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Israël-Palestine : qu’est-ce qui alimente les tensions en Cisjordanie ?

Middle East Eye analyse les facteurs sous-jacents qui nourrissent les tensions sur le terrain israélo-palestinien et ce que cela pourrait présager pour la suite
Le député israélien Tzvi Sukkot (à gauche) est pris à partie alors qu’il tente d’interrompre un rassemblement de Palestiniens contre les violences des colons dans la ville de Huwara en Cisjordanie occupée, le 3 mars 2023 (AFP)

On redoute de plus en plus une plus grande flambée de violences en Cisjordanie occupée alors que les attaques israéliennes se multiplient et que la résistance des Palestiniens se renforce. 

Ces derniers mois ont vu une forte hausse du nombre de Palestiniens tués par les forces israéliennes et les colons, et celle-ci intervient dans un climat de changement radical de la politique israélienne : de plus en plus de responsables profèrent de violentes remarques anti-palestiniennes.

Alors que les fêtes musulmane, chrétienne et juive se chevauchent le mois prochain, beaucoup craignent que le pire soit encore à venir. 

Middle East Eye se penche sur les relations actuelles, les facteurs qui les sous-tendent et ce que pourrait réserver l’avenir. 

Que se passe-t-il ?

La récente flambée d’attaques contre les Palestiniens se concentre en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, des territoires qu’Israël occupe depuis 1967. 

Les forces israéliennes et les colons ont tué au moins 167 Palestiniens en Cisjordanie l’année dernière et au moins 69 Palestiniens depuis janvier, soit près d’un mort par jour.

C’est le début de l’année le plus meurtrier depuis 2000, selon le ministère palestinien de la Santé.

Les attaques palestiniennes contre les Israéliens se multiplient elles aussi. Au moins 30 Israéliens ont été tués par des Palestiniens en 2022, le pire bilan israélien depuis 2008. Depuis le début de l’année, au moins 13 Israéliens ont été tués.

 

Quant à la violence des colons israéliens, elle suit une trajectoire à la hausse depuis des années. Les données de l’ONU montrent qu’il y a eu une augmentation de 137 % des attaques entre 2020 et 2022.

On suspecte les colons d’avoir tué au moins 9 Palestiniens depuis 2022.

L’expansion des colonies se poursuit également. Près de 700 000 colons vivent dans plus de 250 colonies et avant-postes (colonies sans autorisation gouvernementale) en Cisjordanie et à Jérusalem-Est en violation du droit international. 

Que sont les colonies israéliennes en Palestine ?

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Combien de colons israéliens ?

Quelque 475 000 Israéliens résident dans des colonies en Cisjordanie, territoire palestinien occupé depuis 1967, où vivent 2,9 millions de Palestiniens.

Ils sont également 230 000 à Jérusalem-Est, secteur palestinien occupé depuis 1967 puis annexé par Israël, où résident plus de 360 000 Palestiniens. Ceux-ci veulent faire de cette partie de la ville la capitale de l’État auquel ils aspirent.

Alors que cette coexistence est souvent conflictuelle, des dizaines de milliers de Palestiniens vont chaque jour travailler en Israël ou dans ces colonies, souvent attirés par des rémunérations plus élevées.

La colonisation, considérée par une grande partie de la communauté internationale comme un des principaux obstacles à un règlement du conflit israélo-palestinien, s’est poursuivie sous tous les gouvernements israéliens depuis la guerre des Six Jours en 1967 mais a fait un bond sous le Premier ministre Benyamin Netanyahou.

Toutes les colonies israéliennes sont illégales au regard du droit international.

Qui sont les colons ?

De nombreux colons israéliens se sont installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est à la recherche de logements moins chers que sur le territoire israélien. Le gouvernement les encourage à s’installer dans des colonies devenues de véritables villes, comme Ariel, Maale Adoumim ou les colonies spécialement destinées aux juifs ultra-orthodoxes telles Beitar Illit et Modiin Illit.

Pour beaucoup de juifs nationalistes religieux, vivre dans les terres bibliques de Judée et de Samarie (nom donné par les Israéliens à la Cisjordanie) est l’accomplissement d’une promesse divine. Des centaines d’entre eux vivent ainsi près du caveau des Patriarches à Hébron, un site sacré pour les juifs et les musulmans et un des lieux où se focalise la violence entre Israéliens et Palestiniens.

Que sont les colonies sauvages ?

De taille très variable, pouvant aller de quelques tentes à des préfabriqués reliés aux réseaux d’eau et d’électricité, les « avant-postes de colonie », selon l’appellation de l’ONU, ont été établis sans l’aval des autorités israéliennes.

Israël a annoncé le 12 février 2023 qu’il allait légaliser neuf de ces colonies en Cisjordanie en réponse à des attentats meurtriers à Jérusalem-Est.

Ces implantations, dont certaines existent depuis des années, se trouvent notamment dans les secteurs de Hébron (sud), de Naplouse (nord) et dans la vallée du Jourdain.

De nouveaux logements doivent également être construits dans des colonies existantes, mais le gouvernement israélien n’a pas précisé leur nombre ni leur emplacement.

L’organisation israélienne anticolonisation La Paix maintenant a fustigé une politique d’« annexion folle », tandis que Washington, Berlin, Paris, Rome et Londres se sont dits « fermement » opposés à cette légalisation.

Ils ont dénoncé « les actions unilatérales qui ne font qu’accroître les tensions entre Israéliens et Palestiniens et qui nuisent aux efforts visant à parvenir à la solution négociée des deux États ».

Comment les Palestiniens voient-ils les colonies ?

Les Palestiniens considèrent les colonies israéliennes comme un crime de guerre et un obstacle majeur à la paix. Ils veulent que les Israéliens se retirent de toutes les terres qu’ils occupent depuis la guerre de 1967 et qu’ils démantèlent toutes les colonies, bien qu’ils aient accepté le principe de petits échanges territoriaux limités égaux en taille et en valeur.

De son côté, Israël exclut un retour complet aux frontières d’avant 1967, mais se dit prêt à se retirer de certaines parties de la Cisjordanie tout en annexant les plus grands blocs de colonies, qui abritent la grande majorité des colons.

Le Premier ministre Netanyahou a redit en janvier 2023 sa volonté de « renforcer les colonies », sans afficher de volonté de relancer les négociations de paix, au point mort depuis 2014.

À Jérusalem-Est, les Palestiniens préviennent que la mosquée al-Aqsa fait l’objet d’une offensive sans précédent des groupes de colons et de députés israéliens pour saper le statu quo faisant du site un lieu musulman.

Le nombre de colons ayant pénétré dans les jardins de l’esplanade des Mosquées lors des incursions quasi quotidiennes a quasiment été multiplié par sept au cours des dix dernières années. 

Certains groupes de colons organisant ces incursions désirent détruire la mosquée al-Aqsa pour y construire un Troisième temple à la place. Certains députés plaident pour qu’Israël « recouvre la pleine souveraineté » du site. 

Le contrôle d’Israël sur Jérusalem-Est, y compris la vieille ville où se situe le complexe de la mosquée al-Aqsa, va à l’encontre de plusieurs principes du droit international, lesquels stipulent qu’une puissance occupante n’a aucune souveraineté sur le territoire occupé et ne peut y apporter de changements permanents. 

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Les citoyens palestiniens d’Israël font également face à la discrimination et à la violence de l’État. 

Depuis l’investiture du nouveau gouvernement israélien à la fin de l’année dernière, au moins une cinquantaine de décisions gouvernementales ou lois allant à l’encontre des droits des citoyens palestiniens d’Israël ont été adoptées, selon l’organisation pour les droits de l’homme nazaréenne Meezaan.

Cela inclut des lois donnant au gouvernement le pouvoir de déchoir de leur nationalité ou de leur permis de résidence les personnes condamnées pour « terrorisme », et d’appliquer la peine de mort dans ces cas.

Qu’est-ce qui alimente les tensions ? 

Il est difficile d’identifier un événement spécifique ayant déclenché les tensions actuelles, cependant, en analysant plusieurs données, les événements de mai 2021 semblent avoir contribué à raviver les doléances de longue date des Palestiniens, ce qui a mené là où nous en sommes aujourd’hui. 

Durant les onze jours de conflit déclenchés par les atteintes israéliennes à Jérusalem – notamment la tentative d’expulsion de familles de Sheikh Jarrah et les attaques contre les fidèles à la mosquée al-Aqsa –, Israéliens et Palestiniens se sont affrontés dans de rares confrontations de masse dans les villes israéliennes mixtes, à Jérusalem-Est occupée et dans la bande de Gaza.

Si des manifestations et des confrontations ont également eu lieu en Cisjordanie, presqu’aucun affrontement armé entre Palestiniens et forces israéliennes n’y a été recensé lors de ces onze jours de violence. 

Sur les 274 Palestiniens tués par les Israéliens à ce moment-là, 28 étaient de Cisjordanie. Treize personnes ont été tuées côté israélien. 

Depuis lors cependant, la résistance palestinienne armée en Cisjordanie connaît un pic. Au moins cinq nouveaux groupes armés ont été créés ces deux dernières années dans diverses villes – dont Jénine, Naplouse, Tulkarem et Jéricho.

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Les membres de ces groupes disent avoir pris les armes pour défendre les villes et les camps de réfugiés palestiniens contre les raids israéliens d’arrestations et de perquisitions qui ont lieu presque toutes les nuits. Ils s’en prennent également aux check-points israéliens, aux baraquements militaires et aux colonies. 

Les données de l’armée israélienne montrent une augmentation de 367 % des fusillades contre des cibles israéliennes en Cisjordanie entre 2021 et la fin de l’année 2022.

Depuis mai 2021, au moins 4 soldats et 13 colons ont été tués par des Palestiniens.

Ces nouveaux groupes, composés essentiellement de jeunes hommes, rompent largement avec les partis palestiniens traditionnels et adoptent un discours et une stratégie qui vont au-delà des factions. 

Cela attire de plus en plus de Palestiniens, notamment les jeunes, dont la frustration ne cesse de croître à l’égard de leurs dirigeants, en particulier l’Autorité palestinienne (AP). 

L’émergence de ces groupes a exposé les faiblesses de l’AP, basée à Ramallah, laquelle contrôle fermement, depuis la seconde Intifada, la dissidence dans les territoires palestiniens et les actes de résistance armés contre l’occupation israélienne. 

Aujourd’hui cependant, l’Autorité palestinienne semble avoir perdu le contrôle sécuritaire de villes techniquement sous son administration, telles que Jénine et Naplouse. 

De son côté, les Israéliens ont élu fin 2022 ce qu’on pourrait qualifier de gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays.

Le programme gouvernemental esquissé par le Premier ministre Benyamin Netanyahou a pour cœur l’expansion des colonies et laisse entendre son intention d’annexer la Cisjordanie.

Plusieurs ministres et députés pro-colons ont publiquement appelé à des mesures plus dures contre les Palestiniens et les font adopter. Par exemple, Bezalel Smotrich (ministre des Finances, également responsable de l’administration civile israélienne en Cisjordanie) a réclamé l’anéantissement du village palestinien de Huwara. 

C’est également un fervent défenseur de l’expansion des colonies et de l’annexion. 

À quoi ressemblera l’avenir ? 

Alors qu’Israël continue à étendre ses colonies et enraciner son occupation, une solution politique semble plus lointaine que jamais.

Depuis la fin de la seconde Intifada en 2005, Israël a lancé cinq campagnes de bombardements contre Gaza, une vague d’attaques au couteau meurtrières par des Palestiniens a connu un pic en 2014-2015 et Israël comme la Palestine se sont enlisés dans un conflit généralisé en mai 2021. 

Il est difficile de prédire ce à quoi mèneront les tensions actuelles et à quel point elles seront similaires à un événement récent. 

Mais les défis aujourd’hui – à l’image du gouvernement ultranationaliste israélien, du développement des groupes armés palestiniens et de la fragilité de l’AP – sont différents des années précédentes, c’est pourquoi les agences de renseignement, les diplomates et les analystes mettent de plus en plus en garde contre la possibilité d’une explosion massive.

Le directeur de la CIA William Burns a récemment déclaré que les tensions actuelles portent une « ressemblance malheureuse » avec la seconde Intifada.

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La menace d’une flambée incontrôlable de violence a conduit la Jordanie, l’Égypte et les États-Unis à mener des efforts de désescalade ces derniers mois.

Mais des événements tels que le déchaînement sans précédent de violence de la part des colons dans la ville palestinienne de Huwara le 26 février dernier – qui a eu lieu alors que les États-Unis, la Jordanie, l’Égypte, Israël et l’AP discutaient de sécurité – donnent une indication de ce que pourrait traverser la région.

Les inquiétudes sont d’autant plus vives qu’en avril, Pessah, Pâques et le Ramadan se chevaucheront. 

À Pessah, des juifs israéliens chercheront à se rendre dans les jardins d’al-Aqsa pendant le Ramadan, un moment où la mosquée est normalement bondée de fidèles musulmans.

Le ministre israélien d’extrême-droite chargé de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir – qui supervise la stratégie de la police israélienne à Jérusalem (y compris à al-Aqsa) – a précédemment appelé à l’imposition d’une « souveraineté [israélienne] totale et à la levée du drapeau israélien » dans le complexe de la mosquée. 

La gestion des opérations de l’armée israélienne en Cisjordanie et de la sécurité à Jérusalem sera cruciale pour le déroulement des événements en avril.

Mais indépendamment de la façon dont se passera ce mois, si les facteurs sous-jacents qui alimentent les tensions actuelles ne sont pas résolus dans un avenir proche, la menace d’une confrontation plus générale ne s’évanouira pas.

Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.

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