérer quelque peu le recours d’Israël à la force militaire en partant du principe que moins le conflit sera violent, moins il attirera l’attention – en Israël, au Moyen-Orient et ailleurs dans le monde.

Cette approche a été largement couronnée de succès. Aujourd’hui, la plupart des juifs israéliens ne savent pas où se trouve la ligne verte. Le terme d’« occupation » est devenu un gros mot qui n’est presque jamais prononcé dans les médias grand public israéliens. L’affirmation selon laquelle « il n’y a personne à qui parler » du côté palestinien s’est consolidée jusqu’à devenir un consensus non seulement au sein de la droite juive et du centre, mais aussi parmi la gauche modérée.

Le fait d’éviter les opérations militaires de grande envergure, hormis la guerre meurtrière à Gaza en 2014, a réduit le nombre d’Israéliens tués en raison du conflit à un peu plus d’une dizaine par an, de sorte que les discussions sur ce que l’on décrivait autrefois comme le « prix de l’occupation » ont presque disparu.

Une annexion insidieuse

Le statu quo proposé par Netanyahou n’a pas vraiment été un statu quo, bien entendu, puisque l’annexion insidieuse des territoires palestiniens s’est poursuivie et qu’un régime d’apartheid a progressivement pris forme sur le terrain. Mais pour les Israéliens (juifs), dans l’ensemble, il paraît préférable de s’accommoder de cette situation que de tenter de la changer.

Le succès de Netanyahou découle en partie de processus qui ne sont pas directement liés à Netanyahou lui-même. Lorsqu’il est devenu Premier ministre pour la deuxième fois en 2009, la seconde Intifada était terminée. La scission entre le Hamas à Gaza et le Fatah en Cisjordanie avait considérablement affaibli la position palestinienne et Netanyahou est parvenu à exploiter cette faiblesse.

Avec l’avènement du fameux Printemps arabe en 2011, les pays arabes voisins étaient enclins à s’intéresser davantage à leurs propres affaires et moins à la cause palestinienne. Par ailleurs, la marée montante du populisme de droite à travers le monde, dont l’apogée a été l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis en 2016, a créé une atmosphère propice à Netanyahou et à sa politique d’apartheid insidieux.

La disparition du conflit avec les Palestiniens de l’ordre du jour national israélien a en réalité incité le mouvement colonialiste de droite à faire pression en vue d’une annexion

Cependant, un grain de sable s’est glissé ces dernières années dans cet équilibre prôné par Netanyahou. La disparition du conflit avec les Palestiniens de l’ordre du jour national israélien a en réalité incité le mouvement colonialiste de droite à faire pression en vue d’une annexion ou, dans leur lexique, d’une « application de la souveraineté ».

Selon la logique des colons, si les Palestiniens ne sont plus une menace, il n’y a aucune raison d’hésiter à annexer la Cisjordanie, que ce soit en totalité ou en partie. Bien que Netanyahou ait renoncé à l’annexion à la dernière minute, cette pression de la droite pour bouleverser le statu quo ne s’est pas évaporée.

Le moment où il est devenu évident que le faux statu quo bâti par Netanyahou ne fonctionnait plus est survenu en mai 2021. Les Palestiniens, que Netanyahou avait tenté d’exclure du discours public en Israël, se sont révoltés non seulement à Jérusalem-Est et à Gaza, mais aussi dans les « villes mixtes » en Israël : Lydd (Lod), Ramla, Acre (Akka), entre autres.

Au lieu de s’éloigner au-delà des montagnes d’obscurité de la Cisjordanie, le conflit avec les Palestiniens s’est soudainement retrouvé à la porte de nombreux juifs au cœur du pays.

Peu après, l’homme de droite Naftali Bennett a choisi de faire équipe avec le centriste Yaïr Lapid pour former un gouvernement alternatif et laisser Netanyahou dans l’opposition pour la première fois depuis douze ans.

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Les raisons expliquant cette décision sont nombreuses, mais le fait que Netanyahou ne soit plus considéré comme capable d’apporter une réponse au « problème palestinien » peut également avoir contribué à sa chute.

Dans le vide laissé par Netanyahou, la droite raciste s’est installée sous la houlette du colon de premier plan Itamar Ben-Gvir, leader du parti Otzma Yehudit (Force juive), habitant d’Hébron et admirateur de Baruch Goldstein, l’homme qui a assassiné 29 fidèles musulmans dans la mosquée al-Ibrahimi d’Hébron en 1994.

Les événements de mai 2021 ont été présentés par Ben-Gvir comme la preuve que les juifs d’Israël vivent sous la menace de la « violence arabe », qui ne peut être contrée qu’en rappelant aux Arabes que les juifs sont les seuls « propriétaires » de cet endroit.

Pour étayer cet argument, Ben-Gvir a également invoqué la crainte de la population vis-à-vis d’une hausse de la criminalité dans les villes méridionales d’Israël, celle-ci étant principalement attribuée aux bédouins palestiniens de la région, qui vivent dans des conditions d’extrême pauvreté et subissent une discrimination de longue date.

Le conflit, priorité absolue

Bien entendu, Ben-Gvir n’a pas inventé l’idée d’une suprématie juive, qui représente un aspect du sionisme à un degré plus ou moins important depuis le début. Mais en réussissant à transformer l’ambition de la suprématie juive en un vaste programme politique, il a remis en question, consciemment ou inconsciemment, le postulat de Netanyahou consistant à ignorer la question palestinienne.

Alors que Netanyahou soutenait que le problème n’existait plus, ou du moins qu’il n’affectait pas la vie des Israéliens, Ben-Gvir s’est présenté pour affirmer que le conflit israélo-palestinien affecte la vie des juifs, tout le temps et partout, des deux côtés de la ligne verte.

La solution de Ben-Gvir est violente et raciste – tuer ou expulser toute personne, palestinienne ou même juive, qui s’oppose au régime de suprématie juive –, mais pendant ce temps, il a placé la question des relations judéo-palestiniennes au premier plan.

La solution de Ben-Gvir est violente et raciste – tuer ou expulser toute personne, palestinienne ou même juive, qui s’oppose au régime de suprématie juive 

Smotrich, le partenaire de Ben-Gvir au sein de l’alliance Sionisme religieux, fait également de la question du conflit judéo-palestinien sa plus grande priorité politique. Et Smotrich, comme Ben-Gvir, propose une solution violente et raciste. Dans son essai intitulé « Le plan décisif d’Israël », publié en 2017, Smotrich propose trois options aux Palestiniens de Cisjordanie : accepter de vivre sans droits politiques sous la domination juive, émigrer vers un autre pays ou faire face à une issue qui sera décidée par la guerre.

Comme Ben-Gvir, Smotrich pense que la suprématie juive en Israël ne doit en aucun cas être abandonnée. En 2021, il a refusé de soutenir la formation d’un gouvernement par Netanyahou, dans la mesure où ce dernier aurait alors dû s’appuyer sur un parti arabe, la Liste arabe unie dirigée par Mansour Abbas. « Un ennemi n’est pas un partenaire légitime. Point final », a-t-il écrit à l’époque pour justifier sa décision.

Ben-Gvir a réussi à persuader les électeurs des villes périphériques que Netanyahou ne leur offrait aucune réponse – ni à leurs préoccupations concernant la puissance économique, universitaire et politique croissante de leurs voisins palestiniens, ni au fait qu’eux, en tant qu’habitants de régions périphériques, n’avaient pas encore bénéficié de la prospérité économique tant vantée par Netanyahou.

Smotrich est principalement populaire auprès du public religieux, qui fait aujourd’hui partie de l’élite économique et gouvernementale d’Israël.

Mais ce qui est certain, c’est que ces deux hommes sont les grands gagnants des dernières élections, après avoir augmenté leur part collective de 6 sièges au scrutin précédent à 14 dans l’actuelle Knesset, ce qui leur permet de dicter leurs conditions à Netanyahou, qui sait que sans eux, il n’aura pas de gouvernement.

Des promesses gagnées

Ces circonstances, comme on peut s’y attendre, concernent tout d’abord les questions relatives au conflit avec les Palestiniens.

Avant même la fin des négociations sur la formation du gouvernement, Netanyahou a déjà promis à Ben-Gvir ce qui suit : des raccordements à l’électricité et à l’eau seraient fournis à 60 avant-postes en Cisjordanie établis sans permis, la plupart sur des terres palestiniennes privées ; une yechiva pourrait être établie sur un site que les colons appellent Evyatar, sur des terres appartenant à la ville palestinienne de Beita ; enfin, une loi adoptée en 2005 pour permettre l’évacuation officielle de trois colonies du nord de la Cisjordanie serait désormais abrogée pour permettre la réimplantation de colonies à ces endroits, encore une fois sur des terres palestiniennes privées.

À cela s’ajoutent d’énormes investissements dans des axes routiers interurbains pour desservir les colonies de Cisjordanie.

Le ministère de la Sécurité publique, qui supervise la police, a également été promis à Ben-Gvir, qui cherche à avoir carte blanche pour réprimer les bédouins palestiniens dans le Sud d’Israël et veut modifier la réglementation en matière de tirs à balles réelles afin de permettre aux agents d’abattre toute personne qu’ils jugent suspecte sans crainte de poursuites.

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Smotrich vise plus haut. Il veut devenir ministre de la Défense. En tenant ce portefeuille, il serait dans les faits le seul souverain en Cisjordanie et pourrait plus ou moins y faire ce qu’il veut. Sans compter qu’il a juré d’envoyer l’armée dans les « villes mixtes » en Israël si les événements violents de mai 2021 venaient à se reproduire.

Jusqu’à présent, Netanyahou refuse de céder sur ce point, en partie parce que l’administration Biden semble avoir clairement fait savoir qu’elle ne serait pas disposée à coopérer avec un ministère israélien de la Défense dirigé par Smotrich. Mais aussi parce que Netanyahou se rend peut-être compte que si les bellicistes racistes de Sionisme religieux contrôlent à la fois le ministère de la Sécurité publique et celui de la Défense, il n’aura plus la main sur la gestion par Israël de son conflit avec les Palestiniens.

Netanyahou aurait pu vouloir se passer de Smotrich et de Ben-Gvir et opter plutôt pour l’inclusion dans son gouvernement de l’actuel ministre de la Défense Benny Gantz, issu du centre-droit de l’échiquier politique, et perpétuer ainsi l’approche de « gestion du conflit » qu’il a pilotée avec tant de succès au cours des quinze dernières années.

Les Américains font manifestement pression sur lui ainsi que sur Gantz pour les pousser à parvenir à un tel accord. Mais cela ne dépend peut-être pas de Netanyahou. La droite raciste, lassée du statu quo qu’il a vendu aux électeurs israéliens, est plus forte que lui.

Une hausse de la violence

Il est encore trop tôt pour prédire les conséquences de cette nouvelle situation. Netanyahou réussira-t-il malgré tout à imposer sa politique de prédilection et à marginaliser la question palestinienne ?

Ce ne sera pas facile, et pas seulement parce qu’il est appelé à reprendre le poste de Premier ministre dans une période très violente, alors que le nombre de Palestiniens et d’Israéliens tués depuis le début de l’année 2022 atteint des niveaux inédits depuis la fin de la seconde Intifada en 2005.

La droite raciste, lassée du statu quo que Netanyahou a vendu aux électeurs israéliens, est plus forte que lui

Même si la droite raciste parvient à prendre le contrôle de la police et de l’armée, sa capacité à réaliser ses fantasmes de violence n’est pas une fatalité. Les Palestiniens ne sont pas dans la même situation qu’en 1948 ou 1967 et ne monteront pas sans résistance dans les bus acheminés pour les expulser.

La communauté internationale, en dépit de toutes ses limites, a déjà du mal à accepter l’apartheid israélien (comme en témoigne la récente décision de transférer le débat sur la légalité de l’occupation israélienne à la Cour internationale de justice).

En outre, l’économie d’Israël est complètement dépendante de l’économie mondiale. Quant à la société juive israélienne, elle est plus divisée que jamais dans la foulée des récentes élections, dans la mesure où des pans importants du centre-gauche considèrent les partis « religieux » de Ben-Gvir et Smotrich comme une menace pour leur mode de vie laïc.

Dans son article cité plus haut, Netanyahou a adopté le concept du « Mur de fer », titre d’un texte célèbre du père de la droite sioniste, Zeev Jabotinsky, qui écrivait dans les années 1920 que les Palestiniens n’accepteraient l’existence des juifs sur la Terre d’Israël que lorsque ces derniers en auraient pris le contrôle par la force. Cependant, dans le Mur de fer que Netanyahou tente d’ériger pour tenir la question palestinienne à distance, de sérieuses fissures sont apparues. Et ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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